Désir actif / Désir passif
Nous avons médité, lors de la fête de saint Matthieu, le 21 septembre, le récit de son appel, qui renvoie à une autre rencontre : celle de Jésus avec le publicain Zachée. Dans le cas de Zachée – vous connaissez bien le récit de ce petit bonhomme qui monte sur le sycomore pour voir Jésus – nous avons affaire à la rencontre de deux désirs. Zachée fait preuve d’un désir actif : il a tellement envie de voir Jésus qu’il prend tous les moyens pour atteindre son but ! Et Jésus, en le voyant, rejoint son désir au-delà de ses espérances : « Aujourd’hui il me faut demeurer chez toi ! »… Dans le cas de Matthieu la rencontre est plus asymétrique. Matthieu est « assis à son bureau » de collecteur d’impôts et toute l’initiative est du côté de Jésus : « il le vit », c’est-à-dire qu’il vit, non seulement cet homme assis, là, mais il vit en lui tout le désir inexprimé : celui d’une autre vie, de suivre Jésus, d’une vie pleine de sens ! Le désir était bien présent puisque dès que Jésus l’appelle, il se lève, il laisse tout en plan et il le suit… Sans questions… sans tergiverser… Nous avons donc l’illustration, à travers ces récits, de deux types de désir : un désir actif – celui de Zachée – et un désir passif – celui de Matthieu –. C’est le regard plein d’amour de Jésus sur Matthieu qui lui permit de dépasser son propre enfermement dans son péché, son manque de foi en lui-même et en sa capacité de changer… Bref, ce regard d’amour lui a permis d’accéder à son désir enfoui, de l’activer et de le voir comblé !
Le désir comme tâche
N’est-ce pas une de nos principales tâches d’homme que de creuser sans cesse le désir d’une vie meilleure pour nous-même et pour le monde ? De laisser le Christ et ses promesses aiguiser en nous le désir d’une vie d’amour et de plénitude ? De purifier nos désirs superficiels pour atteindre l’unique désir qui nous habite en profondeur. Saint Augustin qui prit du temps pour accéder à son véritable désir, nous indique ce chantier comme un travail essentiel pour nos vies :
« Sans doute tu ne vois pas encore ce que tu désires, mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d’être comblé. Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu dois recevoir ; tu étends cette poche ou ce sac; tu sais combien est grand ce que tu as à y mettre et tu vois qu’il est étroit. En l’étendant, tu augmentes sa capacité. De même Dieu en faisant attendre étend le désir ; en faisant désirer, il dilate l’âme ; en dilatant l’âme, il la rend capable de recevoir. Désirons donc, frères, parce que nous devons être comblés. » JN 4.6
« Telle est notre vie : nous exercer en désirant. Or, un saint désir nous exerce d’autant plus que nous avons détaché nos désirs de l’amour du monde… Vide à fond ce qui doit être rempli. Le bien doit remplir ton âme ; déverse le mal. Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es plein de vinaigre, où mettre le miel ? Il faut répandre le contenu du vase ; il faut purifier le vase lui-même ; il faut le purifier, fût-ce à force de peiner, à force de frotter, pour le rendre apte à recevoir cette réalité mystérieuse. Que cette réalité, nous n’arrivions pas à lui donner son vrai nom, que nous la nommions or, que nous la nommions vin, quelque nom que nous donnions à ce qui ne peut être nommé, quelque nom que nous prétendions lui donner, son nom est Dieu. » 1 JN 4.6.
« Tout désir qui appelle Dieu en nous est déjà une prière. Ton désir c’est ta prière. Il y a une prière intérieure qui jamais ne se tait : c’est ton désir. Si tu veux prier sans cesse, ne cesse jamais de désirer. Ce désir incessant, c’est ta parole. La tiédeur de ton amour sera le silence de ton cœur ; ton ardeur, le cri de ton cœur. » PS 37.14.
Un noviciat pour exercer son désir
Voilà donc bien une tâche centrale pour le Novice : exercer son désir ! Retrait, silence, coupure de son réseau naturel de relations… Non pas pour combler sa vie par la vie du Christ, mais bien pour creuser toujours plus le désir de Dieu, le désir du Royaume, le désir d’une vie toute donnée :
« Dieu ne comble pas le vide de notre cœur en y versant sa consolation. Non ! Dieu n’est pas un substitut à l’amour humain, il ne compensera jamais l’absence d’une femme dans notre vie »… « Lorsque nous sommes loin de ceux que nous aimons, nous devons tenir bon sans combler l’absence, c’est une très grande consolation, car le fait de laisser le vide béant sauve le lien qui nous unit. » … « Dieu ne comble pas le cœur qui se donne à lui : il le laisse vide, et ce vide est justement sa présence en creux au fond de nous ! » (Henri Boulad, Chasteté et consécration, Anne Sigier, Québec, 2003, p.15 et 16)
Evidemment je parle ici depuis mon lieu d’apostolat… Mais ce travail qui consiste à exercer son désir du Beau, du Bon du Bien… Ce travail de désencombrement de toutes les futilités qui remplissent notre vie n’est-il pas une tâche essentielle pour chacun ? La vie humaine n’est-elle pas notre lieu de Noviciat pour l’apprentissage de la vie en Dieu ?
À part cela la vie au Noviciat se poursuit bien, et le chantier intérieur, aussi bien qu’extérieur, avance… Voir ici des photos de l’avancement des travaux (extérieurs)
Échec et mat : 1 à 0 pour vous ! !