Nous voici donc de nouveau engagés dans le temps du carême… En voyant s’enchaîner ainsi, d’année en année, le cycle liturgique, je repense au P. Christian Blanc qui rêvait d’une année liturgique sur deux ans afin d’avoir le temps de voir venir et de savourer… Mais puisque nous n’avons pas le choix de maîtriser le temps et les saisons qui passent, essayons d’investir au mieux ce qui nous est donné. Cet aveu d’impuissance, n’est peut-être pas sans rapport avec l’expérience du carême : expérimenter le manque, pour cultiver le désir, au service de la vie !
Expérimenter le manque…
Il va sans dire que vouloir expérimenter le manque dans nos sociétés repues est d’une actualité criante. Les sociétés « modernes » veulent en effet nous faire croire que notre vie consiste à consommer, à combler nos envies, à fuir les soucis du quotidien par toute sorte d’évasion. Et, bien sûr, nous embarquons facilement dans ce mouvement puisqu’il fait appel à ce qu’il-y-a de plus primaire dans notre première enfance. Petit enfant nous croyons, en effet, que le monde tourne autour de nous, que les êtres qui nous entourent sont à notre service exclusif, jusqu’à croire qu’ils ne sont qu’un prolongement de nous même… Expérience fusionnelle de l’enfance, expérience de toute puissance consistant à satisfaire de façon immédiate tous nos besoins et à mettre à distance toute frustration possible. Or, justement pour exister, pour découvrir son identité d’être singulier, pour avancer vers une vie adulte, il va nous falloir expérimenter la frustration, le manque, le vide, l’altérité des êtres chers, qui n’existent pas que pour moi, qui ne sont pas des prolongements de moi ! Réinvestir de façon positive cette expérience du manque, est donc essentiel, ne serait-ce que pour grandir humainement.
Cultiver le désir…
Le manque n’est pas un but en soi, mais il permet d’ouvrir un espace pour autre chose, pour rompre le cercle qui ramène tout à moi, pour entendre mes véritables désirs. À vouloir satisfaire dans l’immédiat toutes mes envies, de nourriture, de plaisir, d’image, d’évasion, je risque de croire que ma vie consiste en cela. Le cercle infernal de cette course à la satisfaction de mes envies nouvelles peut me donner l’illusion d’une vie vraiment remplie, passionnante, réussie… Et puis survient un deuil, une épreuve de santé, et tout ce « beau monde » s’écroule. Le temps du carême, est justement un temps favorable pour sortir de cette spirale sans fin, ou pour y mettre un frein, afin de laisser place, non plus, à mes envies mais à mes véritables désirs. Désir d’aimer et d’être aimer, désir d’être heureux et de donner du bonheur autour de moi, désir d’absolu et de plénitude… En résumé désir des autres et du Tout-Autre ! Beaucoup font l’expérience de cela lors du pèlerinage de Compostelle par exemple, une vie toute simple, de silence, de marche, de manque, qui ouvre à la rencontre des autres et du Tout-autre. Il n’est pas anodin de noter que l’arrivée à Compostelle est souvent difficile, car le désir entretenu tout au long des semaines disparaît, et la simplicité de la vie du marcheur s’évanouit. Cette expérience, renvoie à une question plus essentielle : comment faire de notre vie un pèlerinage, une vie de désir, une vie simplifiée, une marche en avant vers les autres et le Tout-Autre ? Le carême n’est-il pas un bon temps pour se remettre en chemin ?
Au service de la vie…
Ces quelques réflexions d’Henri Boulad[1], à propos de la chasteté dans la vie religieuse me semblent fort éclairantes : « Dieu ne comble pas le vide de notre cœur en y versant sa consolation. Non ! Dieu n’est pas un substitut à l’amour humain, il ne compensera jamais l’absence d’une femme (ou d’un homme) dans notre vie »… « Lorsque nous sommes loin de ceux que nous aimons, nous devons tenir bon sans combler l’absence, c’est une très grande consolation, car le fait de laisser le vide béant sauve le lien qui nous unit. »… « Dieu ne comble pas le cœur qui se donne à lui : il le laisse vide, et ce vide est justement sa présence en creux au fond de nous ! » Evidemment ces réflexions interpellent bien au-delà de la vie religieuse. Elles nous redisent que dans tout état de vie, le désir est au service de la vie, de l’amour, de la croissance humaine. Nous sommes profondément des êtres de désir ! Mais pour apprendre à se maintenir dans le désir, cela prend toute une vie, et pas mal de carêmes…
[1] Henri Boulad, Chasteté et consécration, Anne Sigier, 2003, p.15 et 16
«Je vous laisse sur mes envolées, qui vous parraîtrons peut-être trop lointaines de la réalité… » Vraiment Benoît ? Tu n’as pas à t’excuser de nous inviter à la réflexion.
Si les rares pasteurs en qui nous avons mis notre confiance ne le font pas, qui d’autre ?
Quant à la réalité, les médias se chargent quotidiennement de nous livrer cette infinie tristesse…
La Vie est dans la Parole… pas dans la vie.
Ciel que je m’ennuie de Christian !
Raymond