Suis-je bien vivant ?

28 août 2011, 22ème dimanche A, Mt 16,21-27 /

 Une fois de plus, la prédication de Jésus est déroutante, et particulièrement pour notre époque. Aujourd’hui, on  ne cesse de prôner le développement personnel, le déploiement de ses potentiels, l’affirmation de sa personnalité… Or le Christ nous parle de perdre sa vie, de prendre sa croix et de se renier soi-même ! Ce discours n’est pas vraiment dans l’air du temps et, par ailleurs, en quoi peut-il être intéressant ? Où est la Bonne Nouvelle dans ces propos ? Comme toujours, lorsque les paroles de Jésus nous déroutent, regardons sa vie et ses actes.

Perdre sa vie ?

« Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Ce que demande le Christ à ses disciples, ce n’est pas de faire ceci ou cela pour lui faire plaisir, mais de marcher à sa suite, c’est-à-dire d’emprunter le même chemin d’humanité, le seul chemin pour une vie pleinement réalisée selon le cœur de Dieu. Oui, il aurait pu employer sa puissance pour anéantir ses ennemis, mais alors comment aurait-il pu manifester l’amour de Dieu ? Oui, il aurait pu éviter la souffrance et la peine, mais alors comment aurait-il pu assumer la vie de tous les souffrants de cette terre ? Oui, il aurait pu « sauver sa peau », comme Pierre le lui conseille, mais alors comment aurait-il pu traverser le passage de la mort, comme tout humain y est contraint, afin de l’ouvrir à la Vie ? Oui, en un sens il a perdu sa vie, il s’en est laissé dessaisir, il ne l’a pas sauvegardée et, cependant, loin d’être une vie perdue, ce fut une vie pleine, comblée d’amour et source de vie pour tous celles et ceux qui ont croisé son chemin sur les routes de Palestine et qui le croisent encore aujourd’hui ! La vie du Christ fut-elle une vie perdue ?

Un choix théorique ?

Lorsqu’on avance graduellement dans le récit de l’Evangile, on voit bien comment peu à peu la croix se dessine à l’horizon ; comment, petit à petit, les choix de vie du Christ suscitent l’animosité d’un certain nombre et, finalement, comment il consent à cette mort infamante qui s’annonce. Porter sa croix, souffrir, donner sa vie jusqu’au bout, ne relèvent pas d’un choix théorique ! Mais c’est la fidélité du Christ à ses choix de vie, à ses options fondamentales en faveur de la vérité, de la non-violence, du respect de chaque être humain… qui le conduira jusqu’au don total de sa vie. Et ils sont nombreux, ses disciples, à avoir emprunté ce même chemin. Avaient-ils recherché le martyre, tous ses témoins qui ont versé leur sang plutôt que de renier ce qu’ils étaient ? Avaient-ils prémédité leur mort ces moines de Tibhirine, dont l’engagement auprès de la population les conduisit jusqu’au martyre ? N’est-ce pas plutôt la fidélité à leurs engagements et à ce qu’ils étaient qui leur permit petit à petit de consentir à donner leur vie ? Etait-ce un choix théorique celui du P. Maximilien Kolbe, lorsqu’il s’offrit au bourreau du camp d’Auschwitz en échange du père de famille tiré au sort ?… Non, ces gestes d’amour ultime ne relèvent pas d’un choix théorique, mais d’une décision préparée par bien d’autres engagements moins dramatiques ; mais d’une vie de plus en plus unifiée ; mais d’un cœur déjà façonné par la Parolede Dieu ; mais d’une vie rendue disponible à l’amour. Sans présager « en théorie » de ce qui nous sera peut-être demandé un jour, c’est cette disponibilité grandissante  qui relève de notre responsabilité pour l’instant !

Suis-je bien vivant ?

Revenons à la question de la Bonne Nouvelle, contenue dans cette invitation au don total… Finalement la question ne serait-elle pas : suis-je bien vivant ? Car retenir sa vie, la sauvegarder, n’est-ce pas finalement s’empêcher de vivre ? Les propos du Christ ne sont peut-être pas si loin de ces recherches effrénées de vie réussie, remplie d’activités de tous ordres… Mais pour quelle fin ? Si ces activités nous centrent toujours sur nous-même et notre petite recherche de bonheur, il y a fort à parier que ce remplissage superficiel ne nous ouvrira guère à une vraie vie. Mais si nos engagements, quels qu’ils soient, nous rendent de plus en plus disponible à la vie des autres, il y a fort à parier que la souffrance, nous atteindra, -peut-être même la mort- mais avec elle, l’amour et la vie ! Il y a ainsi des vivants qui semblent déjà morts, tellement leur vie est compromise avec l’exploitation des autres à leur service et des morts tellement vivants par ce qu’ils ont engendré dans leur sillage… Pour notre part : sommes-nous bien vivants ?

Perdre sa vie ou la garder ?

Un choix théorique ou un accomplissement ?

Suis-je bien vivant ?

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5 réponses à Suis-je bien vivant ?

  1. Monique dit :

    Je suis sûre que les lecteurs assidus du blog de frère Benoît se réjouiront de me voir revenue de vacances ! ! Ma présence chaque fois un peu « casseuse de fun » a très probablement dû leur manquer… ! ! Quoique ces mêmes lecteurs assidus ne sont pas sans avoir noté que la distance dans mes commentaires ne provient pas d’une mauvaise foi de ma part mais provient plutôt du mode de mes réflexions qui n’empruntent pas la voie homilétique de P. Benoît mais plutôt la voie (ou la voix) philosophique.

    Voici de nombreuses années maintenant que des philosophes montrent, souvent de manière percutante, combien la parole dans la société technicienne est « humiliée ». Les années ont passé et la technique s’est exacerbée ; le constat est plus que jamais d’actualité et la parole, surtout la parole de vie – celle de Benoît en est une – , est à ranger dans le domaine des choses « inutiles ». Il faut certes remercier la technique de nous donner la possibilité incroyable de rester en contact hebdomadaire avec le P. Benoît, mais en même temps, je ne crois pas qu’il faille entrer dans une parole d’Église comme on entre dans un parti politique : comme un fan aveugle ! Il faut poser des questions, et/ou même en soulever. Il faut chercher à serrer les mots de près afin de permettre d’en tirer une sève qui serait à hauteur d’homme (et de femme, si l’on veut…). Du moins, c’est ce que Platon, et après lui Augustin m’ont appris… Il faut être persuadés que la parole, en tant que parole, contient du vivant et le chercher – comme le bon cuisinier presse le citron ou la lime. Jésus lui-même n’a pas reculé devant la tâche de bousculer les idées reçues, les traditions et les manières des honnêtes gens, le langage même, etc.

    Benoît écrit : « Ce que demande le Christ à ses disciples, ce n’est pas de faire ceci ou cela pour lui faire plaisir, mais de marcher à sa suite, c’est-à-dire « d’emprunter le même chemin d’humanité » (c’est moi qui souligne), le seul chemin pour une vie pleinement réalisée selon le cœur de Dieu. » Or le chemin « d’humanité » de Jésus n’est pas étonnant, en un sens, puisqu’il est humain – comme le témoigneront ses angoisses, ses souffrances, ses humiliations, sa mort…, comme le témoigne déjà le fait qu’il soit « né des entrailles d’une femme », etc… En somme, ce sur quoi le commentaire de P. Benoît attire notre attention, je crois, c’est que Dieu nous veut humain dans le plus pur sens de ce mot. Et c’est là que le questionnement philosophique prend place : Qu’implique le fait d’être un humain ? Qu’est-ce qu’en nous, humains, tient de l’homme et qu’est-ce qui ne tient que de l’animal ? Ou même de la plante, un autre être vivant elle aussi ? Ou plus simplement : Que veut dire « vivre » pour un humain ? Peut-être que la réflexion du P. Benoît nous dit que pour savoir être un homme « selon le cœur de Dieu », il n’y a qu’à suivre les pas de Celui qui a été l’Homme par excellence. Et c’est pas bête : comment aurions-nous su nous comporter en homme si la chose ne nous avait été enseignée ? La thèse de ceux qui prétendent que nous le savons de manière innée a été depuis longtemps rejetée et condamnée, mais la tentation de nous y complaire reste malheureusement très forte…

    En résumé, ou bien nous choisissons de vivre à la manière de « la frêle silhouette de Nazareth », ou bien nous choisissons l’utilitarisme technologique ambiant. La première manière ne « sert » à rien, elle n’est qu’amour ; c’est la voie de la vulnérabilité acceptée dans toutes ses déclinaisons… La seconde est beaucoup plus triomphante, elle nous fait réussir dans la vie (!). On se croirait revenus au temps du Paradis terrestre alors que la question du « ou bien…, ou bien… » était posée pour la première fois… !

    Par ailleurs, je ne sais pourquoi le ton de cette lettre dominicale de P. Benoît a un goût de tout ou rien… ! Socrate, il y a 2400 ans, été mis à mort à cause de son parti pris radical pour la vérité, on l’a accusé, sommairement et avec passion, de corrompre la jeunesse et de bousculer l’ordre établi ; le Togo aurait-il quelque chose de cette intolérance inéluctable… ?

  2. Monique dit :

    Mon « ou bien… ou bien… » me fait peur. N’y aurait-il pas une autre avenue que ces deux-là ? Une sorte d’« accomodement raisonnable et tolérable » ? En fait, j’ai peur que non…, voilà pourquoi j’ai peur… !

  3. Interprétation difficile de cette prédication de Jésus !
    Les «Confessions» d’Augustin dont hier on a souligné la fête, parle d’une interprétation allégorique de certains versets de la Genèse et de la manière de tenter d’atteindre la lumière. Quant à Platon, sa philosophie de base n’est-elle pas de cerner ce qui est éternel et immuable ?
    Pour les vivants que nous croyons être, la bonne nouvelle c’est que la voix de Sokodé est là pour nous encourager à ne retenir que l’essentiel de l’essentiel. TLV

  4. Denise Rhéaume dit :

    A mon grand étonnement, mon état d’âme, à la fin du film des moines de Tibhrine, était dans une grande paix. Pourquoi je n’avais aucune révolte envers les tueurs? Pourquoi je n’avais pas envie de pleurer? Parce qu’ils avaient fait le bon choix, en accord avec l’Esprit de Jésus qui nous demande de renoncer à soi-même, de prendre sa croix et de Le suivre. Ils ont été dociles à La petite Voix en eux. Le Seigneur avait besoin de ces martyrs dans le mystère du pourquoi. Qui n’a pas dans sa vie une situation qui est dans le mystère du pourquoi?

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