5ème Dimanche de carême, année B, Jn 12,20-33 /
Le page d’évangile de ce dimanche nous fait approcher de plus près l’humanité de Jésus : « Maintenant je suis bouleversé » (Jn 12, 27) ou, littéralement, « maintenant mon âme est troublée »… Son trouble est-il lié à ses disciples et aux foules qu’il va décevoir, à ses opposants qui le talonnent ou à un certain échec apparent de sa mission ? Son trouble est-il lié à une obéissance à la volonté de son Père qui le placerait en conflit avec sa propre volonté ? Son trouble est-il lié à l’approche imminente de la souffrance et de la mort ? « Mais que puis-je dire ? “Père délivre-moi de cette heure ?” – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12,27) L’évangéliste Jean ne nous laisse guère de doute : malgré son trouble, Jésus, à cette heure ultime, comme tout au long de sa vie, va se montrer souverainement libre ! Désirons-nous vivre une semblable liberté ? Quel en est le secret ?
Libre de tout jugement… Car il n’y a qu’un seul Juge !
Jésus, comme le rappellent les versets qui précèdent notre passage, est pris entre deux feux : les chefs des prêtres qui ont décidé de le faire mourir et la foule venue l’acclamer triomphalement lors de son entrée à Jérusalem. Opposants comme admirateurs pourraient le détourner de sa route. Or Jésus, avec une souveraine liberté, n’aura que faire du jugement réprobateur ou admiratif des hommes : il poursuivra son chemin et s’en remettra au seul et unique Juge ! Quelle leçon de liberté pour notre propre vie ! Qu’est-ce qui motive nos choix, nos paroles, nos actions : le « qu’en dira-t-on », le souci de bien paraître, d’être apprécié, la peur du rejet, la fuite du conflit ou de l’opposition ? Ou est-ce réellement le regard d’amour que Dieu porte sur nos vies ? La seule véritable instance de jugement dont nous devrions nous soucier ! Non la peur d’un juge sévère, mais plutôt l’immense confiance et sérénité de pouvoir vivre sa vie sous le regard bienveillant de Dieu, n’est-ce pas là un précieux secret… Au-delà de ce que l’on pense autour de moi, je peux vivre de cette assurance sereine que ma foi en Dieu, en l’humain, en la vie motive mes choix, et qu’ils sont appréciés à leur juste valeur, par Celui qui connaît mon cœur : quelle liberté !
Libre de tout conflit de volontés… Car il n’y a qu’un seul désir !
L’évangéliste Jean, toujours singulier, ne nous rapporte pas la scène du jardin de Gethsémani, l’aviez-vous remarqué ? Mais c’est bien le texte de ce dimanche qui évoque le trouble de Jésus. Or, tandis que Luc parle de deux volontés – « non pas ma volonté mais ta volonté » – et Matthieu et Marc, de deux désirs – « non pas ce que je veux mais ce que tu veux » – Jean, très habilement, nous rapporte, certes, une certaine épreuve vécue par Jésus, mais qui ne remet nullement en cause son seul désir qui rejoint celui de son Père : « Mais que puis-je dire ? Dirai-je : “Père délivre-moi de cette heure ?” – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12,27) Jean ne nous rapporte pas ici un conflit de deux volontés, mais un seul désir, celui de mener le projet de Dieu à son plein accomplissement… N’y a-t-il pas là également tout un secret : pour que ma vie se conforme toujours plus à la volonté de Dieu, il ne s’agit pas de percevoir cette volonté comme une demande venant de l’extérieur de ma vie, mais de creuser en moi le désir de faire de ma vie un instrument du projet de Dieu, un projet de bonheur et de plénitude pour l’humanité. Alors plus de conflit entre ma volonté et celle de Dieu mais un seul et même désir nous habitera…
Libre de toute paralysie… Car il n’y a qu’un seul Amour !
Où se situe alors le trouble de Jésus ? Certainement du côté de la souffrance et de la mort à affronter. Jésus n’a pas fait semblant d’être homme et d’habiter un corps d’homme tout en étant, en tant que Dieu, préservé des contraintes de la chair. Non, il fut réellement homme, de sang, de chair et de sueur… Il dut affronter la souffrance, le rejet, la trahison des siens, se livrer aux hommes sans savoir comment les hommes pourront comprendre ce don total, sans savoir si sa mission sera vraiment source de vie pour l’humanité, etc. Oui le trouble, la souffrance physique et plus encore psychologique furent bien réels… Et pourtant, le Christ va librement choisir cette fin là, sans que le trouble paralyse son engagement. J’avais voulu écrire dans un premier jet « libre de toute peur », mais je ne crois pas que cela soit tout à fait juste. Le Christ se dit bien bouleversé, troublé, la peur ne l’épargne peut-être pas, mais celle-ci ne va pas paralyser son choix final, car, au-delà de la peur et du trouble, il n’y a qu’un seul amour qui l’habite et qui l’attend. Les martyrs, les Maximilien Kolbe, les moines de Tibhirine n’ont-ils pas connu la peur ? Je crois que si… mais cela ne les a pas empêchés de donner leur vie par amour et dans la confiance d’un Amour capable de donner sens à ce don. N’est-ce pas là le troisième secret de l’ultime liberté !
Un seul Juge, un seul Désir, un seul Amour…
Cela n’ouvre-t-il pas la porte à une souveraine liberté ?
C’est étrange, je n’avais jamais pensé que Jésus irait à la mort sans savoir si sa vie terrestre aura été utile ! Et on dit – vous dites – qu’il y est allé « sans que le trouble paralyse son engagement ». Jésus de Nazareth savait qu’il devait finir trahi, battu, assassiné ? Comment le savait-il ? Savait-il pourquoi ? Son sentiment de trouble n’est-ce pas un signe qu’il voyait l’absurdité de tout cela ? Je suppose qu’il n’y avait pas en lui deux âmes dont l’une expliquait à l’autre qu’après tout, il est Dieu le Fils car alors, il n’aurait pas été troublé. Car alors, il aurait « assisté » à sa mise à mort en toute sérénité. Car alors, il n’aurait pas été Celui auquel on croit mais un personnage d’une affreuse pièce de théâtre !
Chaque année, je suis moi-même troublée par ce passage de l’histoire… que je ne comprends toujours pas… !
C’est un peu comme nous Monique, on sait depuis notre jeune âge qu’on va mourrir, et pourtant si on venait m’ annoncer demain que j’étais atteint d’une maladie incurable, je pense que l’angoisse…me tuerait (avant la maladie). Je demande dès maintenant à Dieu, de me donner ‘ce laps de lucidité’ qui me permetterait d’accepter ce passage avec sérénité
Pour moi qui suis près de l’échéance, j’appréhende également la fin de ma vie terrestre.
Puisse le Maître et ses novices inclure dans leur prière la foi et la bonne volonté des fidèles lecteurs du blogue de frère Benoît ! Merci ! TLV
Ce « bouleversement » du Christ nous révèle une fois de plus son humanité. Comme Benoît l’écrit : « ses souffrances physiques et psychologiques sont bien réelles »…Je me sens encore plus proche de lui.
Nicole B. Moncy