Mendier dans le temple d’autrui…

La session d’introduction aux grandes religions de cette semaine nous a menés du Bouddhisme à l’Islam en passant par le Judaïsme et rapidement par l’hindouisme. Dans notre contexte africain, le dialogue avec l’Islam est loin d’être optionnel et les questions des 18 novices et postulant(e)s ne manquaient pas…

Pour évoquer l’intérêt de ce dialogue interreligieux, je vous propose le témoignage d’une Sœur vivant en Inde. Partant d’une remarque sur la différence entre les « mendiants d’argent » organisés en gang et les véritables « mendiants de nourriture » (dans le contexte de l’Inde) Ishpriya s’interroge:

« Si les gens mendient vraiment de la nourriture et que vous leur offrez de la nourriture, ils l’accepteront, qu’il s’agisse d’une banane respectable ou, comme je l’ai vue, d’une poignée de déchets de riz jetée sur les rails depuis la fenêtre d’un train : même alors, ils le ramassent dans une crasse innommable, et ils le mangent.

Réfléchissant quelque peu à mon expérience du dialogue interreligieux, je me suis rendu compte que, dans les débuts, je faisais probablement partie d’une organisation qui mendiait de l’argent. Je suis partie en Inde sur la lancée du Concile Vatican II, portée par la vague de l’inculturation. Nos premiers essais concernaient la liturgie, la lecture des Écritures et visaient à glaner tout ce que nous pouvions prendre. Nous étions pareils à des mendiants d’argent: nous savions ce que nous voulions, et nous savions comment le demander.

Mendier de la nourriture -ce à quoi je suis arrivée plus tard- fut une tout autre expérience. Et j’y suis arrivée parce que, de par sa nature, le dialogue interreligieux ne consiste pas à mendier dans la rue: c’est plutôt mendier dans le temple, mendier dans l’espace sacré de l’autre, dans le lieu qui symbolise la relation de l’autre avec le divin, avec la réalité ultime, avec l’inconnaissable. Il s’agit de l’espace sacré de la communauté, de l’espace sacré au cœur de l’individu. Or, mendier de l’argent dans un espace sacré, ce n’est vraiment pas approprié, et souvent cela n’en vaut pas non plus la peine. Quand vous vous faites mendiant d’argent, vous êtes en train de dire: donnez-moi une part de vos richesses et laissez-moi en faire ce que je veux. Donnez-moi votre conception de la non-dualité ou de la réincarnation, donnez-moi vos hymnes dévotionnels (bhajans) ou vos postures de yoga et laissez-moi en faire ce que je veux.

Au contraire, le mendiant qui mendie réellement de la nourriture est en train de dire: « si vous ne me nourrissez pas, je vais mourir de faim » ; ou encore, si cela vous paraît un peu exagéré, il ou elle est au moins en train de dire: « Si vous ne partagez pas votre nourriture avec moi, je vivrai d’une vie sérieusement sous-alimentée. » Et en réfléchissant à cette attitude, dans la perspective du dialogue interreligieux, on se demande si on est capable de mendier dans le temple de l’autre, si on est réellement capable de dire: « Si vous ne partagez pas avec moi les richesses de votre tradition, ma vie sera sérieusement sous-alimentée. Si vous ne partagez pas avec moi les richesses de l’hindouisme ou du bouddhisme, mon christianisme pourrait bien mourir. »

Mendier de la nourriture nous amène à nous poser la question: mendier dans le temple d’autrui, est-ce pour moi un besoin impérieux ? Dans n’importe quelle forme de mendicité, on prouve son authenticité par sa persévérance et en étant prêt à subir insultes et refus. Dans mon expérience personnelle, j’ai dû faire face aux deux, bien des fois et de bien des manières. Le débat sur la réincarnation n’est qu’un des sujets à propos desquels on doit rester assis et entendre ridiculiser et vilipender l’enseignement officiel sur la résurrection du corps. Il y a d’autres exemples: l’infaillibilité du pape, ou l’unicité du Christ, etc. On encaisse les insultes, on fait face au rejet, aux incompréhensions, et l’on persiste à attendre la banane. »

 Ishpriya, religieuse du sacré cœur, extrait de « Mendier dans le temple d’autrui », dans Vivre de plusieurs religions, promesse ou illusion ? Les Editions de l’atelier, Paris, 2000  pages 165-170.

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