Parabole du Royaume !

J’évoquais, début janvier, au seuil du cours de théologie sur la vie religieuse, la difficulté à parler de façon juste de la vie religieuse. Ce cours avec Sr. Sylvie Robert (auxiliatrice), vient de s’achever. Il fut assez long et touffu, et je ne puis vous en faire un résumé. Mais, comme à mon habitude, et en vue déjà d’un profit personnel, j’aimerais vous partager ce que je retiens surtout de ce cours.

Le fondement de la vie religieuse repose sur une expérience spirituelle originale : Un « Toi seul » dit au Christ sans autre « toi seul ». En effet toute vocation chrétienne est appelée à mettre le Christ au centre de son existence. Mais, dans le mariage le « Toi seul » adressé au Christ ne peut être effectif sans un « toi seul » adressé au conjoint[1]. L’élément discriminant de la vie religieuse, c’est-à-dire l’élément invariant qui caractérise la vie religieuse, c’est le choix du « célibat volontaire ». Il n’est pas choisi pour lui-même, ni en premier, il ne définit pas la vie religieuse, mais il se fonde sur une vie toute donnée au Seigneur.

Cette vie toute donnée au Seigneur prend corps essentiellement dans une « une manière de vivre ». La vie religieuse n’est ni au-dessus, ni au-dessous, ni en avant, des autres formes de vie chrétienne, elle est un choix explicite d’une manière de vivre : « La profession religieuse est inséparablement remise de toute sa vie à Dieu et choix explicite d’une manière de vivre[2] : la vie dans l’institut ou au monastère, la Règle de vie et tout le patrimoine spirituel de la congrégation ou de l’ordre, ainsi que les vœux tracent les contours de cette manière de vivre. »[3] Cette vie se place sous le primat de la Parole de Dieu, dans une vie fraternelle, portée par les trois vœux et dans l’attente du monde à venir[4].

Plusieurs auteurs, ont dénoncé la place trop  accentuée des trois vœux pour caractériser la vie religieuse, avec le risque d’une compréhension trop juridique et ascétique. Nous l’avons déjà dit, tout chrétien est appelé à vivre les conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Ce ne sont donc pas des traits distinctifs de la vie religieuse. De plus, les recherches historiques récentes font apparaître que la référence systématique aux trois vœux, lors de la profession religieuse, est relativement récente. La triade apparaît comme telle au milieu du XII siècle et ne s’impose définitivement qu’au XV siècle.  Les conseils évangéliques ne se limitent pas à trois, on pourrait nommer la miséricorde, l’humilité, la compassion, le service, la simplicité etc. De même, les vœux étaient variés au Moyen-âge : vœux de pénitence, vœux de faire pèlerinage… Philippe Lécrivain, relisant l’histoire de la vie religieuse, met en valeur l’unique vœu de profession, auquel s’engageaient les premiers moines. Les trois vœux « sont donc à comprendre comme les moyens concrets de vivre le vœux de « conversion des mœurs », d’engager notre vie toute entière dans sa durée, dans sa stabilité, et dans toutes les dimensions humaines corps et parole »[5].

Le renvoi au Royaume, à l’au-delà, c’est-à-dire la dimension eschatologique de la vie religieuse est aussi à préciser. Le mariage chrétien, en effet, renvoie lui aussi à l’au-delà. Le sacrement du mariage signifie que c’est en Dieu que se situent la source et l’achèvement de l’amour des époux. Cet amour aura à se défaire de la chair, ne serait-ce qu’au moment du décès d’un des conjoints, et à se tourner vers ce qui ne passe pas. Mais dans la vie religieuse la tension entre l’ici-bas et l’au-delà est vécue de façon différente. Le célibat, le fait de ne pas avoir d’enfants, une fraternité ouverte, nous tournent d’emblée vers le ciel. C’est à partir de l’au-delà que nous sommes renvoyés dans l’ici-bas, il s’agit de vivre ici-bas à partir du Royaume. Dans le mariage le mouvement est inverse, c’est à partir de l’ici-bas que la famille est renvoyée à l’au-delà, il s’agit de vivre ici-bas en vue du Royaume.

Enfin, pour penser la Mission de la vie religieuse, Sylvie Robert, nous propose de parler de « Parabole du Royaume » ! On a, en effet, souvent parlé de la vie religieuse en terme de réponse aux défis d’une époque, mais cette vision utilitariste de la vie religieuse pose problème. Jésus Christ a-t-il répondu aux défis de son temps ? (Si l’on pense à l’occupation romaine, par exemple, nous ne trouvons guère de réponse en Jésus Christ)… Les listes de défis à relever sont souvent interminables et engagent notre regard sur le monde sur le seul versant négatif au risque d’inciter à la déprime face à notre inefficacité. Et puis sommes-nous tellement hors du monde que nous viendrions de l’extérieur répondre aux défis ? L’autre expression très répandue fut celle de la vie religieuse comme un signe prophétique. Sans nier l’intérêt de ce langage, il n’est pas sans susciter d’autres difficultés : premièrement le signe n’est pas toujours perçu comme tel, il suffit de penser au signe de la mise en commun des biens qui, lorsqu’il donne lieu à de grandes institutions, n’est pas perçu, a priori, comme un signe prophétique de vie pauvre ! Deuxièmement, comment peut-on se proclamer soi-même prophète ? Nos préoccupations de visibilité et de lisibilité d’une vie prophétique risquent fort de nous tourner excessivement vers nous-mêmes. Enfin, il s’agit de laisser passer à travers nous la lumière de Dieu et non pas de nous prendre pour la lumière. Quant au Royaume son annonce est discrète et cachée : « Le règne de Dieu ne vient pas d’une manière visible. On ne dira pas : ‘Le voilà, il est ici !’ ou bien : ‘Il est là!’ » (Lc 17,20-21)

Penser la mission de la vie religieuse comme Parabole du Royaume, semble plus prometteur. D’abord, la parabole est modeste, elle ne dit pas « voilà ce que vous devez faire ou ne pas faire », mais elle donne à penser. Les paraboles partent toujours du quotidien, et invitent à le regarder sous un certain angle, en ce sens penser la vie religieuse, en tant que parabole, rend plus solidaire de ce que vivent tous les humains. La Parabole n’est qu’un récit utilisé par Dieu pour interpeller un auditeur. Le travail d’interprétation reviens à l’auditeur qui peut s’identifier à tel ou tel personnage de la parabole, pas toujours d’ailleurs en terme de modèle à suivre (que l’on pense au frère aîné de la parabole dite « du fils prodigue », ou encore aux vignerons homicides…) La Parabole donne à penser la vie, en référence au Royaume de Dieu, mais sans être de l’ordre du modèle à suivre… La vie religieuse peut, ainsi, être parabole, y compris à son insu, elle parle du Royaume de Dieu, sans prétendre être de l’ordre du modèle à suivre… L’efficacité de la parabole est remise à celui qui parle (Dieu) et à celui qui écoute… La vie religieuse est, de la sorte, décentrée d’elle-même. L’inefficacité de la vie religieuse, peut aussi parler du Royaume, la vie du Christ et sa mort en croix, fut d’abord un échec apostolique… La vie religieuse doit consentir à son impuissance, sans aucune démission pour autant… La Bonne Nouvelle du Royaume est souvent inefficace à vue humaine !

Il y aurait beaucoup d’autres choses à ajouter et à nuancer, mais j’espère que ce partage vous aura fait sentir un peu l’état de la réflexion théologique sur la vie religieuse… Pour ceux qui veulent aller plus loin, la meilleure synthèse actuelle se trouve dans le livret de la COREFF sur L’identité de la vie religieuse, référencé dans les notes… Merci à la sœur Sylvie Robert pour ce parcours…

Un « Toi seul » sans autre « toi seul »…

Une manière de vivre…

Une Parabole du Royaume…

Est-ce que cela éclaire l’identité de la vie religieuse ?


[1] Commission théologique de la Conférence des Religieux et Religieuses de France, L’identité de la vie religieuse, CORREF, Janvier 2011, p.26 Contact : www.corref.fr

[2] Philippe Lécrivain, Une manière de vivre, Les religieux aujourd’hui, Lessius, 2009

[3] CORREF op. cit. p.33

[4] Ibid. p.33-38

[5] Ibid. p.36

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Une réponse à Parabole du Royaume !

  1. Raymond Bélanger dit :

    J’aime !

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