Dieu récompense-t-il ?

30ème dimanche, année C, Lc 18, 1-8 /

Aiguisons notre lecture de la Parole, car il ne manque pas d’expressions dans la Bible pour nous dire que Dieu récompense les justes ou ses serviteurs, ou les pauvres… Dans la première lecture de ce dimanche par exemple : « Il écoute la prière de l’opprimé » (Si 35,13) ; « Celui qui sert Dieu de tout son cœur est bien accueilli, et sa prière parvient jusqu’au ciel ! » (Si 35, 16) ou encore dans le psaume de ce dimanche : « Le Seigneur regarde les justes, il écoute attentif à leurs cris » (Ps 33 (34),16) Or le publicain de notre parabole dominicale n’est ni juste, ni opprimé, ni pauvre, ni serviteur de Dieu –en tout cas cela n’est pas mentionné-. Mais c’est un « collabo » avec l’envahisseur romain, qui se remplit les poches grâce à sa fonction de collecteur d’impôts… Le pharisien, lui, sert Dieu, jeûne plus qu’il n’est demandé, paye la dime et se conduit comme il faut : ni voleur, ni injuste, ni adultère… ET POURTANT, c’est la prière du publicain qui sera exaucée !!! C’est à n’y rien comprendre ! À moins de sortir de la logique de la méritocratie, de la compensation et d’entrer dans celle d’un amour gratuit « qui ne fait pas de différence entre les hommes » (Si 35,12).

Sortir de la méritocratie !

Cette première étape nous est déjà difficilement accessible, car nous sommes marqués par une éducation, par une société, par une idéologie libérale qui ne récompensent que le mérite. Or, notre rapport à Dieu n’a rien à voir avec l’esprit de compétitivité d’une société menée par la finance et par l’argent. Dieu est tout amour : il n’a pas besoin de sélectionner ceux qu’il va daigner aimer. Une mère aime-t-elle ses enfants en fonction de leurs mérites, ou parce qu’ils sont ses enfants ? Ne va-t-elle pas, même, être plus attentive à celui qui galère plus que les autres pour réussir sa vie ? La logique du mérite risque fort de conduire à l’autosatisfaction et au repli sur soi, car finalement on n’a plus besoin ni de sa mère, ni de son père, ni des autres, ni de Dieu… mais on reçoit uniquement le fruit de nos efforts, et l’on en vient à mépriser ceux qui ne savent pas se prendre en main ! C’est bien le drame de ce pharisien : autosatisfaction, autojustification, mépris des autres et nul besoin de Dieu ! Pourquoi sa prière n’est-elle pas exaucée ? Tout simplement parce qu’il ne demande rien à Dieu !!! Et puis, ceux qui sont convaincus d’être justes sont-ils vraiment dans la vérité ? Le père Jaouen, qui s’est occupé toute sa vie de jeunes en difficulté s’exclame : « C’est à croire qu’ils ne se sont jamais trompés  de leur vie, ceux qui prétendent pouvoir juger des actes des autres ! »

Sortir de la logique de la compensation !

Un pas de plus nous est demandé… Dieu préfère-t-il les pauvres ? Ce n’est pas ce que nous dit Ben Sirac « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » (Si 35,12) ou encore « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5,45) ou encore la figure de ce riche publicain… Si Dieu préférait les pauvres, ce serait une autre forme d’injustice… MAIS l’on peut dire deux choses, me semble-t-il : Dieu déploie tout son amour, toute sa tendresse pour aller à la recherche de celui qui en a le plus besoin, de celui qui est perdu, pauvre, opprimé, veuve, orphelin (cf. les récits du « Bon pasteur », ou du « Fils prodigue »)… D’autre part, si la prière du pauvre est exaucée, ce n’est pas en compensation pour sa situation, mais peut-être parce que le pauvre est beaucoup mieux disposé pour une prière juste, vraie, authentique : un cri qui vient des entrailles comme celui de ce publicain, qui n’est nullement pauvre économiquement mais authentique dans sa prière : « Il n’osait même pas lever les yeux au ciel ; mais se frappait la poitrine en disant : ‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !’ » (Lc 18, 13) C’est un authentique « pauvre de cœur » !

S’ouvrir à la gratuité de l’amour !

Le cas du Bon Larron –toujours chez Luc, cela n’est pas anodin– reste pour nous incroyable. Or, ce Bon Larron, ressemble beaucoup à notre Publicain : « ‘Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal.’… Et il disait : ‘Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne.’ Jésus lui répondit : ‘Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis.’ » (Lc 23,42-43) N’est-ce pas le plus bel exemple de cette gratuité de l’amour de Dieu, qui n’a rien à voir avec la méritocratie, la compensation ou la punition ? Même pas de demande de pardon, même pas de purgatoire pour ce salopard de brigand : non, vraiment, humainement c’est inconcevable ! Seul l’Esprit de Dieu qui nous habite peut nous faire entrer dans cette logique…

Alors, Dieu récompense-t-il les justes, ses serviteurs, les pauvres…

ou aime-t-il tout simplement ?

Et vous, voulez-vous être semblables à Dieu ?

 

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6 réponses à Dieu récompense-t-il ?

  1. Nicole Chabot dit :

    Cher Benoît,
    Te lire chaque semaine est pour moi un pur délice.
    J’aime ton regard profondément humain sur la vie là-bas et tes réflexions très songées et nourissantes sur la Parole de Dieu.
    Merci

  2. david kodjo dit :

    je suis ravi par cette réflexion et ce lien avec le récit du bon laron. moi en réfléchissant la dessus je me dis quel est ce Dieu qui peut en un instant t multiplier la multitude de nos péchés par zéro et nous accueillir avec comme si on était parfait depuis le début. et je crois que de notre état de pécheur, le fait de nous abaisser de reconnaitre que nous sommes néant, reconnaitre nos fautes et demander le pardon de nos péchés nous rapproche de Dieu et le met dans la joie. je crois que ce qui compte pour Dieu c’est pas nos péchés, ni sa lourdeur mais cest le pas que nous faisons pour tendre vers lui qui l’enchante et il n’hésite pas à nous tendre la main .Parce que Dieu qui nous a créé ne serait pas content de nous voir perdre notre âme.
    Que notre prière de chaque jour nous rapproche de Dieu et que jamais nous ne soyons séparés de lui. Amen

  3. Monique dit :

    Ne pourrait-on pas croire que le désir d’être récompensé au mérite est intimement lié au désir – naturel – de reconnaissance ? Que donc, celui qui s’évertue à remplir toutes les prescriptions de la loi, ou de la règle, le fait pour que soit reconnue sa docilité à accepter les conditions qui lui sont imposées s’il veut être reconnu comme one of the gang ? Cela étant, toutefois, il est vrai qu’il risque d’attraper cette maladie de l’auto-satisfaction et de l’auto-nomie (!). Ou, comme le dirait Nietzsche, de développer une « volonté de puissance ».
    C’est en somme ce que vous montrez, Benoît, n’est-ce pas ? Si ce danger est vrai, alors faudra-t-il se résigner à s’auto-déprécier, à battre sa coulpe trois fois par jour ? À devenir scrupuleux ?

    Mais vous admirez celui qui est « pauvre de cœur ». Expression paradoxale, non ? Coïncidence, j’ai travaillé la semaine dernière l’enseignement de Platon sur l’amour. Comme les sagesses se retrouvent dans les grandes réalités ! Il était question de ceci : l’amour est pauvre. L’amant est toujours pauvre, il quémande l’amour de l’autre, il n’a pas de moyens qui soient satisfaisants pour faire savoir son amour, il risque toujours de perdre l’amour de la personne aimée ! Il faut avoir aimé pour savoir combien l’amour est indigent. D’une indigence existentielle qui fait souffrir ! Toujours. Ainsi, on pourrait dire que ce n’est pas le pauvre comme tel qui est disposé à la prière, c’est celui qui aime qui a, comme vous dites, « de vrais, d’authentiques cris qui viennent des entrailles ». Ce que Platon ne savait pas, ce que « nous » ne savons pas, ou mal, c’est qu’avec Dieu, notre désir de « toujours » est d’emblée comblé.

    En méditant votre commentaire, P. Benoît, j’ai pris conscience que si l’enfant joue à celui qui veut attirer l’attention par des comportements que l’adulte juge parfois inadéquats, et qui le sont souvent, c’est peut-être parce qu’il y a en lui cette grande pauvreté de l’amour : un enfant, ça nous aime. Point final. Et ça manque cruellement de moyens. Combien sommes-nous injustes alors d’exiger de lui qu’il mérite notre amour ! Injustes ou ignorants : l’amour ça ne se mérite pas, ça n’est pas un salaire. Et combien sommes-nous injustes aussi de punir un petit qui est par nature pauvre en moyens pour ne pas perdre l’amour de ses parents et de la société. Et combien plus injustes encore en ceci qu’on lui inculque alors à coups d’injustices cette logique de la méritocratie, de la compensation, du calcul, finalement, que vous dénoncez. Autant le nourrir à l’arsenic.

    J’ai une conférence à préparer pour un congrès d’enseignants. Le thème porte sur l’équilibre chez les enfants du préscolaire : je crois que je vais y insérer, si vous permettez – puisque les miennes viennent des vôtres -, quelques unes de nos réflexions. Mais, pauvreté aussi de l’éducation : les enseignants comprendront-ils ? Quémandent-ils ? Ont-ils, ou elles, quelques demandes vraies qui viennent de leurs entrailles ?

  4. Frère Benoît dit :

    Merci Monique pour ces harmoniques… Plus on creuse l’Evangile plus il devient Parole de Vie !

  5. Thérèse L.-Vézina dit :

    Les enseignants ne sont pas à l’abri du besoin d’être reconnus et aimés …
    Le 24 octobre 2013, j’ai appris le décès de Marcel St-Amant (voyage de culture et de spiritualité — 2005) dans de tristes circonstances où l’avait amené une grande solitude. Son fils, psychologue, a retrouvé dans ses notes personnelles, la trace de nos échanges sur la culture et la spiritualité, échanges appréciés. Il avait dit à son fils, cependant, qu’il ne pouvait oublier que dans ce même voyage « il avait été un fauteur de troubles pour certains. »
    Je garde un bon souvenir de cet enseignant en géographie et lui demande de me retenir une place dans le Royaume réservé au « pauvre de cœur ». Voilà !

  6. Daniela et Christian Sacy dit :

    Heureusement que tu as repris ce texte, ça fait toujours plaisir de le lire. Ces textes ne se démodent pas. Comme je l’écrivais il y a quelques semaines Dieu est fait comme ça.
    Les ouvriers de la dernière heure…Le frère aîné de l’enfant prodigue…etc. On est sous la « gouvernance » de la grâce où on n’est pas.

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