Où rencontrer Dieu ?

10 octobre 2010, 28° dimanche C, Lc 17,11-19 /

Voici une scène bien connue : dix lépreux sont envoyés par Jésus vers les prêtres (le Temple), ils sont guéris en cours de route, et seul le Samaritain du groupe vient remercier Jésus. Qu’est-ce qui est en jeu ici ? La politesse, l’ingratitude ou le lieu de la rencontre de Dieu ? Une fois de plus, l’Évangile nous demande de faire demi-tour, c’est-à-dire de nous convertir, pour ne pas foncer bille en tête dans nos habitudes et passer à côté de l’essentiel…

Du sacrifice à Jésus-Christ…

Sous un certain angle de lecture, les neuf lépreux qui obéissent à Jésus en se rendant vers les prêtres, c’est-à-dire vers le Temple, sont très justes dans leur attitude, à plusieurs points de vue. D’une part, ils obéissent à Jésus et ils obéissent à la Loi (qui demande, en cas de guérison de la lèpre, de faire authentifier celle-ci par les prêtres, afin de pouvoir être réintégré dans la communauté). D’autre part, pour rendre grâce à Dieu de leur guérison, y a-t-il un lieu plus indiqué que le Temple ? Des sacrifices spécifiques sont mêmes prévus pour cela : les sacrifices d’action de grâce ! Jésus ne leur reproche donc pas d’être ingrats mais de se tromper de lieu pour rencontrer Dieu : « Et les neuf autres, où sont-ils ?»… Les sacrifices, le Temple, comme moyens et lieux de communication avec le divin, s’ils étaient légitimes par le passé, deviennent caducs puisque Dieu lui-même s’est rendu présent en Jésus-Christ… Quant au Samaritain, il n’a peut-être pas tant de mérite que cela puisqu’en tant que Samaritain, il ne pouvait se rendre au Temple à l’époque de Jésus ! En tout cas cela le libère pour reconnaître, en Jésus, la présence de Dieu. Son geste de prosternation, en effet, face contre terre, est un geste d’adoration réservé au divin. La question nous est renvoyée : où sont-ils, où me cherchent-ils ? Dans des pratiques rituelles ? En suivant le dernier gourou à la mode ? Dans la littérature ésotérique qui encombre les rayons religieux de nos librairies ? Où en Jésus-Christ, Dieu fait homme ?

Du Temple à l’église…

Nous pensons, souvent à tort, que nous ne sommes plus au temps de l’Ancien Testament, et nous nous croyons libérés d’un certain archaïsme religieux… Mais est-ce bien le cas ? Dans le passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance, il y a d’abord passage du temple à l’église. C’est-à-dire du lieu des sacrifices multiples au lieu de célébration de l’unique sacrifice ; du lieu sacré par excellence au lieu du rassemblement ; de la demeure de Dieu au lieu où se constitue le Corps du Christ. Le mot église, en effet, comme le mot synagogue signifie l’assemblée, le lieu du rassemblement. C’est pourquoi le centre d’une église c’est l’autel, lieu d’une présence éphémère, où le Christ prend Corps, non pour venir habiter le bâtiment, mais pour être mangé, assimilé et prendre Corps dans l’assemblée des fidèles. Vous le savez bien, les tabernacles, lieux de la réserve eucharistique pour les malades, étaient auparavant dans les sacristies mais, avec le développement de la dévotion eucharistique, les tabernacles prirent une place de plus en plus importante dans les églises. Ceci n’est pas une mauvaise chose, mais attention à ne pas retomber dans un rapport au sacré archaïque. Le tabernacle n’est pas la petite maison de Dieu au sein de la maison de Dieu que serait l’église. Il nous faut passer de la logique du temple (demeure de Dieu) à la logique de l’église (lieu où l’assemblée des fidèles devient Corps du Christ)… En fait, même Salomon dans sa prière de consécration du Temple avertit de ne pas prendre celui-ci pour la demeure de Dieu, mais pour le lieu où il se laisse rencontrer… « Les cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie !… Mais que tes yeux soient ouverts sur cette Maison jour et nuit ! » 1 Roi 8,27.29

De l’église à l’Église !

Il nous faut donc passer du Temple, lieu sacré du Saint des Saints (où le grand prêtre ne pénétrait qu’une fois l’an), au bâtiment église, lieu où l’assemblée se constitue en Corps du Christ, pour aller plus loin : le véritable lieu de rencontre de Dieu, c’est donc le Christ en son Corps qu’est l’Église (avec une majuscule)… Toutes les imperfections, et les péchés de ses membres n’y changent rien : puisque Dieu veut rassembler l’humanité en son Fils pour la conduire à sa plénitude, le lieu concret de communion à la vie de Dieu c’est l’Église, lieu des prémices d’une fraternité universelle… Lieu où notre éventuelle communion au divin se vérifie dans cette fraternité non choisie, à construire jour après jour… Paradoxalement, il ne s’agit donc pas nécessairement de faire venir à l’église ceux qui en sont loin, mais plutôt de faire sortir l’Église de ses églises pour permettre une découverte du Christ, semblable à celle dont bénéficia le Samaritain sur les routes de Palestine.

Reposons nous la question : Où rencontrer Dieu ?

Et où permettre sa rencontre ?

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5 réponses à Où rencontrer Dieu ?

  1. Monique dit :

    Où rencontrer Dieu, demande Benoit ? Cette question me trouble car je l’entends spatiale alors que je l’aurais aimée existentielle. Comment alors la méditer ? Une seule idée me vient : le mot qu’aimait saint Thomas quand il parlait de l’éducateur par rapport à l’élève : « manuductio ». Manu = main, ductio = conduite ; l’éducateur conduit l’élève en le prenant par la main, dit saint Thomas. La difficulté est alors : où est cet élève pour que je puisse le prendre par la main ? C’est clair que là, du moins pour la maîtresse d’école que je suis (!), la question n’est pas spatiale. Donc, la question de Benoît n’est pas spatiale non plus…

    Cette spatialité de l’évangile m’a toujours heurtée et souvent j’ai eu de la difficulté à comprendre puisque, affectivement, j’en restais à tenter de refaire le décor, à mettre les pièces ensemble pour voir quel tableau cela ferait. Comme j’aimais les arts, l’exercice me séduisait… mais me décevait aussitôt après. Il me semblait qu’il devait y avoir plus de substance dans ces mots. Mais comment les percer ? Comment faire parler les formules toutes faites ? Celles que l’on relit années après années ? Comment en faire jaillir une « substantifique moelle » ? Une moelle qui nourrit, bien sûr. À moins que ce qu’il y a à faire, c’est se bâtir un fonds d’événements concernant Jésus de Nazareth afin de les garder en mémoire. – Sûrement pas parce que cette mémoire est déjà gardée dans des textes écrits. Alors ? J’aime les commentaires de Benoît, mais là, je suis perdue… !

    Au fil du temps, j’ai pris le parti de me tourner vers (ou de me bricoler) une explication existentielle, imitant ainsi ce que nous impose Platon avec son enseignement en presque totalité allégorique, métaphorique. Ai-je raison… ? Enfin, où est ce « où » ? – Quand je demande à mes étudiants du cours sur les philosophes présocratiques : Où est la terre ?, le vertige les gagne. La terre doit être dans un lieu, elle est physique ; mais si ce lieu, c’est l’espace – c’est la réponse qui vient tout de suite – alors où est cet espace… ?

    J’ai hâte de voir comment Benoît se tirera de cette énigme au Où ! Dans la France de Fr. Benoît, les blogs pressent Sarko de révéler le sens de ses comportements, paroles et discours qui semblent, pour certains, pour le moins « énigmatiques ». C’est au tour de Benoît ! !

    • Anne-Marie dit :

      C’est une énigme en effet, ce «où». Il y a souvent (peut-être toujours) une distance entre ce que l’on sent, ce que l’on comprend, et ce que l’on en dit. Dans les mots, dans les textes, dans ce qui a été écrit, tout porte à croire qu’il faut se figurer ce qui est dit dans l’espace. Et nous sommes, je crois, habitués de toute façon à tout concevoir de cette façon. Notre esprit scientifique peut-être… l’esprit de notre temps!

      Il n’y a pas très longtemps que j’ai compris, non plutôt que j’ai senti, que ce n’est pas de cette façon qu’il fallait comprendre les allégories et les paraboles. Mais depuis que j’ai senti qu’il s’agissait d’autres choses que des histoires à prendre au pied de la lettre, j’ai aussi compris que je n’arriverais pas vraiment à en parler. Comment utiliser le langage que l’on utilise tous les jours lorsque nous expliquons justement, pour reprendre les mots de Monique, ce qui est «spatial», pour parler de quelque chose qui ne l’est pas? Personnellement je n’ai pas cette habileté. J’imagine que la meilleure façon de faire, et peut-être la seule, c’est de raconter des histoires. De cette façon, nous rejoignons tout le monde, sans «détruire» le côté mystérieux de ce que nous essayons de décrire. Mais quel exercice! Difficile… Et après cela, il faut comprendre ces histoires non pas au sens premier, comme une description de simples faits, mais autrement…

      À quel moment utilisons nous le «Où» pour désigner autre chose qu’un endroit dans l’espace? «Où vas-tu?» «Où étais-tu hier?» «Où se trouve la route…?» «Où veux-tu que je dépose ceci?» Mais nous demandons aussi parfois «Où en es-tu dans ta réflexion?» «Où veux-tu que ton existence te mène?» Dans ces cas, attendons-nous encore une réponse du même ordre? Peut-être que oui, et c’est justement le problème sans doute. Je ne saurais dire, je commence à voir le problème, et je suis comme toi Monique, un peu perdue dans tout cela je crois.

      D’autre part, je trouve la citation suivante, empruntée au texte du frère Benoît, parlante, intrigante, et intéressante :

      « Les cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie !… Mais que tes yeux soient ouverts sur cette Maison jour et nuit ! » 1 Roi 8,27.29

      Comme nous sommes habitués à nous figurer les choses dans le temps et l’espace, il nous est sans doute plus facile de nous figurer qu’une Maison est plus propice qu’une autre pour rencontrer Dieu. On ne peut sans doute pas aller totalement à l’encontre de notre nature, ou à l’encontre de notre façon habituelle de voir les choses. Mais cette citation dit beaucoup plus. Nous pouvons sans doute être loin de l’église sans être loin de l’Église (je me risque ici à utiliser des mots que je ne connais pas beaucoup, vous pardonnerez si je comprends mal) si quelqu’un nous regarde là où nous sommes, où que nous soyons. Est-ce celui-là le où qui n’est pas spatial Monique? Cette réflexion peut nous aider à nous demander Où rencontrer Dieu, mais aussi peut-être où rencontrer l’humain. C’est l’expérience de l’enseignement qui me fait comprendre, lentement mais sûrement, que si nous ne regardons, ou si nous n’aller pas rejoindre les gens là où ils sont, au lieu des les forcer à nous rejoindre là où nous sommes ou là où nous voudrions qu’ils soient, ils ne nous entendrons pas, et nous ne nous rejoindrons jamais. Alors à quoi bon? Il doit y avoir un lieu, qui n’en est pas un, où nous pouvons nous rencontrer…

      • Frère Benoît dit :

        Merci Monique et Anne-Marie pour ces réflexions…

        Bien sûr ce « où » spatial est un peu provocateur… On peut rencontrer Dieu non seulement partout mais aussi en toute relation vraie… En chaque être humain… Et peut-être même en chaque être vivant… Mais je crois que cette question est pertinente et qu’elle touche un point sensible parce qu’il en va ici du spécifique chrétien. En tant que chrétien nous croyons que Dieu s’est donné à voir en Jésus Christ, que Dieu se révèle de façon unique en Jésus Christ… Qu’il n’est pas des idées, du divin, mais une personne qui veut entrer en relation avec nous, qui accueille nos recherches pour les conduire plus loin… On peut, soit comme les neuf lépreux de l’histoire poursuivre notre petit bonhomme de chemin en passant à côté de cette proposition et vouloir à tout prix découvrir Dieu par nous-mêmes (avec le risque de construire notre Dieu), soit découvrir ce mystère d’un Dieu qui vient nous rencontrer et se révéler lui-même dans un lieu spécifique Jésus Christ… Voyez la nuance, le « où » dont je parle est à la fois spatial et à la fois il ne l’est pas… Je parle d’une personne comme d’un lieu… Or ce lieu, Jésus Christ, nous est rendu accessible par l’Eglise en un double sens : c’est elle – c’est à dire les premières communautés chrétiennes- qui a écrit le Nouveau Testament, pour nous mettre en lien avec Jésus Christ, pour nous faire connaître cet Homme Dieu, pour nous transmettre ses paroles, ses façons d’être qui nous révèlent qui est le vrai Dieu, qui je suis et quel est l’humain réussi…

        Mais plus que cela encore, l’Église (avec un e majuscule, c’est-à-dire le rassemblement des disciples du Christ) est le lieu où Jésus-Christ se donne à voir et où il prend corps. Donc fréquenter une église, une paroisse, une communauté chrétienne c’est, au-delà de toutes les imperfections de ce lieu spécifique, sortir d’une relation idéalisée, utopique, irréelle avec Dieu pour entrer dans une relation concrète, incarnée, où je ne peux plus me bercer d’illusions. C’est aussi apprendre, avec d’autres, une vie plus ajustée à celle du Christ (il y a ici toute la dimension  » quête de justice » etc.. ; mais aussi relations vraies, pardon à redonner sans cesse etc…)

        Oui, construire une communauté humaine avec d’autres, non pas mondiale, mais locale, se frotter à d’autres, vivre avec des personnes non choisies, apprendre la fraternité concrète, se mettre à l’écoute, avec d’autres, d’une Parole de Vie, Jésus Christ, et se laisser irriguer par celle-ci… Tout cela, me semble t-il, ne peut se faire qu’en un lieu, bien spatial, bien concret, une église, une Église, une communauté de frères et sœurs à taille humaine…

        • Monique dit :

          Vous n’y allez pas de main morte ce matin ! !

          • Anne-Marie dit :

            Parler d’une personne comme d’un lieu… Voilà qui stimule encore davantage ma réflexion. (Et la tienne aussi sans doute Monique, toi qui t’intéresses depuis longtemps à la notion de personne). Je trouve votre dernier commentaire vraiment riche. Il y a dans ce mot matière à réflexion pour les jours à venir… au moins. Merci.

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