Proche des sujets abordés la semaine passée, mais avec un éclairage différent, nous nous sommes interrogés cette semaine sur la question de la transmission à des jeunes religieux d’une tradition spirituelle. Quatre temps pour aborder cette question :
- Quatre témoins…
- Qu’est-ce qu’une tradition spirituelle ?
- Comment nos congrégations se rattachent-elles, ou non, à une tradition spirituelle ?
- Comment former à la vie religieuse dans une tradition spirituelle ?
1. Quatre témoins…
C’est d’abord une Carmélite qui nous a présenté sa tradition spirituelle. Une des originalités de cette tradition tient à ses origines sans fondateur connu… De plus, né en Terre Sainte, au Mont Carmel, au XIIIème siècle durant les croisades, le premier groupe anonyme de Carmes devra très rapidement réinventer sa manière de vivre et se réapproprier l’intuition de départ. L’expérience de vie érémitique en Terre Sainte ne dura en effet qu’une cinquantaine d’années (tout au plus) et, dès avant 1235, ils rentrent en France. La tradition carmélitaine est donc marquée par une incessante réappropriation, d’où la référence non pas à un fondateur mais à des grandes figures ayant incarné, au cours des siècles, de manière exemplaire et nouvelle, l’esprit carmélitain : Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de Lisieux, Edith Stein etc… La vie d’une carmélite est suspendue à un fil unique : Faire l’expérience de l’amitié avec le Christ sur le chemin de la prière !
C’est ensuite une Petite Sœur du Sacré Cœur (Charles de Foucault) qui nous a présenté sa tradition. En partant essentiellement de la vie de Charles de Foucault. Trois traits marquants dans cette tradition : la vie de Jésus de Nazareth (vie cachée, recherche de la dernière place, crier l’évangile par sa vie et non par sa parole, un rayonnement de Dieu à travers nos faiblesses, découvrir la présence de Dieu dans la simplicité de la vie…) ; place de l’Eucharistie et de la Parole de Dieu (adoration, être avec, temps de désert, trouver l’équilibre entre présence à Dieu et présence aux hommes) ; La fraternité (frère de tous, se faire accueillant à tous, se laisser accueillir et aider, une nécessaire réciprocité, être avec et aller vers).
Troisième témoin, un dominicain, ou plutôt un frère prêcheur, nous a partagé sa tradition. Tout leur être doit être une prédication : Contempler et transmettre aux autres ce qu’on a contemplé ! Né au treizième, avant l’époque des spiritualités plus systématiques, ils n’ont pas, d’après le témoin rencontré, une spiritualité propre. D’ailleurs Dominique n’a rien écrit… Leurs sources sont plutôt la Parole de Dieu, le dogme et la méthode universitaire… Ils sont plus des théologiens que des spirituels. D’ailleurs leur tradition n’est pas porteuse d’une pédagogie spirituelle pour la prière d’oraison. Mais bien sûr de nombreuses traditions, sur la manière de vivre, sur la manière de gouverner (plus démocratique que la plupart des instituts religieux), sur la manière d’étudier marquent leur patrimoine spirituel.
C’est enfin un franciscain, ou plutôt un frère mineur, que nous avons rencontré. Dans sa présentation très personnelle de l’esprit franciscain il a insisté sur plusieurs points : le christomorphisme de François : se laisser conformer au Christ. N’étant pas un théologien, François insistera sur la forme de vie, sur la pratique, sur une incarnation littérale de l’Écriture. Par ailleurs notre témoin insista sur les multiples lectures interprétatives de la vie de François. Dès le départ, ces lectures multiples donneront différents visages du franciscanisme. Sur la pauvreté chez François, nous sommes invités à quelques correctifs : la pauvreté chez François n’est pas un ascétisme mais un retour à la source : Tout bien vient de Dieu ! Il ne travaillera pas à changer les structures sociales, il ne critiquera jamais les riches, car l’aspect du choix volontaire de la pauvreté est central. Il sera exigeant avec ses frères qui ont fait ce choix librement et non pas envers ceux qui ne l’ont pas fait. C’est sur cette base d’une pauvreté, où tout bien vient de Dieu, que François invitera à une fraternité, non seulement avec tous les humains, mais aussi avec les animaux, avec le règne végétal et le règne minéral. Et, au-delà même du terrestre, avec les astres, frère soleil, sœur lune, sœurs étoiles etc… Une communion de fraternité en Dieu… Il n’y a pas, pour autant chez lui, de culte des éléments. Cette communion se fonde sur une liberté courtoise et fraternelle. L’homme n’est pas le grand prêtre de la matière. La terre a des droits mais nous aussi, il ne parle pas simplement de notre mère la Terre, mais aussi de notre sœur la Terre… Nous sommes sur un plan de fraternité, d’égalité…
2. Qu’est-ce qu’une tradition spirituelle, qu’un courant spirituel ?
Non pas un sous-groupe de l’Église, mais une mouvance, un accueil original de l’Évangile. Une mouvance, donc quelque chose de dynamique, dans le sillage d’une figure de référence ou d’un groupe de référence, pas pour une tâche particulière, pas pour un lieu particulier. Mais un certain esprit, une manière de vivre, une intuition, des convictions, des accentuations, une ambiance, un rapport particulier à l’évangile (sélection de textes de prédilection, interprétation, réorganisation à partir d’un fil conducteur et diffusion de cette intuition dans toutes les dimensions de la vie) ; Une expérience fondatrice à laquelle on se réfère de manière dynamique ; Parfois une pédagogie spirituelle et toujours une structuration de la foi…
Il est à noter qu’un courant spirituel nourrit largement, au-delà de la vie religieuse, des laïcs ou des prêtres pas nécessairement « associés ». Mais existe-t-il des courants spirituels durables qui ne sont pas reliés à des instituts religieux ou de vie consacrée ?…
3. Comment nos congrégations religieuses se rattachent-elles, ou non, à un courant spirituel ?
Plusieurs cas de figure :
– Instituts nés en-même temps que le courant spirituel (par exemple quand l’initiateur du courant est également fondateur de la congrégation ou de l’ordre… Jésuites, franciscains…) Ici pas trop de problème, si ce n’est le risque de s’enfermer et le risque d’un rapport fondamentaliste au fondateur…
– Instituts nés au sein d’une tradition spirituelle… Ici aussi pas trop de problème, ils sont d’emblée marqués par leur courant spirituel. Exemple des congrégations de St Joseph fondées par le père Médaille, jésuite…
– Instituts nés par réinterprétation d’un élément de la spiritualité d’un courant : exemple des Carmélites apostoliques, ou de bénédictins apostoliques… Ici attention à ce que la réinterprétation ne trahisse pas le fond commun…
– Instituts nés sur l’inspiration d’un fondateur qui prend appui sur une spiritualité. Quel est le type d’appui ? Quelle est sa force structurante ? Sa cohérence ? Risque d’une faiblesse des sources spirituelles…
– Rattachements à plusieurs spiritualités… Cela peut être assez problématique, surtout lorsque l’on a été fondé pour une œuvre particulière… Ou bien il y a une spiritualité dominante, ou bien on fait du « zapping »… Il s’agit de construire une cohérence, et de ne pas fonder son identité sur des œuvres…
4. Comment former, dans la vie religieuse, à une tradition spirituelle.
Je serai assez bref, car j’ai déjà été trop long, mais disons que la transmission la plus problématique peut être du côté de la vie spirituelle, non pas du côté de l’intuition du fondateur, de la manière de vivre, des œuvres etc… Car si notre tradition comporte une pédagogie spirituelle (sur la manière de prier, sur l’accompagnement, sur la pratique du discernement, sur les vœux…) cela va bien. Mais, si elle n’en comporte pas, il faudra être particulièrement attentif à ces points (formation à la prière, accompagnement, discernement), pour les mettre en place en cohérence avec la tradition de la congrégation (et non pas selon les particularismes du formateur), et, si l’on fait appel à une autre tradition spirituelle, il est nécessaire d’en comprendre aussi la cohérence et la logique propre.
Ouverture…
Dans le contexte où de nombreux laïcs se rapprochent des congrégations religieuses pour partager leur spiritualité, les différentes questions évoquées pour la formation des religieux et religieuses résonnent également fortement pour la formation des laïcs. Cette actualité est une chance à saisir pour être plus au clair sur notre spiritualité, sur nos sources et sur notre pédagogie spirituelle…
Charisme ou patrimoine spirituel quelles questions!
Je préfère de loin le mot charisme qui me semble plus actuel et imprévisible que le mot patrimoine qui nous renvoie davantage au passé.
Les courants spirituels sont dynamiques et ont traversé les âges. Il me semble que ce n’est pas davantage une question de choix mais surtout de reconnaissance. Ayant cheminé depuis plusieurs années il arrive, par bonheur, que l’on reconnaît que le chemin parcouru et nos soifs présentes prennent la couleur de tel charisme incarné par une communauté. Tout à coup on se sent de la famille et le goût d’en vivre se fait plus pressant. Religieux et laïc nous sommes en route avec ce même Seigneur qui a milles visages pour nous attirer à Lui. Demeurons unis dans cette belle diversité qui fait la richesse de l’Église. Faut-il privilégier ‘un patrimoine’ plus qu’un autre ou plusieurs à la fois?