Un déploiement qui nous dépasse !

11ème dimanche, année B, Mc 4, 26-34 /

« Il en est du Royaume de Dieu comme…. de la terre qui, d’elle-même, produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. » (Mc 4,26… 28) N’est-il pas significatif que pour nous parler du Royaume de Dieu, Jésus nous parle de la terre (humus)… et donc de la Terre (Monde) ! Une fois de plus, alors que l’évocation du Royaume pourrait être une façon de nous échapper du lourd fardeau du quotidien, l’Évangile nous ramène les pieds sur Terre. De nouveau nous sommes invités à convertir notre regard sur le Monde pour y voir le Royaume de Dieu en marche, le lieu où le Verbe de Dieu –la semence– travaille en profondeur toutes les dimensions de notre réalité pour que chacune soit menée à sa plénitude : d’abord l’herbe, puis l’épi enfin du blé plein l’épi…Un déploiement qui nous dépasse !

D’abord l’herbe…

« D’elle-même la terre produit… » Les récits du début de la Genèse, mettent bien en valeur cette relative autonomie de la Création qui, à partir du potentiel que Dieu a semé en  elle, se développe par elle-même : « ‟Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce.” Et ce fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce… » (Gn 1, 24-25) Cette brève phrase –il en sera de même pour les plantes– nous dit à la fois qu’il y a un projet de Dieu, une action de Dieu dans le monde, mais que ceux-ci passent par un développement autonome de la Terre… À l’heure où nous redécouvrons le respect dû à la Création, les équilibres subtils qu’il nous faut préserver, les ressources insondables de la diversité des espèces, n’est-il pas significatif d’y voir le Royaume de Dieu en germe ? Par ailleurs, cette première étape du Royaume, cette herbe jaillissante, n’évoque-t-elle pas toutes les productions de l’espèce humaine en termes de cultures, de religions, de sciences, de techniques : une herbe foisonnante qui, a priori, si les conditions favorables sont réunies va produire des épis, c’est-à-dire les prémices du Royaume de Dieu… Ce texte ne nous invite-t-il donc pas d’abord à reconnaître tout ce que l’humain produit de bon comme un formidable potentiel du Royaume en devenir ?

Puis l’épi…

Je dirais qu’après cet ancien Testament vient le Nouveau… Je m’explique : j’entends ici par « Ancien Testament » le projet de Dieu qui se déploie de façon caché, dont l’homme n’est pas vraiment conscient. Dans ce premier temps, d’une part, Dieu attire à lui la Création, cherche à se faire connaître et d’autre part les humains accompagnent le déploiement de la Création, par leur travail, leur science, leur technique et cherchent à connaître Dieu. C’est cette herbe foisonnante dont on ne sait pas encore ce qu’elle va produire… Mais vient ensuite le Nouveau Testament, c’est-à-dire la Révélation plénière du sens de l’histoire et du visage de Dieu : c’est notre temps, où notre tâche de chrétiens doit se déployer. Puisque nous connaissons maintenant le sens de l’histoire et le visage de Dieu, nous n’avons plus à contempler de façon passive les productions des cultures, des religions, des sciences, des techniques mais à discerner en leur sein ce qui participe, ou non, au déploiement du Royaume de Dieu. Il s’agit donc de discerner, d’orienter, d’accompagner, de soutenir ce qui se déploie pour que puisse en naître des épis prometteurs.

Enfin du blé plein l’épi…

Le Royaume de Dieu, nous dit le texte est comparable à tout ce processus, depuis l’homme qui jette du grain dans son champ jusqu’à la moisson des épis gorgés de blé : « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui jette le grain dans son champ : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit… » Le Royaume de Dieu, ce n’est donc pas seulement la moisson, ni une supposée récompense à la fin de notre vie, mais la Création qui chemine vers sa plénitude. Le Royaume de Dieu c’est déjà notre Monde, lorsqu’il produit le fruit attendu de lui, lorsqu’il se laisse mouvoir de l’intérieur par le Verbe de Dieu. Cette continuité entre notre Monde, tel qu’il est ici et maintenant, et sa réalisation plénière en Dieu n’interroge-t-elle pas alors notre agir ? Il n’y a plus à se poser la question du choix entre contemplation et action, comme si la contemplation nous sortait de ce Monde, car ce que nous avons à contempler c’est le Royaume entrain d’advenir ici et maintenant… et croyez-vous que cette contemplation puisse être passive ?

Non, décidément, le Royaume de Dieu n’est pas une récompense à venir !

Contemplons-le entrain de se déployer dans l’herbe, dans l’épi, dans le blé…

Et faisons tout notre possible pour accompagner se déploiement qui nous dépasse !

 

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2 réponses à Un déploiement qui nous dépasse !

  1. Une contemplation jamais passive …
    Pour les besoins de la cause, j’emprunte de nouveau à Aline Apoltolska dans « Lettre à mes enfants qui ne verront jamais la Yougoslavie » :

    Qui a vu l’aube rosir le Sinaï ne croit plus aux miracles.
    Il sait dès lors qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour voir et
    le cœur pour prier. Pour aimer. (extrait d’une allégorie macédonienne)
    TLV

  2. Monique dit :

    « Non, décidément, le Royaume de Dieu n’est pas une récompense à venir ! » Là, vous y allez fort, P. Benoît ! Il était confortable (presque) de penser que la récompense arriverait à la fin de notre vie, et même quand notre vie nous aurait quittés. Confortable parce qu’on pouvait alors se dire – c’est souvent ce que je fais – que cette fois-ci, ça ne compte pas et que j’ai encore du temps pour me reprendre. Des « divertissements » par-ci, par-là, ça ne peut pas vraiment compter, nos vies peuvent supporter ces ratés si l’ensemble est sous une bonne étoile. Ou plutôt, si l’ensemble est « pavé de bonnes intentions ». Selon ce que vous nous dites cette semaine, ce n’est pas avec une telle vision comptable que la « vie » de quelqu’un se mesure. D’ailleurs, la vie, c’est bien trop vrai, ne souffre pas de ratés pas plus que la respiration ou la vue : j’imagine quelqu’un dont la vue fonctionnerait par à-coups ; la science crierait à l’anomalie. Avec raison. D’ailleurs, comment s’appelle cette « maladie » qui fait que quelqu’un a des ratés respiratoires en dormant ? Paraît même que c’est dangereux.

    Et là, vous nous dites la même chose pour notre vie humaine (celle qui est capable de Dieu). Que c’est tout d’un seul tenant : ou bien on est du voyage, ou on ne l’est pas. Et si on est du voyage, le train file qu’on dorme ou qu’on veille. Pas mal, cette idée. La vie humaine, en tant qu’humaine, « c’est » le voyage ; si on oublie ça, c’est foutu, le voyage s’arrête. Vous dites, au fond, que la vie humaine résulte d’un principe de finalité qu’on n’a pas inventé nous-mêmes, mais qui est un don de la Création. Se couler consciemment dans cette finalité, l’accepter, la comprendre un peu, c’est déjà tendre vers soi « en tant que » fils et filles de Dieu. La semence du blé, si elle ne tend pas vers l’épi, vers ce qu’elle est et doit être, est vouée à pourrir. Il y a une finalité qui sous-tend le geste du semeur, même chose s’agissant de la semence elle-même. Là non plus les ratés n’ont pas leur place ! C’est une seul et même mouvement, ou c’est rien. Le néant.

    C’est pourquoi on ne peut qu’être d’accord avec vous, Benoît, quand vous dites que contemplation et action ne s’opposent pas : puisqu’elles portent sur le même objet. Reste à placer le Royaume de Dieu dans tout ça, mais là, je déclare forfait, je ne comprends pas encore cette notion… même après votre remarquable développement ce dimanche 16 juin. Est-ce le mouvement même de la Création ? la finalité de la Création ? le lieu de la Création ? notre participation à la Création ? celle de la nature ? Bref, vous voyez comme je suis impénétrable (pas comme les voies de Dieu, il va sans dire !) ? À ma plus grande désolation, dois-je cependant ajouter…

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