24 juillet 2011, 17ème dimanche A, Mt 13,44-52 /
Trier, choisir, discerner… Autant de verbes qui pourraient convenir pour résumer le passage évangélique de ce dimanche. Attardons-nous surtout à la notion de tri, car elle est peut-être la plus problématique avec ces « anges qui viendront séparer les méchants des justes et les jetteront dans la fournaise où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 13,49-50) Mais avant d’en arriver à ce tri ultime, et pour le comprendre, il nous faut le situer dans la logique d’une vie selon l’Évangile. Ne réclame-t-elle pas des tris, des choix, des discernements dans toutes les dimensions de notre vie : dans notre histoire personnelle, dans notre culture et pour le Royaume ?
Faire du tri dans son histoire personnelle !
« Tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. » (Mt 14,52) Notons d’emblée la perspective : c’est dans l’optique d’être de plus en plus « disciple du Royaume » que des choix sont nécessaires, sans quoi ils n’ont pas de sens. Ainsi la façon d’assumer, comme chrétien, notre histoire personnelle, ne relève pas d’un simple humanisme, ou d’une visée de développement personnel. Il s’agit, certes, d’accueillir ce qui nous a façonnés, mais d’y opérer un tri au tranchant de l’Évangile. Nous avons reçu, par exemple, certaines traditions familiales : une famille « tricotée serrée » -mais du coup pouvant exclure l’étranger- ou une maison accueillante ; un sens exigeant du travail -parfois au détriment des personnes- ou une valorisation des dons de chacun ; une culture du non dit, ou une parole libre et facile, etc… Toute cette culture familiale nous marque encore aujourd’hui, mais elle n’est pas d’emblée évangélique ! Il nous faut opérer un tri à la lumière de l’Évangile : qu’est-ce qui doit être gardé et qu’est-ce qui doit être rejeté de cette tradition familiale ? Comment tirer de ce trésor du neuf et de l’ancien ?
Faire du tri dans sa culture !
« On ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien ! » (Mt 13,48) Lorsque l’Évangile rencontre une culture, ce tri s’opère nécessairement. Ce fut le cas par rapport au judaïsme, mais aussi dans toute démarche missionnaire à la rencontre d’une autre culture et d’une autre religion (culture et religion sont souvent très liées). Mais attention, il ne suffit pas de venir d’une culture de tradition chrétienne pour être en phase avec l’Évangile ! La façon dont le christianisme prend forme à une époque donnée et dans un lieu donné n’a rien d’absolu et doit être sans cesse interpellée par l’Évangile. De plus, l’histoire nous a appris que lorsque le christianisme devient religion d’état ou l’unique référence d’une société, il s’éloigne de plus en plus de l’Évangile et se laisse enfermer dans un système religieux et des institutions de plus en plus idolâtrés pour eux-mêmes. Il nous faut donc, sans cesse, faire œuvre de discernement et opérer un tri salutaire parmi ce que nous recevons de notre culture, fut-elle chrétienne. L’efficacité, la rentabilité, la méritocratie, la culpabilité sont-elles évangéliques ? Dans d’autres cultures, apparemment moins performantes, le temps pris pour la rencontre, pour la fête, pour la palabre n’est-il pas plus évangélique ? Que restera-t-il, lors du tri final, à amasser dans les paniers du Royaume ? Notre vie réussie selon les critères de notre culture ou ce qui, dans notre vie, aura contribué à une plus grande fraternité, au déploiement du projet de Dieu pour notre monde ? N’est-il pas urgent de faire nous-même le tri ?
Faire du tri en vue du Royaume !
L’évangile nous parle de ce tri, de ce choix, en termes radicaux : vendre tout ce que l’on possède pour acheter le trésor du Royaume ou la perle des perles ! C’est-à-dire, ne pas hésiter à relativiser ce qui nous a façonnés : notre histoire personnelle, nos traditions familiales, notre culture pour nous attacher à l’unique nécessaire : la quête ardente d’une vie selon le Royaume de Dieu ! Tout vendre pour acheter la perle des perles, ne consiste certainement pas à rejeter tout ce qui nous a constitués, mais à ne pas le prendre pour acquis sans discernement… Peut-être nous faut-il acheter de nouveau les trésors reçus, c’est-à-dire faire le tri, pour constituer notre trésor impérissable à partir de ce qui est ancien et bon dans notre histoire personnelle et collective, mais aussi à partir de ce qui est nouveau et très bon dans l’Évangile !
Disciples du Royaume,
n’est-il pas urgent de faire ce tri salutaire,
avant le tri ultime ?
Pourquoi ne suis-je pas capable de concevoir ce « tri » comme vous le voyez, P. Benoît ? Moi, je vois plutôt un deuil. Je ne suis pas experte dans la notion de deuil – dans le deuil vécu, oui, mais dans sa « notion », non. Je m’explique et peut-être allons-nous nous rejoindre : il me semble que le deuil serait quelque chose comme l’acte de ne plus activer, de ne plus actualiser ce qui appartient désormais au passé. L’acte de laisser les choses et les événements basculer dans le passé et les voir comme passés. Les choses et les événements ont sans doute laissé des traces dans notre mémoire, dans notre âme, dans notre corps, mais n’est-il pas important de leur donner le lieu temporel qui leur appartient ? Vouloir les « trier » comme vous dites, n’est-ce pas vouloir en garder quelques unes ou quelques uns « sciemment » ? Mais la question sera : lesquels ? Quelle sera alors la mesure qui permettra de juger ? Il est dit que Dieu nous jugera, mais il est, lui, la Mesure. Nous, où trouverons-nous la mesure, l’aulne ? Vous dites « à la lumière de l’Évangile » et vous avez sans doute raison… Mais l’Évangile ne dit-il pas aussi au jeune homme riche : « Va, vends tous tes biens et suis moi. » « Tous tes biens » ne sont-ils pas aussi bien les biens matériels (quoique) que les croyances et les préjugés, les plaintes et les regrets, les habitudes et les peurs… ? Pourquoi l’Évangile dit-il « tous » ? Méchant deuil ! Que reste-t-il alors ? Il resterait le pur désir de Dieu, de la Vérité, de l’Amour, de la Vie… il me semble… Ou dit autrement, il resterait « une quête ardente d’une vie selon le royaume de Dieu », comme vous le dites ; une véritable conversion au sens propre du terme comme retournement. Platon disait : tourner le regard de l’âme. J’aime bien cette formule. Il resterait ainsi d’accepter de se laisser « créer » à nouveau chaque jour, et chaque jour, ça veut dire aujourd’hui, demain n’existant pas non plus sinon dans notre imagination. Dans la vie temporelle nous faisons des plans qui tiennent compte de demain mais je crois qu’il faut se convaincre que ces plans que nous faisons ne sont qu’à titre hypothétique. Le vrai est maintenant.
En fait, je crois de plus en plus que c’est la seconde partie de l’évangile qui vous aura frappé alors que moi, je suis restée à la première, celle avec la perle. Quand on a vu cette perle, ne la veut-on pas par-dessus tout ? Vendre ses biens pour l’avoir ne concerne plus le seul discernement, peut-être, et sous toute réserve cela concernerait surtout le cœur, le désir, la quête « ardente »…. Cela vaudrait, si je « n’erre » pas trop, pour toute personne, toute culture, toute époque. Cependant, pour accepter cette hypothèse, ne faut-il pas considérer l’homme comme un être affectif avant que d’être rationnel ? Nos choix de vie ne relèvent-ils pas à toute fin pratique d’abord de l’affectif ? Le Royaume des cieux est quelque chose que l’on « désire », non ?
On en revient à cette fameuse notion de désir pas du tout évidente…
Il est bon que vous soyez revenu au blog !
Monique,
Je suis assez d’accord avec toi. Tout en écrivant ma méditation, je n’étais pas tout à fait persuadé que le concept de tri soit le plus juste, mais c’est le tri évoqué par l’évangile du jour qui m’a induit à développer ce vocable. Je me disais en effet que tout ce qui nous as façonné doit être assumé et orienté vers la vie… A l’automne dernier, j’ai composé un chant dont les paroles sont les suivantes :
1. Tu connais mon histoire,
Elle ne fut pas toujours ce que j’aurais voulu.
Mes chemins illusoires, pourquoi les ai-je donc parcourus ?
Et pourtant…
Ref. : Consentir à sa vie, Seigneur, s’allier avec la Vie, Seigneur,
Il n’y a pas d’autre lieu pour être fils de Dieu.
Consentir à sa vie, Seigneur, s’allier avec la Vie, Seigneur,
Il n’y a pas d’autre lieu pour apprendre à aimer !
2. Tu connais les souffrances,
Du frère près de moi qui ne sait pas aimer.
Blessures de l’enfance, lui aussi voudrait les oublier !
Et pourtant…
3. Tu connais notre monde,
Et ses guerres sans fin pour la domination.
Massacre de la Terre, et pollution de ta Création !
Et pourtant…
4. Tu vois aussi en l’Homme,
Les puissances de vie que tu y as semées.
La beauté de son être, façonné de ses fragilités !
Car on peut…
Le tri serait peut-être plus du côté du regard que l’on porte sur son histoire, sur sa culture afin d’en retenir ce qui est source de vie (selon l’évangile) et de laisser brûler au feu de l’amour de Dieu ce qui ne l’est pas… C’est peut-être aussi cela le deuil à opérer…
Suite possible…
Vous dites, P. Benoît : « Je me disais en effet que tout ce qui nous a façonné doit être assumé et orienté vers la vie… » Cela me semble juste mais un peu plus tard, une question m’est venue : « Comment réussir cette acceptation, cette « assomption » et cette orientation vers la vie ? » On peut le dire, mais comment le faire concrètement ?
En lisant un tout petit bouquin tout à l’heure, j’ai vu une piste : je me suis mise à penser, avec George Steiner – n’ayez pas peur, les philosophes sont des amis à moi -, qu’en effet, comme vous dites, le « regard que l’on porte sur son histoire, sur sa culture [permet] d’en retenir ce qui est source de vie (selon l’évangile) », et que ce regard nous découvre, en même temps, l’horizon de ce qu’il y a en nous de plus intime… Or cette intimité est bizarre : elle est un lieu, dit George Steiner, « qui n’est pas un lieu, un temps qui n’est pas compté par le temps, une langue qui n’est pas le langage,. Ce lieu, ce temps, cette langue peuvent faire l’objet d’un désir, ils laissent pressentir une forme spéciale de connaissance, peut-être de révélation ». N’est-ce pas que la philo rejoint parfois l’Évangile ?
Le plus étonnant, c’est que le poète (!) vient à dire : « Il n’y a pas d’autre lieu pour être fils de Dieu, il n’y a pas d’autre lieu pour aimer ». Je dirais alors, par analogie peut-être, que la poésie est aussi un lieu, lieu d’une langue qui n’est pas le langage. Aussi ce qu’elle laisse voir n’est peut-être pas de ce monde… En ce sens, la poésie est, comme telle, méta-phore. Du moins, j’aime à le penser… La poésie, la vraie poésie, est d’emblée orientée. Seriez-vous d’accord ?
À mes questions du début de ce second commentaire, je répondrais maintenant : mes questions étaient mal posées. Ce qui est en jeu, ce n’est pas un faire, c’est une attente. Une attente qui présuppose, qui est conditionnée par ce consentir dont vous faites état. Le tri, le deuil, o.k., mais pour la pureté de l’attente…