À la force de notre cœur ?

23 octobre 2011, 30ème dimanche A, Mt 22,34-40 /

Le double commandement de l’amour qui résume la Torah : voilà un passage incontournable de l’Évangile ! En est-il le centre ? Peut-être pas… D’ailleurs, dans la version lucanienne de ce même passage, c’est le légiste qui, à la question de Jésus : « Dans la Loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? » répond : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » (Lc 10,26-27) Ce double commandement n’est donc pas une révélation de l’Évangile mais du premier Testament ! Mais il est vrai que nous avons parfois tendance à le confondre avec le « commandement nouveau » rapporté en saint Jean : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! » (Jn 13,34) Ces deux formulations sont-elles équivalentes ?

Le strict minimum ?

« Tu aimeras ton prochain… Mais qui est mon prochain ? » (cf Lc 10,27.29) Le rapport à la loi ou au commandement peut être très légaliste. Comment faire le strict minimum pour me mettre en règle ? Si untel n’est pas dans la catégorie « prochain », je n’ai pas à l’aimer ? Ou encore, alors que l’on parle d’aimer Dieu de tout son cœur, la question suivante ne manque pas de surgir régulièrement : « Est-ce que ma messe de vendredi ou de samedi comptera, mon père, à la place de celle de dimanche ? » Jésus, même si on le qualifie de Rabbi, ne passera pas son temps à ergoter sur l’interprétation de la Loi, mais il la mettra en œuvre ; et sa mesure à lui, c’est la démesure de l’amour. « La mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure » résumera saint Augustin. Pour ma part, j’aime traduire le double commandement  de l’amour ainsi : tu feras exister Dieu et tu feras exister l’autre ! Légitimement vous pourriez me rétorquer que Dieu n’a pas besoin de nous pour exister… Mais en êtes-vous bien sûrs ? De quel Dieu parlez-vous ? D’un Dieu père ? Et comment pourrait-il exister pleinement comme père, pour moi, si je l’ignore, le refuse, le méprise ? Quant à faire exister l’autre, c’est-à-dire lui permettre de devenir pleinement ce à quoi il est appelé et lui donner une place dans ma vie, n’est-ce pas plus explicite que le langage galvaudé de l’amour ? La nouveauté de l’Évangile est bien là : le Christ a donné au Père toute la place dans sa vie, il lui a remis toute sa volonté. Et, dans le même mouvement, chaque pécheur croisé et pardonné a tellement pris de place dans sa vie qu’il en est mort en croix : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a identifié au péché pour nous. » (2 Co 5, 21), nous sommes loin du strict minimum pour être en règle !

L’un plus que l’autre ?

Revenons encore à la différence entre nos deux formulations du commandement de l’amour. Quelle audace, pourrait-on dire, de la part de Jésus de ne pas mentionner l’amour de Dieu dans son commandement à lui : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! » Et ce n’est pas la première fois dans l’Évangile qu’il fait ce genre d’impasse. À l’homme riche qui veut obtenir la vie éternelle Jésus rappelle les commandements, mais il n’en cite que six, tous relatifs au rapport à l’autre, et aucun de ceux relatifs à Dieu ! (cf. Mc 19,18-19) Pourquoi cela ? Jésus délaisserait-il le commandement de l’amour de Dieu ? Certes non, mais en tant que Dieu, « son commandement » peut être traduit ainsi : « Aimez-vous les uns les autres comme Dieu vous a aimés en moi ! » Dieu ne revendique pas d’être aimé pour lui-même, mais il nous donne les moyens de l’aimer réellement en aimant nos frères. Ces deux amours ne font pas nombre, ils « sont semblables » nous dit l’évangile (Mt 22,39). Pourrait-on aller jusqu’à dire qu’ils sont équivalents ? La première épitre de Jean abonde en ce sens : « Celui qui aime Dieu qu’il aime aussi son frère » (1 Jn 4,21) mais la réciproque est vraie : « A ceci nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : Si nous aimons Dieu et mettons en pratique ses commandements. » (1 Jn 5,2) Donc, pas un amour plus que l’autre, comme y conduiront certaines interprétations pharisiennes du double commandement de l’amour, mais un même amour !

À la force de notre cœur ?

Enfin, dernière différence et non des moindres, les ressources évoquées pour satisfaire au commandement de l’amour sont bien différentes. Dans le cas du double commandement on fait appel au cœur, à l’intelligence, à la force,  bref à la puissance de la volonté. Dans le nouveau commandement, c’est la force d’amour de Dieu qui est première : puisque je vous ai aimés, je vous rends capables de vous aimer les uns les autres ! Il s’agit donc d’aimer non seulement comme le Christ, mais avec lui et grâce à lui ! Ce n’est plus à la force de notre cœur que nous sommes rendus capables d’amour, ni grâce aux sentiments qui nous animent, mais à la force de Son cœur à Lui et grâce à la foi qui nous dit objectivement que chaque être est foncièrement aimable !

« Je ne suis pas venu abolir mais accomplir la loi » ! (Mt 5,17)

Du double commandement de l’amour au commandement nouveau :

Avons-nous fait ce passage ?

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2 réponses à À la force de notre cœur ?

  1. Christian et Daniela dit :

    L’idée de permettre à Dieu d’exister comme Père pour moi, est une découverte. Je n’avais jamais vu cela de cette façon. En fait c’est qu’on ait le pouvoir de permettre à Dieu de se réaliser…C’est ‘paniquant’…C’est qu’on pourrait ne pas le lui permettre.
    Daniela et Christian

  2. Le mystère de l’amour sans limites, quoi ! Ne serait-ce pas là une manière d’apprendre à vivre avec « l’énigme, zone d’incernable » de l’homme créé créateur avec droit et devoir d’être heureux dont parle Adolphe Gesché dans « Dieu pour penser » vol II, « L’homme », Paris, Les Éditions du Cerf, 1993, p. 12. TLV

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