Le combat du roi…

C’est sous ce titre, un peu étonnant, que nous avons abordé, dans une nouvelle session, le combat spirituel. Le défi était de taille, car l’option de départ consistait à relire l’Évangile selon Marc, à partir d’un document vidéo portant sur un travail de mise en scène du rôle du Messie. Notre groupe en formation étant très international, il ne fut pas évident pour tout le monde d’entrer dans la démarche proposée… très occidentale… Pour ma part, j’ai trouvé la semaine bien intéressante et j’aimerais vous en partager quelques éléments :

Le support vidéo utilisé, intitulé Le combat du roi, est un ensemble de huit courts métrages de 30 minutes chacun, réalisés par Michel Farin, s.j. en 1986. Ils relatent le travail préparatoire à la mise en scène de l’Évangile selon saint Marc, à partir du point de vue du combat mené par Jésus pour « interpréter son rôle » de roi-messie selon l’Esprit de Dieu et non pas selon l’esprit du tentateur… Le document alterne les scènes de travail, où Michel Farin et trois acteurs lisent et méditent l’Évangile de Marc à la lumière de l’ensemble des Écritures, et les scènes de répétitions, où les trois acteurs cherchent comment rendre ce combat. En fait, l’essentiel se joue sur un troisième plan, celui du monde du spectacle, faut-il produire une pièce qui plaira au public et aux critiques, qui rapportera de l’argent et servira la carrière… ou faut-il être fidèle à l’esprit de l’auteur (Dieu) quitte à faire un fiasco (comme le fut, dans une certaine lecture, la vie de Jésus) ?

L’acteur, qui joue le rôle de Jésus, est entouré de deux actrices symbolisant l’esprit de Dieu d’une part et l’esprit du mal d’autre part. Et le combat se joue, à l’intérieur de l’acteur, sous ces deux influences, pour savoir comment tenir son rôle de roi, en fidélité avec l’Écriture. Comment aussi être fidèle à ce qu’il veut être en tant qu’acteur, en se laissant mener par l’esprit du bien et non par la tentation de la réussite.

Avec finesse, le réalisateur nous a permis d’entrer dans le combat intérieur de Jésus, qui est aussi le combat de chacun d’entre nous. Dès le début de l’Évangile de Marc, après le baptême de Jésus, celui-ci est conduit par l’Esprit au désert pour y être tenté… Mais la victoire, relativement facile de Jésus au désert, inaugure le combat de toute sa vie : sera-t-il un roi puissant, un messie guerrier ; tracera-t-il son chemin selon sa propre volonté ; sur quel registre devra-t-il combattre l’ennemi, le tentateur ; comment interpréter les Écritures, n’est-ce pas un Messie libérateur du joug romain qui est attendu, etc. ? À longueur d’Évangile le combat sera présent, tout au long du chemin Jésus devra cultiver son intimité avec le Père et se laisser conduire par son Esprit car, durant toute sa vie publique, le tentateur aussi sera présent, sous bien des visages : celui des scribes et des pharisiens qui font appel à l’autorité de l’Écriture et à la Loi ; celui du succès des guérisons, de la puissance des miracles et des foules admiratrices ; celui de sa famille qui le traite de fou ; celui du Temple beau et sacré ; celui de ses disciples – « dressons ici trois tentes »- ; et en particulier celui de Pierre : « Dieu t’en préserve, Seigneur, tu ne mourras pas à Jérusalem »… « Passe derrière-moi Satan ! »

Le combat le plus dur sera celui de la dernière heure, où Jésus semble être abandonné, non seulement des siens, mais même de son Père. Crucifixion de ses entrailles où la royauté qui lui est demandée est celle d’un roi démuni, blessé, bafoué, abandonné de tous ayant échoué apparemment dans sa mission… Et pourtant, dans ses dernier cris, il pourra dire à la fois : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » et « Mon Dieu… Entre tes mains je remets mon esprit »… C’est-à-dire que, jusqu’au bout, il se laissera mener par l’Esprit de Dieu et ne succombera pas à l’esprit tentateur : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! »

Pour passer du plan du combat de Jésus, au plan de nos propres combats intérieurs, nous avons emprunté le plan intermédiaire qui est celui du combat de l’acteur. Démarche nous permettant d’aller vers une actualisation de ce combat spirituel à mener tout au long de la vie. Pour l’acteur, le combat se jouait entre succès mondain ou fidélité à la Parole ; moyens clinquants du spectacle ou moyens pauvres et démunis d’une mise en scène fidèle à l’Évangile ; image de l’acteur adulé à l’ego hypertrophié ou acteur méconnu mais heureux de faire son métier avec authenticité…

Et dans notre société moderne ? Quels sont les masques qu’emprunte l’esprit mauvais, quelles sont nos idoles : notre liberté individualiste (je fais ce que je veux) ; notre efficacité (Je suis efficace et utile donc j’existe) ; nos droits (droit à un gros salaire, droit aux vacances à l’autre bout du monde, droit à la retraite à 60 ans, droit à être secourus au fond d’une grotte, droit à me déplacer comme je veux même s’il y a de la neige ou de la tempête, etc. ) ; notre désir d’un amour passionnel (où le(a) conjoint(e) est au service de la satisfaction de tous mes plaisirs) ; notre capacité à consommer (je consomme donc j’existe, la société ne raisonnant qu’en termes de clients, de consommateurs, d’électeurs…) ; Notre besoin de communication immédiate et de transparence voyeuriste (tout, tout de suite) ?…

Et quels sont les combats à mener dans nos sociétés :

–          un bonheur dû ou un bonheur à construire ?

–          un travail alimentaire ou un travail qui a du sens ?

–          l’efficacité ou la qualité relationnelle ?

–          l’utilitaire ou le temps gratuit ?

–          la consommation à tout va ou la consommation responsable ?

–          l’individualisme ou le désir de vivre ensemble (avec le sens du bien commun) ?

–          la satisfaction immédiate de tous mes besoins ou le sens du sacrifice ?

–          mes droits ou mes devoirs ?

–          des épreuves à fuir ou des épreuves à traverser ?

–          s’étourdir dans le bruit, s’enivrer dans toutes sortes d’addictions ou faire place au silence ?

–          vivre à la surface de nos vies ou prendre du temps pour leur donner sens ?

–          dépenser comme je l’entends ou savoir être solidaire ?

–          etc.

La dernière dimension de ce combat, d’ordre personnel, appartient à chacun… D’abord avons-nous conscience que nous avons un combat à mener pour être fidèle à notre vocation, à notre « rôle » à jouer de Fils de Dieu dans ce monde ? Avons-nous conscience que l’Esprit de Dieu est là pour nous guider, qu’il préexiste à la Création du monde, qu’il en est le fondement même et qu’il fut vainqueur, en Jésus-Christ, pour chacun d’entre nous ? Mais, en-même temps, sommes-nous conscients que l’esprit du mal, pas forcément personnalisé d’ailleurs, c’est-à-dire tout ce qui nous attire vers le bas, vers la médiocrité de nos vies, vers la mort mènera le combat jusqu’au bout… Le démasquer sous toutes ses formes et s’attacher à l’Esprit coûte que coûte, voilà notre combat spirituel ! À chacun de nommer les figures que prend l’adversaire dans son cas… À chacun de nommer ses propres lieux de vigilance… À chacun de repérer et d’utiliser les armes évangéliques qui lui permettront de s’associer à la victoire déjà obtenue pour nous !

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3 réponses à Le combat du roi…

  1. Jean-Michel dit :

    Merci Benoît pour ce partage.
    Quelles satisfactions peuvent nous aider à soutenir ce long et interminable combat ? S’il n’est qu’efforts et renoncements, on finit par y renoncer…Comment ce combat est-il source de bonheur dès ici bas ? Qu’en dit Ignace ? En ce qui concerne l’Assomption, je crois que le combat de la communion est certes lui aussi difficile, mais il apporte paix, empathie, solidarité…On est souvent gratifié en retour.
    Bonne semaine d’exercices.

    • Frère Benoît dit :

      Merci Jean-Michel pour tes réactions…
      Et oui il y a des pistes à creuser… Spontanément je dirais qu’en acceptant de consentir à la Vie, donc au Bien, au Beau, au Bon une joie profonde nous habite… (Ce qu’Ignace exprime en terme de « Consolations »…) De plus comme je l’évoquais en fin de texte… La victoire nous précède dans ce combat… Donc c’est dans l’espérance et la foi en la Résurrection que nous le menons ! Comme tu le dis « on est souvent gratifié en retour ».

  2. Josée dit :

    COMBATTRE OU LÂCHER-PRISE?

    Est-ce parce que je suis une femme, je vois dans ce texte davantage de matière à lâcher-prise qu’à combattre.

    Pour Jésus, accepter de se soumettre à la volonté du Père, n’est-ce pas un lâcher-prise, un renoncement à sa volonté personnelle ?

    Pour les scénaristes: « ou faut-il être fidèle à l’esprit de l’auteur (Dieu) quitte à faire un fiasco (comme le fut, dans une certaine lecture, la vie de Jésus) ? » Là également je vois un lâcher-prise par rapport aux résultats de son travail.

    Dans nos vies enfin, pour abandonner les idoles de la société moderne, pour vivre plus simplement, penser au bonheur des autres et à la santé de la planète avant la satisfaction de nos désirs, pour être heureux autrement… faut-il combattre ou plutôt ne faut-il pas une conversion, un retournement de nos valeurs et nos priorités?

    Pour poursuivre dans la spiritualité ignatienne , voici une pensée d’Ignace de Loyola qui s’applique bien ici:

    « Lorsque quelqu’un a renoncé complètement à ses idées propres, le désir qui lui reste alors dans le coeur coïncide exactement avec la volonté de Dieu sur lui  » (St Ignace de Loyola).

    Bonne retraite,
    Josée … la pacifiste 😉

    PS. Ignace a été soldat je crois. Peut-être de là l’idée de combat?

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