10 avril 2011, 5ème dimanche de carême A, Jn 11,1-45 /
À l’approche de la semaine sainte, les récits évangéliques proposés à notre méditation sont de plus en plus dramatiques. Il en va ici de la mort, de cette question ultime que se pose chaque être humain, ce en quoi il se différencie des autres êtres vivants. Même Jésus « fut bouleversé d’une émotion profonde » (Jn 11,33) et pleura, non seulement sur la mort de son ami, mais sur la sienne à venir. En effet les miracles, chez Jean, sont appelés des signes et renvoient toujours au mystère du Christ et, en l’occurrence, lui aussi devra passer par la mort ! N’allons donc pas trop vite du côté de l’espérance, contemplons les attitudes des uns et des autres, dans ce magnifique récit, et mettons-nous à l’écoute de cet inouï de l’Évangile.
Prendre acte de la mort !
Les détails ne manquent pas pour nous dire que la mort ne peut être évitée, pas plus celle de Lazare que celle de Jésus, signifiant ainsi que le Messie n’est pas venu nous épargner la mort et la souffrance… -Ce que l’on demande pourtant souvent-… Jésus, d’abord, attend plusieurs jours, pour que la mort fasse son œuvre, avant de se rendre à Béthanie, préfiguration de ses propres trois jours au tombeau. Cela ne manquera pas d’interroger l’entourage sur sa supposée puissance : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » (Jn 11,37) ; ce que dira l’un des deux larrons en croix : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! », reprenant les remarques des badauds, c’est-à-dire l’insinuation du Tentateur lui-même au désert ! Question toujours aussi actuelle : « Dieu ne peut-il pas nous préserver de la mort, ne peut-il pas épargner ses amis ? » Eh bien non ! Pour passer de ce monde-ci au monde de Dieu la mort est un passage obligé, il nous faut en prendre acte. Jésus lui-même en frémit et en pleure, mais ne nous indique pas d’autre chemin.
Mourons avec lui !
Aviez-vous déjà noté que Thomas a une parole étonnante dans ce récit ? – Pour ma part je viens de la découvrir. – Puisque la mort va être le chemin de la glorification du Fils de Dieu, comme l’explique Jésus, et puisque celui-ci « se réjouit de n’avoir pas été là » pour empêcher cette mort, Thomas s’exclame : « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11,16)… Un tempérament bien trempé ce Thomas ! Au-delà du contexte, l’évangéliste nous indique, par-là, le chemin du vrai disciple. Rappelons-nous d’abord que Thomas est nommé le jumeau, notre jumeau, celui de tout disciple, celui qui devra croire sans avoir vu… Son élan de générosité atteste que le véritable disciple devra mourir, comme le maître, jusqu’à la croix et mourir avec Lui, en Lui… Il ne faut pas entendre ici un appel fanatique à écourter notre vie, mais une invitation à consentir à notre mort, faite de petites morts en attendant l’ultime ; une invitation à donner notre vie, comme le Christ, pour nos frères et sœurs, c’est-à-dire en mourant à nous-même sans vouloir faire valoir notre esprit de puissance, de domination, d’utilisation de l’autre à nos propres fins ; une invitation à mourir avec le Christ, et non pas seul : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra ! » (Jn 11, 25)… Mourons avec lui !… Sommes-nous prêts à faire nôtre cette parole de Thomas, lui qui subira le martyre comme les autres apôtres ?
Un inouï à croire !
Evidemment, ce texte n’en reste pas à la mort, il ouvre surtout une porte vers la Vie, mais comment rendre compte de ce passage inouï nécessaire ? Qu’est-ce qui le justifie, que faut-il faire pour mériter la vie en plénitude ? Rien, si ce n’est accueillir l’amour surabondant de Dieu ! Comme Lazare, dont on ne sait rien, ni de sa vie, ni de ses mérites, sinon que Jésus l’aimait… Par ailleurs, contrairement au récit de Luc qui évoque Marthe et Marie, c’est plutôt Marthe qui fait figure d’exemple ici : Marie semble submergée par le deuil, elle reste à la maison, elle se tient du côté de la mort, de ceux qui pleurent, de l’espoir déçu : « si tu avais été là ! » (Jn 11, 32). Marthe, malgré son deuil, s’ouvre à l’inouï : elle part à la rencontre de Jésus, elle s’ouvre au dialogue, elle affirme d’emblée sa confiance en Jésus : « Mais je sais que, maintenant encore, Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas. » (Jn 11,22) ; elle dit sa foi « théorique » dans la résurrection des temps derniers : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour… » (Jn 11,24) et enfin elle proclame sa foi, de façon beaucoup plus engagée : « Oui Seigneur, tu es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu ! »… Et pourtant l’inouï de la résurrection demeure, au moment de rouler la pierre, ses résistances (mieux rendues dans la traduction de la TOB) de nouveau s’expriment : « Seigneur, il doit déjà sentir… Il y a en effet quatre jours… » (Jn 11,39) N’est-ce pas merveilleux d’entendre les résistances de Marthe après son cri de foi ? N’est-elle pas notre jumelle, elle aussi, comme Thomas qui oscille entre ses élans généreux et ses besoins de preuves… ?
Prendre acte de la mort, consentir à mourir, et pourtant s’ouvrir à l’inouï de la Résurrection !
Quel sera notre chemin ?
Celui de Lazare, de Marthe, de Marie, de Thomas… de Jésus ?
La manière chrétienne d’en arriver à l’essentiel de l’exisence : Dieu !
« De la défaite et de sa transfiguratiion » dans Le Milieu divin (p. 85).
La relecture de Teilhard de Chardin oriente ma méditation du carême sur la possibilité d’intégrer les amoindrissements de l’existence (deuil, âge, épreuves, fin de vie) à l’établissement, autour de nous, du Règne et du Milieu divins ».