Voici un joli mot que je viens de découvrir et que j’aimerais vous partager… Car, d’une certaine manière il est très actuel, et complète, sous certains aspects, ce que j’évoquais à propos de la satiété… (Voir les commentaires du texte « Quelques découvertes ! »)
Qu’est-ce à dire ?
Ce mot grec xéniteia (ξενιτεία), difficile à rendre en français, nous vient du monachisme oriental pour qualifier l’exil volontaire, l’expatriation, le choix de vivre en étranger (racine xénos, étranger) en vue de la recherche de Dieu. Au sens premier, il s’agissait en effet, comme les moines du désert, ou comme les stylites au milieu de la ville (moine vivant en haut d’une colonne), de quitter la vie du monde pour se consacrer totalement à la recherche de Dieu. Cette expatriation, cette xéniteia, permettait de quitter sa famille, sa patrie, son milieu linguistique pour entrer dans le silence et le détachement. Cela pouvait se traduire par une peregrinatio, une vie de pérégrination, comme chez saint Benoît-Joseph Labre, pèlerin sans domicile fixe, n’ayant nulle pierre où reposer sa tête. De façon extrême, ce type de vie voulait signifier que nous ne sommes pas du monde, que nous sommes pèlerins sur cette terre, et que notre véritable patrie est en Dieu. Selon saint Jérôme, on ne peut être moine sans quitter sa patrie !
Une attitude intérieure…
On perçoit bien le risque de cette xéniteia, lorsqu’elle pousserait à rejeter le monde, notre condition humaine et charnelle pour vivre « comme des anges ». Cependant sa dimension prophétique demeure. Même si tous les humains ne sont pas appelés à quitter le monde, que quelques-uns vivent en moine, en exil de ce monde, rappelle à tous que notre fin n’est pas ici-bas mais en Dieu. La sagesse monastique va d’ailleurs pousser dans le sens d’une expérience intérieure de la xéniteia, non pas en partant sur les routes, mais en vivant toujours en exilé, sans se sentir pleinement chez soi, même dans sa cellule, bref en cultivant non pas la satiété d’une vie aboutie mais le désir d’une vie en Dieu. Il ne s’agit pas là de fuir sa condition humaine, mais de l’orienter vers sa finalité ultime.
Un concept fort actuel…
Dans nos sociétés modernes, nous sommes nombreux à vivre en étranger, hors de notre patrie. Mais cette expatriation est rarement volontaire, elle dépend souvent d’un contexte économique ou politique qui pousse à quitter son pays. Par ailleurs, la vie religieuse, de plus en plus marquée par l’internationalité, nous donne souvent l’occasion de vivre en étranger, loin de notre famille, de notre culture, de notre milieu linguistique. Sans nécessairement nous en rendre compte, c’est bien cette xéniteia que nous vivons alors ! Elle n’est pas facile, et relève d’une certaine ascèse, elle nous fait expérimenter une certaine solitude, nécessaire à tout chercheur de Dieu, mais par ailleurs cette expatriation nous fait également entrer dans une fraternité plus universelle, et une dimension de nous-même impossible à vivre sans sortir de son milieu : « Nul n’est prophète en son pays… ».
La vie religieuse, mais aussi toute communauté chrétienne, vivant d’une certaine manière cette vie hors du monde, n’a-t-elle pas à témoigner de cette xéniteia, au service de tous ? Indiquant à la fois la dimension « mystique » (hors du monde) de toute vie humaine et la dimension « éthique » (hors de notre cercle naturel) d’une fraternité plus universelle ? Au moment où renaissent bien des replis identitaires et xénophobes, revendiquer son statut d’étranger sur cette terre peut donner à penser et à vivre, non ?
Quelle justesse dans ces commentaires sur la XENITEIA
Il suffit de regarder agir mes voisins du Montmartre, anciens et nouveaux, venant de tous pays. Malgré leurs origines diverses, ils parviennent à témoigner de leur recherche de Dieu d’une manière qui ne cesse de m’inspirer…
Et pas besoin de colonne pour ça…
Xénitheia, un très joli mot, en effet ! Et le commentaire qui suit est tout sauf banal. Encore une fois ! Toutefois, en le méditant, j’ai eu tout à coup en bouche un goût de « ou bien… ou bien… » Est-ce la faute au mot ou au commentaire, ou aux deux ? L’un comme l’autre, je crois, nous laisse à une croisée : ou bien… ou bien…