Comme la semaine dernière j’aimerais vous partager l’un ou l’autre élément de la semaine écoulée. Notre session s’intitulait : « De la jalousie à la louange ! »…
Pour nous donner un peu de grain à moudre, en plus de nos propres expériences, nous avons débuté la semaine avec le film Amadeus, de Milos Forman, qui met en scène la jalousie exacerbée de Salieri vis-à-vis de Mozart… Le film fait apparaître magistralement les ressorts de la jalousie…
Dans une première partie de la semaine, plutôt sous l’angle de vue psychologique, nous avons découvert ou redécouvert quelques vérités essentielles :
– D’abord, que tout être humain est marqué par la jalousie, qu’il ne s’agit donc pas de s’apitoyer sur son sort, mais de chercher à humaniser cette jalousie. Elle remonte en effet à la petite enfance, où l’enfant vit de l’illusion que son père et sa mère ne vivent que pour lui (mais cette étape est fondatrice)… Puis, petit à petit, il doit faire face à la désillusion : sa mère vit aussi pour son père, pour ses frères et sœurs, pour ses ami(e)s etc… d’autres personnes peuvent la rendre heureuse : ce qui fait naître la jalousie, non seulement le besoin d’être aimé, mais aussi d’être préféré… Dans le meilleur des cas, cette jalousie peut aider à grandir et à déployer ses propres atouts, mais une blessure demeure plus ou moins profonde…
– Deuxième découverte importante : la jalousie est parfois un mécanisme de défense face à la déception : la jalousie plutôt que la déception ! On peut voir notamment cela dans la vie d’un couple : au départ, on ne voit que ce qui est gratifiant chez l’autre – sa beauté, son intelligence, son humour etc. – puis, petit à petit, (comme l’enfant envers sa mère) on doit vivre une certaine désillusion… Plus l’idéalisation fut importante, plus la déception peut être grande ; alors, pour ne pas avoir à souffrir de cette déception insupportable, celle-ci se transforme en méfiance et en jalousie. Plutôt que d’être déçu par mes illusions et par l’autre, je préfère l’accuser et le rendre coupable. On voit très bien ce fonctionnement à propos de Salieri : au début du film, il a entendu parler de Mozart et il l’idéalise ; il cherche d’ailleurs, dans l’assemblée, à découvrir le visage de ce compositeur hors pair… Mais, quand il découvre que Mozart est un jeune homme dévergondé et libertin, sa déception est immense et se transforme en jalousie criminelle : « Pourquoi Dieu a-t-il choisi ce gamin insolent plutôt que moi ? Moi qui ne suis qu’un compositeur médiocre et pitoyable… » La jalousie, même si elle me fait souffrir, est moins douloureuse que de me décevoir moi-même et d’être déçu de l’autre… Et, bien sûr, cette jalousie réactive les blessures, les déceptions, les jalousies de mon enfance….
– Troisième découverte : la jalousie plutôt que la solitude. L’enfant, quand sa mère le quitte pour être avec d’autres personnes qui la rendent heureuse, découvre petit à petit la solitude. Il doit accepter des sentiments d’exclusion et cela lui permet de se construire : il n’est pas sa mère, un travail de différentiation s’opère donc. Paradoxalement, rester dans la jalousie peut m’éviter de faire ce travail de solitude. L’autre m’obsède, m’habite constamment et je ne suis pas seul… Je ne peux exister sans l’autre, mais dès que je suis en présence de l’autre, c’est sur le mode de l’affrontement…
Bref, j’ai déjà été trop long sur ce sujet…
L’autre versant de la session, plus spirituel, vers la louange, nous invitait à trouver des chemins de guérison :
– Reconnaître nos blessures et découvrir que c’est là particulièrement que Dieu vient nous rencontrer… C’est la parabole de la brebis perdue : non pas au sens de la personne perdue que Dieu va rechercher, mais dans le sens où Dieu va rechercher la part de nous-mêmes qui s’est égarée, qui est blessée… Voilà pourquoi cette 100ème brebis cause tellement de joie au berger, non pas parce que les 99 autres n’auraient pas d’importance, mais il en va ici de la joie de l’être unifié ! Nous retrouvons notre unité intérieure, nous ne sommes plus divisé. (cf Lytta Basset)… Nous pouvons découvrir à la relecture de notre vie que, dans les pires moments de notre vie, Dieu était là à nos côtés… et même qu’il se tient de préférence là, avec nos blessures, avec le cœur brisé. La résurrection ne prend sens que si nous laissons le Christ atteindre ce qui est mort en nous…
– À partir de cette guérison intérieure, nous devenons capables de pardon envers nous-mêmes, envers les autres, envers Dieu… Nous pouvons aussi convertir notre regard sur Dieu et faire la différence entre notre Père du ciel et les relations plus ou moins bonnes que nous avons eues avec notre propre père terrestre…
– Enfin, nous pouvons cheminer vers l’action de grâce, vers la louange pour les talents de chacun, pour nos différences, pour la beauté du monde. Dans la prière, nous pouvons cheminer vers un regard sur l’autre qui soit de plus en plus celui de Dieu : un regard bienveillant qui désire faire grandir l’autre à partir de ce qu’il est et qui nous donne de contribuer, chacun à sa place, à la beauté du monde et à l’avènement du Règne de Dieu…
J’espère que ce partage est compréhensible, car, une fois de plus, résumer une semaine en quelques lignes est un exercice difficile…
J’ai lu votre compte-rendu, plusieurs fois, P. Benoît, je l’ai médité, je l’ai expérimenté, je l’ai relu. Puis j’ai visionné le film Amadeus… que je n’avais jamais vu en entier tant la folie de Salieri me pesait mais surtout tant la grossièreté de Mozart me choquait. Je ne comprenais pas comment il est possible qu’un être aussi dévoyé comme celui montré dans ce film puisse créer la musique qu’il a faite. Cette fois, j’ai mis Mozart au second plan pour concentrer mon attention sur Salieri et les multiples formes de sa jalousie. J’ai ressorti « l’Homme du ressentiment », si habilement explicité par Max Scheler et j’ai pu mesurer la malignité de cette passion. Je crois, moi aussi, que le seul moyen de se libérer de cette jalousie pathologique, ce sera le recours à la prière. Mais cette prière sera-t-elle possible puisqu’il y a tant de « joie » à vivre de haine ? tant de désespoir dans l’illusion de l’abandon (contraire de l’autonomie) ? tant d’orgueil finalement ? Ça nous prendrait des « racines » que pourtant on ne peut ni s’inventer ni se donner à soi-même…