Dans le monde… mais pas du monde!

7eme dimanche de Pâques, année B, Jn 17,11b-19 /

« Je ne te demande pas que tu les retires du monde… Ils ne sont pas du monde… » (Jn 15,16) À partir de cette double affirmation de notre rapport au monde, le champ d’interprétation et de mise en œuvre est très varié suivant que l’on mette l’accent d’un côté ou de l’autre. Au cours des siècles, de nombreux disciples du Christ ont, en effet, choisi de marquer fortement leur rupture avec le monde : depuis les pères du désert suivis par toute la tradition monastique, jusqu’à la condamnation du modernisme et de ses erreurs par l’Église du XIXème et du début XXème. Sur l’autre versant, d’autres disciples, plus nombreux encore, engagèrent toutes leurs énergies à travailler dans et pour la croissance du monde. On peut noter en ce sens la naissance des ordres mendiants, suivis par toutes les congrégations apostoliques, hospitalières, éducatrices, missionnaires… et jusqu’à la reconnaissance, par le Concile Vatican II, de tout ce qui est bon dans le monde moderne : « Pour les croyants, une chose est certaine : considérée en elle-même, l’activité humaine, individuelle et collective, ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au dessein de Dieu. » (Gaudium et Spes n°34) Comment alors se situer ? Dans le monde… Pas du monde ? Où nous faut-il mettre l’accent ?

Annoncer l’Évangile à temps et à contre-temps !

Plutôt que de relire l’histoire de l’Église, ou de la vie religieuse, en condamnant certains choix du passé relatifs au rapport au monde, du haut de notre problématique contemporaine, ne s’agit-il pas plutôt de contempler ce que l’Esprit à fait surgir pour répondre aux défis de telle ou telle époque ? Dans le contexte d’une religion chrétienne s’installant dans la société, après les persécutions, ne fallait-il pas affirmer une certaine rupture avec le monde et prendre la voie radicale de la vie érémitique ? Ou encore, à une époque où l’Église institutionnelle était marquée par un faste certain, et où les villes commencèrent à se développer, ne fallait-il pas un saint François et un saint Dominique pour s’engager dans le monde des villes et auprès des pauvres ? La relecture de l’histoire de l’Église, sous l’angle des initiatives suscitées par l’Esprit, peut vraiment libérer notre façon d’assumer le passé. Il en va donc de même pour nous aujourd’hui : dans le contexte qui est le nôtre, à une époque donnée, dans une culture particulière : que suscite l’Esprit en chacun de nous ? Dans un monde sécularisé ayant oublié sa foi, n’est-il pas urgent de signifier que nous ne sommes pas de ce monde, mais en pèlerinage vers la « Cité de Dieu » ? Dans un monde où l’être humain est souvent passé au laminoir des principes économiques, ne s’agit-il pas de nous engager dans le monde pour lutter auprès des plus pauvres et contre les structures injustes ? Bref, notre défi sera toujours d’annoncer l’Évangile à temps et à contre-temps.

Annoncer, ensemble, l’Évangile à temps et à contre-temps !

Par ailleurs, les ordres mendiants ont-ils fait disparaître la vie monastique ? Les groupes d’action catholique ont-ils fait disparaître les groupes de prière ? Aucunement… Ainsi, pour tenir cette double mission de travailler au cœur du monde et de signifier que nous ne sommes pas dans le monde, n’est-il pas nécessaire et libérateur de s’appuyer sur nos vocations complémentaires ? C’est ensemble, comme membres du Corps du Christ, que nous pourrons donner toutes les harmoniques de la vie des disciples… Il n’y a pas à se mettre martel en tête pour faire des choses qui ne nous correspondent pas du tout, mais à mettre en œuvre nos propres dons au service de l’ensemble du témoignage chrétien. Celui qui s’engage auprès des pauvres, dans un mouvement favorisant le commerce équitable, ou dans la promotion de la démocratie dans les pays en déficit de ce côté-là, n’a pas à se surestimer ou sous-estimer par rapport à un ermite reclus dans la prière… Ce n’est qu’ensemble, en faisant corps les unes avec les autres, que les différentes vocations des disciples pourront réaliser la mission confiée par le Christ !

Annoncer, de façon différentiée, l’Évangile à temps et à contre temps !

Dernière remarque, pour ne pas paraître caricatural : certes il faut se situer dans son rapport au monde suivant les défis du moment et suivant sa vocation propre, mais les frontières ne sont pas si marquées que cela pour chacun d’entre nous. Il n’y a pas les professionnels de l’action « dans le monde » et les professionnels du témoignage « hors du monde »… Chacun est confronté à cette double exigence, mais avec des accents différentiés, suivant sa vocation, mais aussi l’étape où il en est de sa vie, ou le contexte de son quotidien… Le Christ a passé trente années incognito, pour trois années de vie publique…. Il se laissait prendre par les nombreuses sollicitations du moment, mais il aimait aussi se retirer dans la prière… Il invitait à œuvrer pour plus de justice, mais il n’a mené aucune action politique pour renverser l’occupant romain… Ne cessons donc pas de contempler le Christ dans toutes ses nuances pour savoir comment vivre dans le monde sans être du monde, de façon différenciée suivant les temps les lieux et les circonstances…

Pour vivre dans le monde… sans être du monde…

Annonçons l’Évangile à temps et à contre-temps, ensemble, et de façon différenciée…

 

 

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Une réponse à Dans le monde… mais pas du monde!

  1. Monique dit :

    « Le Christ a passé trente années incognito, pour trois années de vie publique…. » Il me semble que cette phrase au milieu de votre 4e paragraphe vient appuyer les autres où vous montrez bien, P. Benoît, qu’« il n’y a pas les professionnels de l’action « dans le monde » et les professionnels du témoignage « hors du monde »… Chacun est confronté à cette double exigence. »

    Il me semble que le Jésus des premiers trente ans, était « dans le monde » : il avait un corps tangible, des sens, des émotions, une grandeur, un poids, il avait faim, sommeil, mal, etc. ; en tout cela semblable à toutes les autres choses inanimées et animées du monde… sensible. Mais parce qu’il était homme, il était aussi et d’emblée, en tant qu’homme, « hors du monde ».

    Voici pourquoi je dis ça : « Je ne suis qu’une poussière dans l’univers, mais par mon esprit je le contiens en totalité », a dit quelqu’un (dont bêtement j’ai oublié le nom, Pascal ?). Celui qui croit fermement que sa santé est tout et y consacre tous ses intérêts, celui-là est « dans le monde », ou, dit autrement, dans les choses. Mais celui qui est éveillé à sa vie spirituelle, à son prochain, à la justice, à l’amour, au beau, à un Être transcendant, celui-là on peut dire qu’il est, en ce sens-là, « hors du monde ». Celui-là témoigne qu’il est créé à l’image de Dieu. C’est le mot témoignage qui moi, me touche. Les prêches ne sont, pour mon chien, pour mon oiseau, ou pour mes écureuils, que sons de voix ; même chose pour celui qui n’est que muscles, que désir de satisfactions immédiates et sensibles, ou bourré de préjugés. N’essayez pas d’apprendre à chanter à un cochon, dit un auteur : vous perdrez votre temps… et ça énervera le cochon ! Tous les humains, en tant qu’humains, ont la vocation de témoigner de la Vérité, c’est pourquoi ils sont tous, en quelque sorte et en ce sens, « hors du monde ».

    Mais j’ai un immense problème : si déjà la vérité ne passe pas dans la vie de tous les jours, ça prend quoi pour espérer que la Vérité passe ? N’est-ce pas un peu, beaucoup, désespérant ? Je crois que ça me mine…

    Bon il me reste plein d’autres questions mais j’arrête là. – Non sans souligner votre très belle et très appropriée analogie musicale pour parler de l’action de l’ensemble des membres du Corps du Christ à la suite des disciples. Elle nous permet – elle m’a permis -, cette analogie, de prendre conscience que les actions des humains, mes actions, les vôtres, ne sont jamais comptabilisables, dénombrables, soupesables, etc., mais qu’à l’égal de la mélodie dont chaque partie « fait » le tout, chaque petits actes d’un humain contribue chaque fois à un sens qui le dépasse. Chaque fois. Si l’on vit éveillé et non abruti, bien sûr !

    Si je ce que dis a quelque sens, c’est-y pas beau ? Parce que ça, c’est nous, tout engoncés dans le monde sensible où nous sommes jetés et pourtant partie indispensable de la mélodie divine. Mais là, je flotte parce que tout ça se vit au quotidien comme une suite d’irritants incommensurables…

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