Quelle prospérité ?

18ème dimanche, année B, Jn 6,24-35 /

Comme le peuple d’Israël dans le désert, quels sont les biens que nous chérissons (des marmites bien garnies)? Comme les foules au bord du lac, vers quoi courons-nous (du pain et du poisson en abondance) ? Dans le contexte de misère et de difficultés au quotidien, elles sont nombreuses les supposées Églises du Christ à promettre la prospérité matérielle et la santé physique… Ne sommes-nous pas séduits par ces discours ? Un certain nombre en tout cas se tournent vers ces Églises, et parfois quittent l’Église catholique pour des « Églises plus efficaces » ! Mais ces promesses sont-elles bien évangéliques ? « Ne recherchez  pas la nourriture qui se perd mais celle qui se garde jusque dans la vie éternelle ! » (Jn 6,27)

Les évangéliques eux-mêmes dénoncent les abus de cette théologie de la prospérité…

J’aimerais d’abord faire écho au document publié récemment par le conseil national des évangéliques de France (CNEF), sur La théologie de la prospérité [1]… « La théologie de la prospérité a vu le jour aux États-Unis à partir des années 1960. Son influence gagne l’Afrique et l’Amérique du Sud à partir de la fin des années 1970. Elle enseigne qu’en plus du salut, le Christ promet et assure à ceux qui mettent en œuvre leur foi, la richesse matérielle, la santé et le succès. Cette théologie s’est développée autour de personnalités issues du pentecôtisme, mais ne représente pas la doctrine pentecôtiste. » Dans cette étude de 30 pages, les théologiens, représentatifs des différents courants évangéliques de France, soutiennent que la théologie de la prospérité présente une conception « erronée » de la foi, qui « détourne » le message évangélique en absolutisant certaines promesses de bénédictions de la Bible et présente, dès lors, de réels dangers.

Quel bien Dieu vise pour nous ?

Première erreur : la théologie de la prospérité met sur le même plan le salut, la prospérité physique (santé) et matérielle (richesse), alors que le salut chrétien, qui fait le cœur de l’Évangile, « concerne avant tout la relation à Dieu et la réconciliation avec lui par le Christ ». Bien plus, elle « instrumentalise » Dieu, en le mettant au service de la prospérité du croyant : en effet, selon ses partisans, le fidèle doit croire que tout, y compris la richesse, lui a été déjà acquis par le Christ. Il lui suffit donc de manifester sa foi dans la promesse de l’Évangile en donnant de l’argent pour qu’il en obtienne la récompense au centuple… Mais, dans une telle logique, « l’accent unilatéral sur la parole de foi, dont l’efficacité réside en sa propre force d’affirmation, peut conduire à avoir “foi en la foi” plutôt que d’avoir “foi en Dieu” », estime le document. Quelle place pour l’attachement à Dieu malgré les limitations ou les manques, et pour l’amour gratuit et persévérant, si Dieu choisit de bénir autrement que par l’abondance, ou la facilité, ou le bien-être physique ? Il faut donc résister à la dictature du « tout, tout de suite » de la théologie de la prospérité : le bien immédiat n’est pas toujours le bien supérieur.

Des promesses culpabilisantes.

Si les théologiens de la prospérité rejoignent « des aspirations profondes » de « populations dont la réalité quotidienne est la souffrance et la misère », ils sont en revanche « marqués par l’appétit de jouissance et de réussite de notre société, qui refuse les limites etla souffrance. Dansnos Églises, nous croyons en un Dieu qui intervient dans notre vie et peut donner des signes miraculeux de son action, mais il ne faut pas les systématiser. » Particulièrement dangereux, ce « système» est ainsi « source de profonde désillusion », parce qu’il met en avant « de fausses promesses ». Pire, il est très culpabilisant pour le chrétien : s’il n’est pas exaucé, on lui rétorque que c’est parce que sa foi n’était pas assez forte… « Les prophètes de la prospérité se mettent ainsi à l’abri de toute remise en cause de leurs promesses. Par contre, tout le poids de l’échec éventuel de ces promesses repose sur le croyant qui a espéré, prié, donné », on renvoie celui qui n’a « pas reçu » à son manque de foi, dont on décèlera les moindres failles.

Lutter contre la pauvreté par la solidarité et la promotion de la justice.

Enfin, dernière erreur et non des moindres, les avocats de la prospérité occultent les mises en garde récurrentes, dans la bouche de Jésus, « contre l’amour de l’argent et contre l’idolâtrie de la réussite matérielle ». « La solidarité envers les plus faibles et la protection de leurs droits sont les attitudes demandées par Dieu à son peuple pour faire face àla pauvreté. L’Église aura soin de manifester cette solidarité active, par une compassion concrète qui reflète les dispositions qui étaient en Jésus. En s’engageant sur cette voie et en soutenant les œuvres chrétiennes engagées dans la solidarité en faveur des plus faibles, l’Église offrira une alternative aux mirages trompeurs de la théologie de la prospérité. »

Ne pas opposer la foi et les œuvres

Après ce long écho au texte du CNEF, j’aimerais donc redire notre foi et notre espérance. Elles résident dans l’assurance que le Royaume de Dieu est en marche, qu’il est déjà là, mais pas encore en plénitude… C’est ce qui permet de tenir ensemble les deux versets : « travaillez aux œuvres qui se gardent jusque dans la vie éternelle » (v.27) et « l’œuvre de Dieu c’est de croire en celui qu’il a envoyé » (v.29)… Il nous faut donc croire au Christ, croire en son Royaume, en son Salut déjà là ! Mais croire, adhérer à la vie du Christ, cela consiste à vivre de plus en plus toutes nos relations sur le modèle de la vie du Christ et donc à œuvrer sans cesse pour lutter contre la misère, contre l’injustice, contre la haine… Nos œuvres attestent, contresignent notre adhésion au Christ… Loin d’attendre béatement les bienfaits de Dieu, il s’agit d’être ses mains, ses oreilles, sa bouche, son cœur pour répandre ses bienfaits jusqu’aux extrémités du monde…

Ne vous laissez donc pas séduire par les fausses promesses des Églises de la prospérité !

Attachez-vous au Christ, non pas de façon désincarnée, purement spirituelle, mais par toutes les relations de fraternité, de solidarité, de justice pour tous…

Alors oui la vie éternelle sera déjà en vous, puisque vous croirez par toutes les fibres de votre être à la Vie du Christ !

 



[1] La théologie de la prospérité, Conseil National des Evangéliques de France, mai 2012

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