De quelle manière ?

6 février 2011, 5ème dimanche A, Mt 5,13-16 /

« Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde… Qu’en voyant vos bonnes œuvres, les hommes rendent gloire à Dieu ! » Je ne sais pas quels effets produisent chez vous ces affirmations… J’entrevois trois réactions spontanément possibles : un complexe de supériorité, un complexe d’infériorité et un complexe de culpabilité… Comment les dépasser, comment les évangéliser ?

Pas de complexe de supériorité !

Se prendre pour la lumière du monde ! Voici un premier piège à déjouer. L’évangile nous dit bien que nous sommes lumière du monde, sel de la terre, « consacrés par la vérité de la Parole de Dieu » (cf  Jn17,17). Mais attention, les nuances, ici, sont essentielles ! Oui, le Christ, Dieu fait chair, est venu en personne nous révéler la Vérité, une vérité non pas purement notionnelle, mais existentielle, relationnelle, éthique et les disciples du Christ ont donc une mission unique de faire accéder à cette Vérité reçue ! Mais puisque la Vérité a pris chair en Jésus de Nazareth –Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14,6)–, ce n’est qu’à son exemple, qu’à sa manière, que nous pouvons vivre dans La Vérité et en témoigner ! Loin de vouloir se prendre pour la lumière du monde, de se placer en donneurs de leçon, et de partir en croisade contre les impies, il nous faut laisser la lumière du Christ rayonner à travers nos gestes et nos paroles ! Il ne s’agit donc pas d’imposer ce que nous avons compris de la Vérité du Christ, mais d’inviter d’autres à faire l’expérience de cette Vérité qu’est Jésus Christ. N’oublions pas enfin que ce texte se situe juste après les Béatitudes qui nous parlent de douceur, du service de la justice et de la paix, d’une pauvreté de cœur, au risque de la persécution, il n’y a donc pas à se tromper d’attitude ni à cultiver un complexe de supériorité !

Pas, non plus, de complexe d’infériorité !

Conscients de notre inadéquation avec l’idéal de l’Évangile, nous pourrions être tentés par le silence et par le relativisme, occultant ainsi la lumière dont nous sommes porteurs. Nombreux, en effet, sont les chrétiens qui n’osent plus parler de leur foi de peur de choquer, d’être incompris, ou d’être renvoyés à leurs propres incohérences… Et pourtant, c’est peut-être là que l’actualité du martyre peut trouver sa vraie place : nous sommes tenus d’annoncer l’Évangile, même si nous ne sommes pas au niveau de l’idéal de l’Évangile, et donc même au risque que l’on nous renvoie notre propre discours pour faire apparaître nos incohérences… En tant que prêtre, je suis bien conscient de ne pas vivre toujours ce que j’annonce, et pourtant je suis tenu de l’annoncer pour interpeller la vie du monde, la vie des autres mais aussi ma propre vie ! Par ailleurs, dans nos sociétés pluralistes, on veut à la fois nous faire croire que toutes les opinions se valent et dans le même mouvement nous imposer une pensée unique qui varie au gré des vents… Dans ce contexte sans repères, annoncer l’Évangile, à la manière de l’Évangile, devient toujours plus urgent ! Or, notre Église, de plus en plus minoritaire, a la chance d’entrer dans une pauvreté plus grande -en moyens, en personnes, en notoriété-, qui nous oblige à nous situer de façon plus juste, plus conforme aux Béatitudes et donc paradoxalement de pouvoir annoncer l’Évangile sans complexe d’infériorité puisque les pauvres sont proclamés bienheureux !

Dépasser aussi la culpabilité !

Troisième piège à éviter, celui d’une culpabilité stérile… Les bonnes œuvres évoquées dans l’Évangile sont explicitée avec une étonnante actualité dans la première lecture tirée du livre d’Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore. » (Is 58,7) Dans les grandes villes, nous sommes quotidiennement confrontés à cette situation. Chaque matin et soir, en me rendant aux études, je croise au minimum quatre ou cinq personnes mendiant une aide et, quotidiennement, je les ignore ! L’autre dimanche, au fond de l’Église, un homme est venu nous invectiver car le comité d’entretien de la paroisse faisait la quête pour des travaux pendant que des pauvres mendiaient à la porte… Les exemples ne manquent pas où la culpabilité peut nous saisir ! Mais est-ce au nom de la culpabilité que Jésus a mis en marche des disciples qui lutteront de bien des manières au cours des siècles contre la pauvreté et l’injustice ? Je ne le crois pas… C’est grâce à une liberté intérieure toujours plus grande, dégageant nos capacités à aimer, que notre vie peut devenir plus cohérente avec l’Évangile ! Avons-nous à rougir du fait que des pauvres viennent mendier aux portes des Églises ? S’ils s’y présentent c’est bien parce qu’ils savent pouvoir trouver là une aide… et même si celle-ci n’est pas dans l’immédiateté d’un mouvement sentimental, elle est bien présente dans les multiples œuvres suscitées et maintenues avec fidélité par des disciples du Christ… À chacun de nous d’y trouver sa place pour être, avec d’autres, sel de la terre et lumière du monde !

Alors, dépasserons-nous, grâce à l’Évangile,

nos complexes de supériorité, d’infériorité et de culpabilité,

pour trouver la juste manière d’être lumière du monde ?

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2 réponses à De quelle manière ?

  1. Pour éclairer ma lanterne sur la question posée, quoi de mieux que la relecture de la réflexion sur l’inculturation nécessaire ! Merci à Soeur Agnès KIM et au frère Benoît qui a rendu le texte accessible à ses amis du blogue.
    Dans le même ordre d’idée, sentiment de gratitude également pour l’accès au journal La Croix via le même blogue.
    Thérèse L.-V.

  2. Monique dit :

    Le maître mot de votre commentaire, P. Benoît, ne serait-il pas l’humilité ! Il faut être humble pour ne pas transformer les phrases fortes de l’évangile de cette semaine en complexe de supériorité, vous le dites très bien. Mais il faut être humble aussi pour ne pas trouver du réconfort dans une sorte d’évasion timide, car dire complexe d’infériorité, c’est souvent employer un autre mot pour déguiser notre crainte de ne pas exceller dans une entreprise fort difficile, d’être un témoin et rien qu’un témoin de la Lumière. Ou qu’un instrument. Voir la tâche à laquelle nous sommes conviés comme chrétiens, et comme humains, tout simplement ; reculer devant les difficultés d’un ouvrage qui se fait le plus souvent en catimini, petits pas par petits pas ; adopter les nihilismes à la mode comme autant de prétextes que l’on veut déguiser en bonnes raisons ; dire, en fin du compte, que « ces raisins sont trop verts »*, est, selon moi, un autre visage de l’orgueil.

    Il faut être humble, enfin, pour reconnaître, comme votre exemple le montre, que nous ne sommes pas capables d’aider, de secourir, tout un chacun, ni l’humanité toute entière. Il faut être humble pour souffrir à cause de la compassion que m’inspire telle situation injuste, la souffrir tout simplement et reconnaître qu’il y a là des choses qui me dépassent. Celui qui se sent coupable se convainc qu’il est en son pouvoir de changer le monde mais qu’il a choisi de ne rien faire, alors que celui, ou celle, qui est humble sait son impuissance en ces matières et l’accepte. L’accepte et prie, et que c’est tout ce qu’il y a à faire, mais qu’il faut le faire…

    Mais ces propos sont bien vains s’ils n’illustrent pas des cas concrets comme vous le faites avec vos mendiants aux portes des églises, ou comme, dans mon expérience, la difficulté d’éduquer aujourd’hui la jeune génération. Car il faut bien finir par éduquer… ; l’éducation est un acte de miséricorde, disait s. Thomas. Ou bien nous nous comparons, nous diplômés, à ces « pauvres ignorants » qui peuplent nos classes ; ou bien nous renonçons à enseigner parce que les expériences sont douloureuses et parce que la culture narcissique actuelle, le relativisme (que vous dénoncez à juste titre), l’individualisme et la culture technicienne ambiante, « c’est trop pour moi ». Ou bien nous nous déguisons, pour sauver notre âme, en ardent chevalier de la vertu et nous adoptons toutes les causes – celles qui sont à la mode, bien sûr.

    Au fond, ce qui manque, en plus de l’humilité, c’est la méditation des textes. Mais ça aussi, ça prend de l’humilité ! Vous aurai-je assez compris cette fois, Benoît ?
    * Mon de La Fontaine vaut bien votre Molière… ! !

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