Humilité, humilité, humilité !

30 octobre 2011, 31ème dimanche A, Mt 23,1-12 /

« Ne vous faites pas donner le titre de Maître… Ne donnez à personne le nom de Père… Ne vous faites pas non plus appeler Docteur… » (Mt 23,8-10 traduction TOB) Me voilà bien mal placé pour commenter ces versets de l’Évangile puisqu’en tant que responsable de noviciat on me nomme couramment non seulement « Père », mais encore « Maître des novices » et même « Père Maître » ! Mais ma situation est loin d’être spéciale puisqu’on donne dans chaque famille le nom de père, dans chaque école les titres de maître ou de maîtresse et dans chaque université les titres de docteur ou de professeur ! Alors qu’est-ce à dire, faut-il faire fi de ces versets de l’Évangile et ne point en tenir compte ? Quelle estla Bonne Nouvelle révélée ici ?

Par configuration !

Mettons-nous à l’écoute de saint Jérôme : « On se demande comment, contrairement à ce précepte, l’Apôtre [Paul] s’est appelé lui-même le docteur des nations, et pourquoi aussi, dans les monastères, les religieux, dans le langage ordinaire, se donnent réciproquement le nom de pères. Nous répondons qu’il y a deux manières différentes d’être père ou maître : l’une par nature, l’autre par condescendance ou par concession. C’est ainsi qu’en donnant à un homme le nom de père nous honorons son âge, sans le reconnaître pour l’auteur de nos jours. Nous l’appelons également maître, à cause de son union avec le véritable Maître. […] De même qu’un seul Dieu et un seul Fils de Dieu par nature n’empêchent pas que les hommes soient appelés dieux ou enfants de Dieu par adoption, de même un seul Père et un seul Maître ne font pas obstacle à ce que le nom de pères et de maîtres soit donné aux hommes par extension. » Si je comprends bien, les titres évoqués le sont par participation à Celui qui détient ces titres par nature ! Loin d’être une simple concession, il en va, me semble-t-il, de la divinisation de l’homme : en tant qu’enfants de Dieu, en tant que membres du Corps du Christ ressuscité, en tant que co-créateurs avec l’unique Père-Créateur, nous sommes rendus capables d’être maître, père, docteur. L’interdiction énoncée par Jésus Christ concernait les scribes, les pharisiens et ses disciples avant Sa mort et Sa résurrection. Mais puisque, par le mystère pascal, nous sommes configurés au Christ, ne sommes-nous pas rendus capables d’être, par participation au mystère de Dieu, des maîtres, des pères, des docteurs ?

Pour servir !

Evidemment, cette justification ontologique ne dispense pas d’une extrême prudence, d’une extrême vigilance dans l’emploi de ces titres. Ils ne doivent surtout pas être « utilisés » pour notre gloire ou pour notre honneur personnel : « Ils aiment les places d’honneurs… les premiers rangs… les titres ! » (Mt 23,6-7) Comment envisager une telle chose puisque la configuration au Christ ne nous associe pas qu’à sa seigneurie, mais aussi à son abaissement, à sa servitude, à son humiliation ? Et c’est bien dans cet abaissement que se situe notre « gloire », voilà la Bonne Nouvelle : « Le Christ s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout et lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms. » (Ph 2,8-9) Que l’on pense pour s’en rappeler aux initiales S.S. accolées aux noms des papes, non pas « Sa Sainteté » mais « Serviteur des Serviteurs ». Pour le dire autrement, tous les titres honorifiques donnés aux papes et aux hommes ne peuvent l’être que dans la mesure où ils furent effectivement serviteurs des serviteurs de Dieu !

Avec humilité !

Dernière finesse encore de notre passage d’Évangile : « Ne vous faites pas donner… Ne vous faites pas appeler ! »… Comme l’évoquait saint Jérôme, si l’on donne le nom de père à un père spirituel ou le nom de maître à un maître spirituel, c’est parce que l’on reconnaît en lui la sagesse, la profondeur, la proximité de sa vie avec la vie du Christ qui en font un père ou un maître spirituel. Ce n’est surtout pas l’intéressé qui pourrait se faire donner le titre de maître ou de père, cela démentirait d’emblée une prétendue sagesse qui va forcément de pair avec une extrême humilité ! Les « petits maîtres », les « petits chefs » sont légions mais les vrais maîtres, forcément remplis d’humilité, sont rares. Voici ce qu’on disait d’un père du désert : « Un jour, il demanda à Dieu l’interprétation d’une parole dela Bible. Pourl’obtenir, en tant que maître de vie ascétique, il passa soixante-dix semaines en ne mangeant qu’une fois la semaine. Mais Dieu ne la lui révéla pas. Il se dit en lui-même : « Je me suis donné tant de peine, sans rien obtenir ; je vais donc aller chez mon frère et l’interroger ». Et comme il fermait la porte derrière lui pour aller chez son frère, un ange du Seigneur lui fut envoyé. Il lui dit : « Les soixante-dix semaines durant lesquelles tu as jeûné ne t’ont pas approché de Dieu ; mais lorsque tu t’es humilié toi-même en partant chez ton frère, j’ai été envoyé pour t’annoncer le sens de cette parole ». Et il répondit parfaitement à sa recherche sur la parole dela Bible. »

Alors quels sont les titres que l’on vous donne habituellement ?

Les accueillez-vous par configuration au Christ,

pour servir Dieu et vos frères,

 et avec une extrême humilité ?

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4 réponses à Humilité, humilité, humilité !

  1. "SOEUR" Claudette Dumont dit :

    Bonjour « PÈRE » Bigard,
    Merci pour vos messages et réflexions sur la Parole de Dieu du dimanche.
    Celui-ci me touche particulièrement parce qu’il centre vraiment l’explication en rapport direct avec notre relation à Dieu. Je suis appelée « soeur » justement à cause de « ma consécration à Dieu » dans la vie religieuse.
    Il en est de même pour tout chrétien ou chrétienne qui s’affirme et qui est reconnu(e)comme « BAPTISÉ(E) », à cause de sa relation à Dieu en Jésus et par l’Esprit.
    Et comme vous le dites si bien, tout cela a pour base solide, « L’HUMILITÉ »
    Amitié et prière,
    Sr Claudette Dumont

  2. Monique dit :

    « …ne font pas obstacle à ce que le nom de pères et de maîtres soit donné aux hommes par extension. »

    Vous ajoutez, P. Benoît : « Si je comprends bien, les titres évoqués le sont par participation à Celui qui détient ces titres par nature ! » Saint Thomas avait dit : par
    « analogie », ce qui fait sens, même si le terme est plus « objectif et rationnel ». Le terme « extension » de saint Jérôme, reste, lui aussi, logique, mais les deux notions recoupent, d’une certaine façon, le terme de « participation », plus concret, que vous proposez.

    « Loin d’être une simple concession, il en va, me semble-t-il, de la divinisation de l’homme », dites-vous. L’idée de notre « divinisation » est encore meilleure, je crois, car du point de vue de notre nature humaine tous, croyants ou pas, reconnaissent d’emblée l’être humain comme capable de transcendance. Et même si « divinisation » ne réfère pas nécessairement au même Dieu, déjà les vieux Grecs appelaient cette capacité de transcendance « divine ». Les chrétiens ont des raisons de désigner par ce mot le privilège d’être des enfants de Dieu, mais en tant que tel le mandat est, quand on y réfléchit bien, un peu affolant ! C’est sans doute pour cela que nous prenons généralement à la légère les titres de maître et de père…

  3. En raison de nos priorités respectives, pourquoi pas le choix du père
    (d’une autorité), en toute humilité ? Thérèse L.-Vézina

  4. Monique dit :

    « …Nous sommes rendus « capables » d’être maître, père, docteur. »

    Ce mot « capable » me frappe. On le dit souvent dans le langage ordinaire, et par-dessus tout, il y a Augustin qui dit que l’homme est un être « capable » de Dieu. Cette fois, à la faveur de votre commentaire, P. Benoît, nous comprenons, encore une fois, qu’au-delà des mots de l’évangile, il y a beaucoup plus : vous nous faites voir que nous sommes légitimement « capables » d’êtres des maîtres, nous aussi. Et nous comprenons la nuance entre ceux et celles qui tirent gloire de leur statut de maître, docteur, et l’humble posture de celui ou celle qui sait que cette « autorité », pourrions-nous dire, il ou elle ne la tient pas de son prestige personnel, d’une quelconque supériorité naturelle, mais dans le fait d’en être rendus capables par Celui qui est le Maître le plus éminent. C’est très intéressant et renverse complètement la perspective. Mais que veut dire ce mot « capable » ? comment le faire parler ? – c’est ce que je mijote depuis hier…

    Un coup d’œil dans le dictionnaire des racines des langues européennes fait voir que le mot « capable » viendrait de l’indo-européen avec le sens de prendre. Le grec a enrichi le sens en en faisant un « happer avidement ». Dans l’histoire ensuite, les sens de prendre, capter, recevoir, contenir… ont décliné, au fond, le sens concret de « happer avidement ». Pourquoi « concret » ? C’est qu’il est le seul à laisser voir un animal ou un humain derrière l’action de prendre : non seulement cet humain – ou cet animal – prend-il, capte-t-il, etc., mais il veut tellement qu’il « happe » ce qu’il veut et avidement encore. Mais vouloir avec passion, c’est désirer, non ? – on retrouve notre beau mot « désir », encore une fois ! Y a-t-il un seul rapport à Dieu où le désir n’intervient pas ?

    Peut-être pourrions-nous aller jusqu’à dire que la condition pour porter en droit le titre de maître, ou docteur, c’est de consentir à laisser croître en nous « cada vez más », comme on dit en espagnol, c’est à dire toujours-chaque-fois un peu plus, le grand désir de s’inscrire dans le plan créateur de Dieu. Et pas autre chose ! Toujours chaque fois un peu plus…

    Si je ne fais pas trop erreur, alors l’enseignement, c’est plus beau que je ne l’imaginais ; et cela indique aussi que la méditation de l’évangile révèle des pistes réelles pour la conduite de la vie. Mais c’est engageant, on est si facilement guetté par la grosse tête ! – pas moi, bien sûr, ni vous, Benoît, mais « on » !

    Ps J’étais si contente de ma trouvaille que j’ai voulu la partager… J’ai tu eu raison ? (traduction québécoise de « C’était une bonne idée, ou pas ?)

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