12 juin 2011, Pentecôte A, Jn 20,19-23 /
Cette fête de Pentecôte nous renvoie à la question de la présence effective, ou non, de l’Esprit Saint en nous : qu’en est-il de ce langage que chacun, grâce à l’Esprit, comprenait dans sa propre langue, ce dont nous parlent les Actes des Apôtres ? La manifestation des dons de l’Esprit est-elle caduque ? La puissance réconciliatrice, confiée par Jésus à ses disciples dans le même mouvement où il insuffle en eux son Esprit, n’est-elle plus effective ? Bref, nous qui sommes loin de certaines Églises où l’Esprit semble si tangible par ses manifestations insolites, sommes-nous vraiment crédibles en nous prétendant animés par le souffle de l’Esprit ?
Un Esprit agissant dans l’ordinaire !
Je suis resté marqué, lors d’un pèlerinage à Lourdes, par le témoignage du médecin responsable des questions liées aux miracles opérés à Lourdes. Son propos, limpide, consistait à dire qu’il y avait eu beaucoup de miracles au début des pèlerinages à Lourdes, afin de faire reconnaître ce lieu comme un véritable lieu de rencontre avec le Christ. Mais, puisque maintenant le sanctuaire est reconnu comme un endroit privilégié pour être renouvelé dans sa foi, dans son espérance, dans sa charité, les miracles ne sont plus autant « nécessaires ». Les véritables miracles de Lourdes, poursuivait-il, sont toutes les conversions de cœurs qui s’opèrent à la chapelle de la Réconciliation et sur tout le territoire du sanctuaire. La communion rétablie avec Dieu et avec les frères, voilà ce qui a valeur d’éternité contrairement à une rémission passagère d’un problème de santé ! Ce détour par Lourdes ne peut-il pas éclairer la question des manifestations de l’Esprit dans l’Église. Au jour de Pentecôte, au jour de la naissance -en quelque sorte- de l’Église, l’aspect miraculeux des manifestations de l’Esprit était certainement « nécessaire » -ou pour le moins utile- afin d’authentifier le message des premiers disciples et de le rendre audible. Mais puisque l’Église est maintenant globalement reconnue comme la communauté des disciples de Jésus Christ, les manifestations « extra-ordinaires » de l’Esprit sont-elles toujours autant nécessaires ? Cela ne signifie pas que l’action de l’Esprit aurait disparu, bien au contraire, mais qu’elle doit prendre consistance, de façon encore plus profonde, dans la vie ordinaire des disciples… Pour se faire comprendre par tous, la glossolalie n’est pas nécessaire, mais la passion de l’annonce de l’Évangile avec intelligence et discernement est des plus utiles ! Saurons-nous rejoindre les questions, les attentes des humains de notre époque et de notre culture afin qu’ils puissent entendre et recevoir, aujourd’hui, dans leur quotidien, l’annonce de la Bonne Nouvelle ? Serons-nous au service de l’Esprit déjà agissant au cœur de leurs vies ?
Un Esprit sanctifiant toute la vie !
Un autre témoignage, écrit cette fois, peut encore éclairer notre réflexion. Un théologien orthodoxe, Léonide Ouspensky, présentant la théologie des icônes, explique que l’icône est « un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifiée par la grâce ». Et de préciser que cet état de sanctification n’est pas à confondre avec celui de l’extase. En effet, « l’état extatique n’est pas une union de la nature humaine avec Dieu, il ne transfigure pas la créature. Il est une rupture de l’âme avec l’organisme sensible (raptus), une vision qui arrive parfois à des débutants dans la vie spirituelle. À mesure que le débutant croît dans la grâce, sa nature s’en pénètre tout entière ; il n’est plus ébloui par la vision du monde surnaturel ; il « connaît dès ici-bas, dès la vie présente, le mystère de sa déification » (saint Syméon le Nouveau Théologien, Sermon 83, chapitre 3). »[1][1] Ainsi la véritable action sanctifiante de l’Esprit, loin de s’exprimer par des manifestations extérieures plus ou moins étranges et insolites, consiste en une sanctification « paisible » de tout l’être, à la manière dont le visage d’un vieux moine témoigne d’une vie toute transfigurée par l’Esprit ! Serons-nous, à notre tour, témoins d’un Esprit sanctifiant toute la vie ?
Un Esprit guérissant les profondeurs !
« Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis… » (Jn 20,23) Comme nous l’évoquions avec Lourdes, le but de la remise de l’Esprit aux disciples, le but du salut est de réconcilier les humains entre eux et avec Dieu, c’est-à-dire de les faire entrer dans une pleine communion divino-humaine. Ici encore les guérisons extraordinaires peuvent être des signes d’une guérison plus profonde, mais c’est bien cette guérison des profondeurs, cette réconciliation de chacun avec lui-même, avec les autres et avec Dieu qui est la visée ultime. Serons-nous donc d’effectifs collaborateurs de cette guérison des profondeurs que veut opérer l’Esprit en chacun de nos frères ?
Finalement la discrétion de l’Esprit aujourd’hui n’est-elle pas significative :
d’une époque qui n’est plus celle des commencements,
mais celle de la Transfiguration de notre monde en train de s’opérer en profondeur,
dans la mesure où nous laissons l’Esprit agir, sanctifier et guérir à travers nous ?
[1] Le sens dogmatique de l’icône, extrait des Mélanges de l’Institut orthodoxe français de Paris, IV, 1948.
Oui laisser l’Esprit agir. Etre sous sa mouvance, lâcher prise, s’abandonner à Lui, une pratique de tous les jours qui rayonne sur mon prochain. Etre porteur de l’Esprit quel privilège! Prendre conscience des petits et grands miracles autour et en soi. Tout est grâce ! ! !
J’aime beaucoup la photo de la faille d’Aledjo. En ce jour de Pentecôte elle me fait penser à la force de l’Esprit qui ouvre des chemins dans des lieux parfois difficiles à franchir mais Il passe…pour nous conduire vers de l’inattendu…Il vient ouvrir en nous
des espaces d’intériorité et de fraternité. Aujourd’hui à la Basilique Notre-Dame de Québec, plusieurs néophytes d’origine africaine ont été confirmés. L’Afrique n’est pas si loin et grâce à l’Esprit du Ressuscité, qui nous invite à la rencontre, notre coeur s’ouvre aux dimensions du monde.
Merci pour les belles photos et bon séjour en Afrique.
Sur la « discrétion » de l’Esprit aujourd’hui…
…Et si ce n’était pas l’Esprit qui est discret mais nous tous qui serions devenus sourds et aveugles ? Dans un monde désormais « désenchanté » (Max Weber), comment pourrions-nous seulement imaginer être attentifs aux manifestations de l’Esprit ? Et puis, de quel Esprit ? La science a maintenant réponse à tout, elle a de plus toute notre confiance. La technologie s’occupe de nous et les miracles lui sont avant tout redevables, croyons-nous aujourd’hui. Nous, c’est-à-dire « nous », hommes et femmes d’aujourd’hui. Nous, mêmes croyants. Nous, élevés dans cette époque-là et donc insensibles à notre contexte – enveloppant par définition – qu’on appelle notre « culture »… de plus en plus technologique. Et si nous dormions encore (Héraclite) « en plein jour », c’est-à-dire dans la lumière qui pourtant est là mais que, dormant toujours, on ne voit pas ce qu’elle permettrait de voir ? Nos yeux seraient-ils devenus comme les yeux des chauves-souris ?
Et puis, puis-je dire que je suis toujours, et encore, mal à l’aise avec une question comme celle que vous reprenez, P. Benoît, du médecin de votre rencontre : « La discrétion de l’Esprit aujourd’hui n’est-elle pas significative d’une époque qui n’est plus celle des commencements ? » Ce qui me trouble dans cette phrase, c’est que j’aime croire que l’Esprit est quelque chose de personnel ; s’il est Amour, en effet, il ne peut être que personnel. Ce que vous rapportez de ce médecin de Lourdes me force à me poser la question suivante : Pourquoi le fait de voir de ses yeux les manifestations « visibles » de l’Esprit n’est-il plus aujourd’hui « autant nécessaire » à cette personne que je suis, moi ? Moi pour qui la vie est nouvelle dans l’histoire…
« Ma » vie n’a pas cette vision englobante qui me ferait dire que bon, les siècles ayant passé, je peux sauter par-dessus l’étape sensible de mon rapport à Dieu et considérer tout de suite… plus haut ! En somme : Comment « ma » foi, « mon » espérance, et «ma » charité peuvent-elles être nourries si elles ne s’ancrent pas dans le sensible d’abord ? En plus bref, c’est : comment « avoir des ailes si l’on n’a pas de racines » ?
Par ailleurs, pourquoi guérir les corps aurait-il moins de noblesse, ou de perfection, que guérir plus « en profondeur » ? J’y perçois une ombre de la vieille idée de la séparation de l’âme et du corps… ; je me trompe ? C’est en raison de la lecture que je fais de votre texte, P. Benoît, que ce dernier me pose problèmes (pas vous, le texte !). Mais peut-être encore une fois, suis-je trop prompte…
P.S. L’inculturation vous va trop bien ! !
L’Esprit Saint agit-il en nous ?
À des milliers de kilomètres, Togo et la faille d’Aledjo sont des réalités qui demeurent dans mon champ virtuel, grâce à la magie de l’Internet.
Quant à l’Esprit dont il est question, je crois pouvoir affirmer que son action se concrétise dans l’existence, le quotidien des pèlerins de bonne volonté que nous sommes . . .
La communion rétablie avec Dieu et avec les frères voilà ce qui a valeur d’éternité contrairement à une rémission passagère d’un problème de santé !
Cela m’a fait penser à ce texte de Dostoïevski ( les frères Karamazov) qu’on a vu avec Fr Édouard, ou Monique et Denise étaient elles aussi présentes.
Mais, je le répète, sont-ils nombreux, ceux qui sont comme Toi ? Et aurais-Tu réellement pu admettre une seule minute que les hommes, eux aussi, puissent résister à une tentation pareille ? La nature humaine a-t-elle été créée ainsi, pour rejeter le miracle et, aux moments les plus terribles de la vie, aux moments des questions spirituelles les plus fondamentales, les plus terribles et les plus douloureuses, être capable de se contenter du libre arbitre de son cœur ?
Oh, Tu savais que Ton exploit serait conservé dans les livres, qu’il atteindrait la fin des temps et les dernières limites de la terre et Tu as eu l’espoir qu’en Te suivant l’homme resterait avec Dieu, sans éprouver le besoin du miracle. Mais Tu ne savais pas qu’à peine rejetait-il le miracle, c’est tout de suite Dieu qu’il rejetait, car l’homme cherche moins Dieu que les miracles.
Et puisque l’homme n’a pas la force de se passer de miracles, il se créera des miracles nouveaux, mais qui ne viendront plus que de lui seul, et il s’inclinera devant ceux des guérisseurs, des vieilles sorcières, quand bien même il serait mille fois rebelle, hérétique et athée. Tu n’es pas descendu de la croix quand on Te criait, en se moquant, en Te narguant : « Descends de la croix et nous croirons que tu es Toi. » Tu n’es pas descendu car, là encore, Tu t’es refusé à rendre l’homme esclave du miracle, Tu voulais une foi qui soit libre et non pas miraculeuse. Tu voulais un amour qui soit libre, non les exaltations esclaves d’un prisonnier devant un pouvoir qui l’a terrorisé à tout jamais.
Or, là encore, Tu as surestimé les hommes, puisque, bien sûr, ce sont des prisonniers, même s’ils sont rebelles. Regarde autour de Toi, juge Toi-même, voilà, quinze siècles ont passé, vas-y, regarde-les : qui as-Tu élevé jusqu’à toi ? Je Te le jure, l’homme a été créé plus faible, plus vil que ce que Tu pensais de lui ! Est-il capable, dis-moi, est-il capable de faire la même chose que Toi ? En le plaçant si haut, Tu as agi comme si Tu cessais de compatir, car Tu demandais de lui bien plus qu’il ne pouvait donner – et qui agissait ainsi ? Celui qui l’a aimé plus que Soi-même ! L’estimant moins, Tu lui aurais moins demandé, et Tu aurais été plus près de l’amour, car le fardeau de l’homme aurait été moins lourd. L’homme, il est faible et vil.
Merci, Daniela et Christian de nous donner le fruit de votre réflexion. Ce texte des Frères Karamazov, il méritait d’être proposé à notre méditation. La littérature a souvent beaucoup d’intuition. À Gabriel qui me demandait : « Est-ce à dire qu’il « faut » fréquenter les textes littéraires ? », devinez ce que j’ai répondu… ! – – Certaines choses « donnent à penser », la littérature « force à penser ». Et pour peu que l’auteur soit une personne honnête, la littérature nous élève et prépare nos esprits et nos coeurs pour la découverte du transcendant. Ou du Transcendant parfois. Plus proportionnée à nos esprits que les grands textes que fréquente Benoît, elle nous initie en quelq
… j’avais pas fini ! ! Je disais « …en quelque sorte ». Elle nous familiarise, nous montre notre nature, en somme. Elle a, elle aussi, valeur d’éternité ! En elle, nous sommes donc chez nous, à « notre place ». Holderlin écrivait : « C’est poétiquement que l’homme habite. » C’est peut-être pour cela qu’il y a tant de poésie dans les textes saints !
Les oeuvres d’Homère nous viennent de beaucoup plus loin dans le temps que l’Histoire, du fond des âges en somme. Qui comprend cela comprend que l’histoire du peuple de Dieu vient elle aussi du « fond des âges » ! Est-ce que cela ne donne pas le vertige ? Ne force pas le respect ? Ne provoque pas l’admiration ? Au risque de faire frémir le P. Benoît (! !), je dirais que la littérature, c’est le miracle en continu !