Avec, parfois contre, toujours au-delà !

16 octobre 2011, 29ème dimanche A, Mt 22,15-21 /

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mt 22,21) Cette célèbre réponse de Jésus qui ne se laisse pas piéger par l’embuscade tendue par ses adversaires, résume bien ce que fut son propre rapport aux autorités politiques de son époque, c’est-à-dire ni opposition de fond, ni soutien systématique mais discernement, tout en finesse, à la lumière de l’autorité suprême, celle de Dieu. Les affres de l’histoire nous ont appris que tenir une autre place que celle-là est antiévangélique : les périodes de collusion entre le « sabre et le goupillon » ne furent guère reluisantes, non plus que  les oppositions systématiques contre un monde supposé « foncièrement mauvais et dans l’erreur », qui ne reconnaissent pas la puissance de l’Esprit qui agit aussi en dehors de l’Eglise et qui nous précède. Dans un message du 11 octobre 2005, à un congrès tenu en Italie sur « laïcité et liberté », Benoît XVI évoquait « une saine laïcité de l’Etat en vertu de laquelle les réalités temporelles sont régies par des normes propres, auxquelles appartiennent aussi ces instances éthiques qui trouvent leur fondement dans l’essence même de l’homme », et invitait à « une “laïcité positive” qui garantisse à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique y compris dans le domaine public ». Pour promouvoir cette laïcité positive, ne s’agit-il pas d’agir avec les autorités, parfois contre et toujours au-delà ?

Avec !

Un de nos frères, spécialiste en éthique économique, ne manquait pas une occasion de dire qu’il aimait payer ses impôts ! Pourquoi ? Tout simplement parce que l’impôt est une façon d’organiser la solidarité entre tous les membres d’une nation, de fournir des services publiques, de répartir les richesses, etc. Evidement la question de la justesse de l’impôt est une autre affaire ; et le contrôle de son utilisation demande une attention constante et un jeu de contre-pouvoir effectif. Mais sur le fond, un impôt juste et bien mis en œuvre est une chose excellente et qui va tout à fait dans  le sens des exigences évangéliques d’une société plus juste et plus solidaire. Jésus ne semble pas dire le contraire à propos de l’impôt à César. Nous le savons, même si la société de l’époque est bien éloignée de la nôtre, l’empire romain a permis un développement économique et culturel, une stabilité, la mise en place de structure juridiques… De plus, il pratiqua – sauf à de rares périodes – une laïcité positive, en permettant à chaque peuple de poursuivre sa pratique religieuse si elle ne mettait pas en cause l’autorité romaine. L’Évangile nous invite donc clairement, comme chrétiens, à travailler avec les autorités et avec la société civile sur la base de valeurs humaines partagées. Bien des valeurs évangéliques nous ont été restituées d’ailleurs par la société civile, parfois en avance sur une institution ecclésiale encline au conservatisme : que l’on pense à la déclaration des droits de l’homme, au respect dû àla Création, à l’égalité homme-femme, etc.

Parfois contre !

Il n’est pas banal de noter que Jésus ne s’en prend jamais, dans les évangiles,  aux autorités romaines, mais souvent aux autorités religieuses de son époque et parfois au pseudo-roi Hérode à la solde des romains. Cependant, les premières communautés chrétiennes, se trouvant dans un autre contexte, celui d’un empire persécuteur, devront résister au pouvoir en place ! Notons bien qu’il ne s’agissait nullement d’imposer les vues chrétiennes à l’ensemble de la société, mais de défendre leurs droits à honorer le vrai Dieu et à refuser l’idolâtrie de la religion d’Etat. Ces luttes pour le respect des droits des chrétiens à vivre leur foi seront de tous les temps et de tous les lieux : que l’on pense, par exemple, aux idéologies laïques voulant imposer la « religion de la non-religion » ; aux régimes communistes persécuteurs d’hier et d’aujourd’hui ; ou aux religions d’Etat intolérantes. Non, nous n’avons pas à imposer un régime chrétien à l’ensemble de la société, mais nous avons le devoir de lutter avec nos frères qui ne partagent pas notre foi, contre tous les régimes injustes, inconséquents, incompétents qui abusent de leur pouvoir et méprisent la dignité humaine.

Au-delà, toujours !

Dans la sentence de Jésus, il en va bien d’une certaine autonomie du temporel et du spirituel, qui ne sont pas du même ordre, mais  aussi d’une mise en perspective du respect envers l’autorité temporelle par rapport au respect envers l’autorité divine : l’impôt qui est dû à César n’a pas le caractère définitif et absolu de l’obéissance à Dieu. Certes nos sociétés doivent s’organiser pour le mieux, mais notre visée ultime, c’est le Royaume de Dieu ! Au-delà de l’ordre établi, au-delà d’un engagement citoyen, au-delà des appartenances nationales, comment promouvoir sans cesse les valeurs radicales du Royaume ? Certains parlent de désobéissance civile  parfois nécessaire : que l’on pense à un Mahatma Gandhi, ou aux objecteurs de conscience refusant de porter les armes par exemple. L’Évangile n’invite-t-il pas, lui aussi, à des gestes prophétiques libérés de tout conformisme ?

Alors, ce rapport aux autorités temporelles ?

Avec ? Parfois contre ? Toujours au-delà ?

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4 réponses à Avec, parfois contre, toujours au-delà !

  1. Patrice et Marie-Françoise Garant dit :

    merci Benoît pour ce rapport très éclairant sur un évangile qui peut prêter à toutes sortes d’interprétations: de mépriser ce qui est à César, nos obligations de solidarité face à l’impôt et à l’État de façon générale et à faire de l’angélisme en valorisant tellement les valeurs spirituelles qu’on en oublie la réalité sociale dans laquelle nous vivons.On peut mentionner l’écart entre les riches et les pauvres, la corruption, l’exploitation des travailleurs et des classes défavorisées.
    Par ailleurs, nous aimons bien l’approche de la laïcité positive qui favorise un équilibre entre l’État et l’expression des convictions religieuses dans le respect des droits individuels et la protection de l’ordre public.

  2. Avec ? Parfois contre ? Toujours au-delà ! Commentaire :
    Comme en l’Occident d’aujourd’hui, le Christ savait très bien qu’une « Victoire à la Pyrrhus » [280 avant JC), est une victoire avec un coût dévastateur pour le vainqueur … Hommage à un tel Économiste !
    TLV

  3. Monique dit :

    Au-delà de…, ou comment lire autrement

    Par-delà une lecture historique de ce passage de l’évangile de Matthieu, ou une lecture sociologique, serait-il possible d’en faire une lecture symbolique ? – celui ou celle qui le ferait serait-il(elle) ipso facto iconoclaste… ou à tout le moins irrévérencieux(se) ? Un économiste voit tout de suite dans cet évangile une tentative d’évasion fiscale, un citoyen payeur de taxes, une plainte contre les autorités gouvernementales, un chrétien pur, un souhait que Dieu nous sauve des contraintes temporelles. Mais au-delà, comme le dit P. Benoît ? Au-delà, il y a encore et toujours, comme le dit le commentaire « le souci de promouvoir sans cesse les valeurs radicales du Royaume… » César symbolisant le pouvoir temporel, il y aurait là une belle analogie à faire : nous, humains, ne sommes-nous pas tiraillés, ontologiquement parlant, entre le temporel et l’éternel ? Ne sommes-nous pas au quotidien un corps de chair vivant le plus souvent au ras des pâquerettes ? Le regard tourné vers le ciel, je veux bien, mais grâce à quels efforts ? Le sensible ne nous attire-t-il pas davantage que le spirituel ? La philo de la connaissance nous enseigne que les sens sont les premiers pourvoyeurs de sens – on le voit dans la musique et dans le beau en général. Et si la question de l’évangile voulait plutôt dire : « Nous chrétiens, peut-on encore rendre tribut à notre nature corporelle ? » En fait, le chrétien sait qu’il lui faut se tourner vers les valeurs du Royaume. Mais enfin, a-t-il « encore » le droit de voir à prendre soin de son corps, de sa nature matérielle et sensible ? Ou bien lui faut-il oublier ce corps et se tourner « radicalement » vers l’esprit ?

    Au final, peut-on vraiment penser que cet évangile soit un petit cours de fiscalité ou de justice distributive ? Peut-être que oui. Mais à mon sens, cette hypothèse me paraît trop courte. Ou incomplète. Je crois, plutôt, que voilà ici tout une théologie du corps qui est esquissée ! Je me trompe ?

    Pardonnez-moi, mes amis, de prendre encore une fois les questions par un biais tout autre ; déformation professionnelle ! En fait, je me dis (et me console) que si la vérité est une, on y arrivera bien tous, quelque chemin que l’on emprunte…, non ? Si on la cherche… Qui toutefois réfutera mon hypothèse, ma lecture de cette réponse si connue de « Rendre à César… etc. » ?

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