Avant tout !

27 février 2011, 8ème dimanche A, Mt 6,24-34 /

Nous poursuivons notre méditation du sermon sur la montagne, avec des formules toujours aussi radicales : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent  […] Ne vous faites pas tant de souci pour demain […] Cherchez d’abord le Royaume ! » Or, pour chacune de ces expressions, nous aurions envie de nuancer l’affirmation : «  oui, mais on ne peut vivre sans argent (au moins dans nos sociétés modernes) ; oui, mais prévoir est plutôt sage ; oui, mais il faut bien nous nourrir et nous vêtir ! » Une fois de plus, le Christ indique un horizon pour nos vies, il ne nous livre pas des recettes toutes faites. Quelles sont nos priorités : l’argent, le souci du lendemain, la satisfaction de nos besoins ? Ou : Dieu, la confiance, le désir ?

Avant tout : Dieu !

Jésus ne nie pas la nécessité de l’argent, ne demandera-t-il pas à Pierre de payer l’impôt ? N’illustre-t-il pas le Royaume à l’aide de paraboles, sur les salaires des ouvriers ou sur la pièce d’argent retrouvée ? Les apôtres n’avaient-ils pas désigné l’un d’entre eux pour tenir la bourse commune ? Il va sans dire que l’argent, comme outil, comme moyen, n’est pas en soi mauvais. Jésus dénonce ici littéralement Mamon, « l’Argent personnifié comme une puissance qui s’asservit le monde » (cf. note de la TOB). Il s’agit donc de ne pas être esclave du dieu Argent ! Nous en sommes tous conscients, il n’y a pas vraiment à insister ici, sauf que… le discernement à opérer n’est pas toujours évident. Quand mon seul critère d’achat est le produit le moins cher, sans me soucier d’un salaire équitable pour les producteurs, de l’impact de ce produit sur l’environnement ou du travail délocalisé qu’il implique, ne suis-je pas esclave de Mamon ? Quand, même dans la vie religieuse, on place son argent sans se soucier de la moralité des entreprises qui le font fructifier, sert-on Dieu ou Mamon ? Je sais bien que l’usage toujours juste de l’argent n’est pas simple, mais gardons le cap du discernement et des progrès possibles en ce domaine. Avant tout, Dieu, et non pas Mamon !

Avant tout la confiance !

Par cinq fois, dans ce court passage, l’évangéliste nous invite à ne pas nous faire tant de souci ! Là encore, attention aux nuances, l’évangile ne nous dit pas de ne pas nous soucier de notre vie, de notre corps, de notre nourriture, de nos vêtements mais de ne pas tant nous soucier de ces choses, de ne pas nous laisser obnubiler par ces soucis. L’évangile n’invite pas à vivre dans l’insouciance et l’oisiveté – saint Paul aussi dénoncera fortement les oisifs : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3,10)– mais à vivre dans la confiance en Dieu qui libère des préoccupations. Comme toujours dans l’Évangile, il ne faut pas sortir cette recommandation d’une logique globale. Le Christ nourrit les affamés, invite à vêtir celui qui est nu et rassemble des disciples pour travailler à l’avènement du Royaume. Donc, la pointe du texte n’invite pas à se laisser vivre au gré du vent, mais à se décentrer de ses propres soucis, pour constituer une communauté fraternelle où chacun recevra ce dont il a besoin. N’avez-vous pas fait l’expérience que la mise en commun d’un certain nombre de biens permet à un plus grand nombre d’en profiter ? Nos sociétés redécouvrent, par exemple avec les « communautos », « vélolibs », friperies et autres jardins communautaires, qu’une vie plus fraternelle est possible. Avant tout donc, confiance en Dieu, confiance dans les autres et pas tant de souci…

Avant tout le désir !

« Cherchez d’abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroit. » Notez ici de nouveau que le texte, avec nuance et réalisme, ne nous dit pas de rechercher uniquement le Royaume mais de le rechercher d’abord, avant tout ! Nous le savons, si le Royaume est déjà en marche, il ne sera pleinement réalisé qu’à la fin des temps. L’Évangile nous invite donc, ni plus ni moins, à rechercher sans cesse quelque chose que nous ne pourrons jamais posséder ici-bas ! J’y reviens souvent, mais cela m’apparaît toujours plus essentiel dans tous les domaines de la vie : avant tout le désir ! Jésus insiste : « le Père sait ce dont vous avez besoin », ne mettez pas vos énergies à combler vos besoins, car si votre vie tient en cela, une fois vos besoins comblés, votre vie sera morte… ou alors on vous fera croire que vous avez besoin d’autre chose encore pour être heureux : le dernier rasoir à cinq lames, ou la dernière robe à la mode. L’évangile nous dit que rien, ici-bas, ne pourra combler notre désir de plénitude, notre désir d’aimer et d’être aimé. « La joie évangélique ne se situe pas sur le plan de la satisfaction d’un besoin ; elle survient à la suite de l’approfondissement d’un désir ! »[1]

Finalement, dans nos vies,

sommes-nous conscients de ce que nous recherchons,

avant tout ?


[1] cf. Henri Boulad, Chasteté et consécration, p.17

Ce contenu a été publié dans Commentaires de l'évangile dominical. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Avant tout !

  1. Ginette Coulombe dit :

    Une belle réflexion en ce dimanche.Quand je me questionne, que je prends du temps d’intériorité à travers mes jours, dans son ordinaire…Je me demande donc ce qui m’est nécessaire et essentiel dans ma vie.Beaucoup de choses me sont agréables mais bien peu m’est nécessaire et essentiel.
    La méditation est en premier lieu…nécessaire et essentiel et j’ajouterais agréable…Cela comble mon désir profond…tout le reste m’est donné et fait ma joie de vivre.Je peux à partir de là m’émerveiller…rire…avoir un coeur d’enfant et vivre en rendant grâces.J’accueille et je goûte la vie.
    Cela vous parait simple…essayez-le…

  2. Monique dit :

    Il y a ce dicton : « Vouloir le beurre et l’argent du beurre ».

    Est-ce ravaler le texte de l’évangile que de rappeler ce dicton ici ? Théoriquement, les choses « d’ici-bas » nous parlent plus que les choses de l’autre monde. Une brève recherche sur Google montre que même cette affirmation simple porte à confusion. Pourtant… !

    Le beurre, c’est un élément culinaire. Mais il est historiquement réservé à la cuisine fine et donc à ceux qui sont privilégiés – les pauvres se contentaient de saindoux, c’est-à-dire de la graisse des animaux. Donc vouloir le beurre, c’est vouloir pour soi le fin, le meilleur.

    L’argent du beurre : si le beurre est un aliment raffiné, alors, je peux, comme Perrette, rêver d’amasser beaucoup d’argent en le vendant. Mais si je vends mon beurre, je n’en aurai plus. J’aurai de l’argent mais rien à manger : l’argent, ça ne se mange pas, l’argent en tant que tel n’est pas un aliment. De plus, il est logiquement impossible d’avoir à la fois le beurre et l’argent de la vente du beurre.

    Si on rendait manifeste l’analogie, ça donnerait peut-être ceci : l’humain est dans la création, l’être le plus fin, le plus digne (même s’il n’est pas le plus fort), celui dont la nourriture vient des dieux, comme on disait dans l’antiquité. L’humain en tant qu’humain « nécessite » le meilleur – et le meilleur, c’est Dieu. Qu’est-ce donc qui le nourrira dans son chemin vers ? C’est ce qu’il faut découvrir, et chercher… L’argent, c’est un instrument à notre service, donc un esclave. Il ne nourrit pas, il sert. D’abord à la partie matérielle de notre être – car nous sommes aussi un animal : nous devons nous protéger du froid, nous devons entretenir notre corps ; puis à contenter notre sens du toucher : nous aimons le confort, cherchons le plaisir et fuyons la douleur. C’est déjà pas mal, mais cela ne nous distingue pas des animaux.

    En somme, chercher ‘d’abord’ le Royaume, c’est désirer quotidiennement vivre au niveau de la vie proprement humaine qui me distingue des autres animaux – en considérant chaque fois que la vie animale en nous doit être néanmoins protégée : corps et âme ne forment qu’un. Mais cette vie animale ne peut pas avoir la priorité.
    « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » est alors plein de sens et logiquement désirable. C’est concrètement vivre de l’Esprit et non de la chair, comme il est dit. L’être humain est, en tant que tel, un être affamé de divin… et non de viande. ‘Privilégier’ la viande, c’est oublier notre nature propre. Or, ça se fait beaucoup… ! L’Évangile nous dit sur tous les tons, il me semble, que ça, c’est pas bien, ni beau… c’est-à-dire que ça nous laisse sur notre faim… En fait, on ne pourra pas dire qu’on ne nous aura pas prévenus !

    Ainsi parlerait le philosophe, je crois, emboîtant le pas au P. Benoît. Non ?

  3. La méditation sur le thème «Avant tout ! » me rappelle que j’avais noté un conseil judicieux de Benoît Bigard, a.a., extrait de « La vie au Montmartre (Québec, juin 2005, no 13, p. 3) : « Il n’y a rien de compliqué sur notre route, mais plutôt une invitation à simplifier nos vies et à les centrer sur l’essentiel !».
    Cet essentiel m’avait alors ramenée à la «Liturgie des Heures» en la fête de saint Antoine de Padoue (13 mai) que le blogue me permettra de fragmenter :
    « Va pèlerin, poursuis ta quête, va ton chemin, que rien ne t’arrête. […] oublie l’éphémère […] Garde en ton coeur la parole ! Voilà ton trésor ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *