Perfection ou sainteté ?

20 février 2011, 7ème dimanche A, Mt 5,38-48 /

Nous retrouvons, ce dimanche, la suite du sermon sur la montagne, avec cette finale problématique : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ! » (Mt 5,48) Nous avons déjà suggéré, la semaine dernière, que la loi exigeante de l’Évangile n’est applicable qu’en se laissant prendre par la grâce de Dieu, mais le découpage liturgique du texte nous invite à approfondir encore notre méditation.

Ils sont assez nombreux, au cours de l’histoire de l’Église, ceux qui voulurent être des parfaits, mais n’est-il pas significatif qu’ils finirent tous du côté de l’hérésie : manichéens, bogomiles, cathares, intégristes… ? Posons-nous donc quelques questions : de quelle perfection s’agit-il ? Cette quête de perfection est-elle humanisante ? Viser la sainteté n’est-il pas préférable ?

Quelle perfection ?

Notons d’abord que tous les exemples repris dans ce chapitre cinq de Matthieu ont à voir avec la relation aux autres : meurtre, adultère, répudiation, serment, loi du talion, procès, emprunt, amour des ennemis. Il va sans dire que la perfection demandée concerne donc l’amour du prochain et non pas des prescriptions liturgiques, cultuelles ou de bienséance. On sait, d’ailleurs, d’expérience que les « parfaits » -au sens des perfectionnistes névrosés du quotidien- sont impossibles à vivre. Dans la logique de l’Évangile, on peut aller plus loin et constater que la perfection dans l’amour tient dans l’art d’aimer les imparfaits – « Votre Père fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » – , dans l’art de pardonner aux pécheurs, dans l’art de rendre service même si je me sais exploité – « Si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. » – Une perfection donc qui consiste à aimer les imparfaits !… Vous voyez que nous sommes loin de l’intégrisme et de l’élitisme !

Une perfection humanisante ?

Comment entendre l’invitation de Jésus à la perfection, sans que cela produise des névroses, des obsessions, des troubles finalement peu humanisants ? Toute la Bible, depuis la Genèse, nous indique qu’une vie vraiment humaine se situe dans la reconnaissance, à la fois, que nous sommes semblables à Dieu (et aux autres) et, à la fois, que nous sommes différents. Le chemin de la vie n’est pas du côté du fusionnel, mais de l’altérité, de la chasteté ! Donc, le commandement : « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », ne peut conduire à se prendre pour Dieu, mais plutôt à l’accueillir comme un vis-à-vis, qui suscite mon désir sans jamais le combler -du moins ici bas-, sans quoi il n’y a plus de vie ! C’est ce dont parle la Genèse : du jour où tu transgresseras l’interdit qui te fait exister dans la différence, tu mourras (cf. Gn 2,17). Ainsi toute invitation exigeante de l’Évangile ou de la morale chrétienne, ne doit jamais s’entendre comme un discours fermé, élaborant l’image de « l’homme parfait », mais comme une interpellation qui relance chacun dans une quête d’humanisation jamais achevée (cf Xavier Thévenot). Il ne s’agit donc pas de vouloir coller, au quotidien, à la perfection (ceci serait de l’ordre du fusionnel et de la mort), mais de cultiver le désir d’une vie toujours plus humaine (de l’ordre de la chasteté et de la vie).

Soyez saints !

Dans la première lecture de ce dimanche, qui reprend le passage du Lévitique sur l’amour du prochain, nous trouvons une expression semblable à celle de l’Évangile : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » (Lv 19,2) Les termes de perfection et de sainteté sont-ils interchangeables ? Je ne le crois pas ! Comme évoqué ci-dessus, d’une part, la perfection peut être entendue de manière trop humaine, comme si une conduite irréprochable en tout domaine pouvait nous obtenir le salut (la mort et la résurrection du Christ n’auraient plus lieu d’être) ; d’autre part, la quête de perfection risque de nous entraîner du côté du fusionnel et non de la chasteté : « La sainteté ne consiste pas à être parfait : elle consiste à tenter de dépasser par l’action de l’Esprit, nos failles et, quand celles-ci sont indépassables, à les situer pour laisser Dieu mener son combat en nous dans la certitude qu’il nous aime tels que nous sommes…. Être chaste c’est renoncer à un monde sans faille, de purisme… être capable d’assumer la déception de ne point confondre sainteté et perfection. » (Xavier Thévenot). Comme nous le disions la semaine passée, ce n’est que par la grâce de Dieu, que par l’action de l’Esprit en nous, que par participation à la sainteté de Dieu-même que nous pouvons devenir saints.

Alors, vu toutes les précautions à prendre pour parler de cet appel à la perfection, et toutes les dérives de l’histoire que cette citation de l’Évangile a entraînées, ne vaudrait-il pas mieux promouvoir le langage de la sainteté plutôt que celui de la perfection ?

Bien des saints ne furent pas parfaits !

Nous autres, imparfaits, serons-nous des saints ?

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6 réponses à Perfection ou sainteté ?

  1. Ginette Coulombe dit :

    Le plus difficile pour nous les humains c’est de reconnaître et laisser agir la grâce en nous.Lâcher prise sur ma vie n’est pas chose facile même si je me dis croyante…Mon chemin de sainteté commence par les petites choses que je laisse à Dieu pour me faire devenir plus semblable à ce qu’il attend de moi comme son enfant bien-aimé. La vie devient plus simple et je suis capable d’émerveillement quand je suis dans ses voies.
    Est-ce que c’est mon chemin de sainteté? Je n’en sais rien mais je suis bien…avec Lui…en Lui …par Lui. Je choisis d’être avec…

  2. La simplicité du chemin de sainteté de Ginette C. me va tout à fait. C’est dans les petites choses que je me réalise — reconnaissant l’agir de la grâce en moi — de l’agir du Divin sur l’humain !

    Thérèsse L.-V.

  3. Josée dit :

    Parler de perfection, que ce soit dans le domaine spirituel ou professionnel a souvent pour résultat de nous faire sentir coupable ou incapable.

    J’aime bien comment le père Benoit l’aborde ici en la situant dans le contexte de cet évangile. Quelle perfection? Une perfection qui consiste à aimer les imparfaits !

    J’y vois en plus, une perfection qui consiste à ne pas juger / , à accueillir et aimer les gens comme ils sont – y compris soi-même. Le contraire de l’ancienne loi qui disait « Oeil pour oeil et dent pour dent ». Assurément on est loin de l’intégrisme et de l’élitisme !

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  5. Thérèse L.-Vézina dit :

    En 2014, même constat pour appuyer la pensée (2011) de Ginette C.
    Et, la liturgie d’aujourd’hui, ce 24 février 2014, rejoint Josée : « La tolérance dont parle Jacques (3, 13-18) nous permet d’accepter nos forces et nos faiblesses, et celles des autres. »

  6. Daniela et Christian Sacy dit :

    Dimanche dernier, le Pape a dû certainement s’inspirer de toi ( suite à ta méditation)

    «Un cardinal entre dans l’Église de Rome, pas dans une cour.» Il faut remonter loin dans l’histoire pour trouver une telle admonestation publique du Pape contre les cardinaux. Et pourtant François l’a fait, dimanche matin, au lendemain de la création de 19 nouveaux cardinaux, lors de son homélie dans la basilique Saint-Pierre, en présence des promus mais aussi de tous les autres cardinaux qui l’ont élu il y a presque un an.
    En s’adressant directement aux cardinaux, les yeux dans les yeux, le Pape a lancé: «Jésus n’est pas venu pour nous enseigner les bonnes manières, des manières de salon! Pour cela, il n’y avait pas besoin qu’il descende du Ciel et meure sur la Croix. Le Christ est venu pour nous sauver, pour nous montrer le chemin, l’unique chemin de sortie des sables mouvants du péché, et ce chemin, c’est la miséricorde. Être saints n’est pas un luxe, c’est nécessaire pour le salut du monde.» Puis il a décliné ce qu’il lui apparaît comme la sainteté d’un cardinal: «La sainteté d’un cardinal consiste vraiment en ce supplément d’oblativité gratuite. Par conséquent, aimons ceux qui nous sont hostiles ; bénissons celui qui dit du mal de nous ; saluons d’un sourire celui qui peut-être ne le mérite pas ; n’aspirons pas à nous faire valoir, mais opposons la douceur à la tyrannie ; oublions les humiliations subies. Laissons-nous toujours guider par l’Esprit du Christ, qui s’est sacrifié lui-même sur la Croix, pour que nous puissions être des “canaux” par lesquels s’écoule sa charité. C’est l’attitude, c’est la conduite d’un cardinal.»

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