29 décembre 2013, Sainte Famille, année A, Mt 2,13…23 /
L’Évangile est assez peu loquace sur la Sainte Famille, ainsi, selon les années liturgiques, trois textes nous sont proposés : « La fuite en Egypte », « La présentation au Temple », « La fugue de Jésus à Jérusalem ». Or, aucun de ces textes ne nous parle de l’intimité de la vie familiale de cette Sainte Famille ! Ne cherchons donc pas trop à inventer ce que l’Évangile ne nous dit pas, mais nourrissons-nous du peu qui nous est dit pour inspirer nos familles humaines, nos communautés chrétiennes familiales, notre famille humaine universelle ! Ne s’agit-il pas de passer de la Sainte Famille à une famille de saints ?
Nos familles humaines…
Que nous disent les évangiles ? Que Jésus n’était pas couvé par ses parents : « Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s’en aperçoivent. Pensant qu’il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher. » (Lc 2,43-44) ; Que ses parents ne comprenaient pas tout : « Mais eux ne comprirent pas ce qu’il leur disait » (Lc 2, 50) ; Que Jésus était soumis à ses parents (Lc 2,51)… Mais surtout que Marie et Joseph étaient disponibles à l’Esprit de Dieu pour conduire leur famille. Il suffit de penser à « l’annonciation » à Joseph, à l’annonciation à Marie, ou au passage de ce dimanche où, par deux fois, Joseph est averti en songe : d’abord pour fuir en Egypte puis pour s’installer, non en Judée, mais à Nazareth en Galilée. La suite de l’Évangile nous révélera le même chemin de sainteté : non pas une vie parfaite de la part de la famille de Jésus qui parfois a voulu s’opposer à sa vie de prédicateur errant : « Sa famille, l’apprenant, vint pour se saisir de lui, car ils affirmaient : ‘Il a perdu la tête.’ » (Lc 3,21) mais une vie toujours plus disponible aux événements, à l’identité profonde de Jésus, à l’inspiration de l’Esprit. Au-delà des images pieuses d’une Sainte Famille à imiter cultivons surtout le respect mutuel, la désappropriation de l’autre qui est d’abord fils ou fille de Dieu –et non ma propriété– pour devenir, non pas de nouvelles Saintes Familles, mais des familles de saints !
Des communautés chrétiennes familiales…
« Voici que sa mère et ses frères se tenaient dehors, cherchant à lui parler. À celui qui l’en informait Jésus répondit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Et tendant sa main vers ses disciples, il dit: « Voici ma mère et mes frères. Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère. » » (Mt 12,46-49) Au-delà de nos familles humaines, il faut donc construire la nouvelle famille de Jésus. Ce ne sont plus nos origines, nos liens de parenté, nos ethnies qui doivent déterminer notre fraternité mais bien notre appartenance à la famille du Christ. Alors examinons, chacun, notre communauté chrétienne, est-elle effectivement notre nouvelle famille ? Quelle fraternité y vivons nous, quels soutiens mutuels, quelle proximité dans les épreuves comme dans les joies ? N’y a-t-il pas un pas supplémentaire que nous pourrions poser pour avancer sur ce chemin de la fraternité ? Quand je manque l’eucharistie par exemple, je ne manque pas tant à une obligation qu’à mes frères et sœurs, qu’à ma communauté : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » (Lamartine). Les fidèles de nos églises d’occident passablement vides en font l’expérience cruelle chaque dimanche.
Une famille humaine universelle.
Il s’agit donc de sortir de nos cercles familiaux, pour entrer dans notre nouvelle famille-communauté mais cela ne suffit pas, l’Église catholique n’est pas une secte ! La question à se poser serait la suivante : en quoi mon « lieu d’Église » m’ouvre-t-il à une famille universelle ? Nos communautés chrétiennes ne se fondent pas sur des affinités, sur le choix de celles et ceux qui auraient le droit de s’asseoir sur le même banc que moi, mais sur le fait que nous sommes convoqués ensembles par le Christ. Mon « lieu d’Église » peut ainsi devenir un lieu privilégié de fraternité universelle, n’en faites-vous pas l’expérience dans vos églises bigarrées où se retrouvent des frères de toutes origines, de tous âges, de toutes conditions ? Pour ma part c’est mon quotidien grâce à la vie religieuse : des frères et sœurs de tous âges, de tous pays, de toutes cultures avec qui je partage la même vie non seulement chez moi, mais sur les routes de la Mission… La Sainte famille a donc dû s’ouvrir à la famille des disciples du Christ – Marie devenant Mère de l’Église– mais plus encore les communautés chrétiennes ont dû s’ouvrir à la diversité des nations et des peuples, comme en a témoigné Paul, l’ardent évangélisateur des Nations ou comme en ont témoigné les moines de Tibhirine, frères au-delà des appartenances religieuses –Marie devenant Mère de l’humanité-.
Alors comment, comme a dû le faire la Sainte Famille, passer :
D’une simple famille à une famille de saints ?
D’une famille restreinte à la famille des disciples du Christ ?
D’une famille de disciples à la famille humaine universelle ?
N’est-ce pas cela Noël ?
D’entrée de jeu, vous dites, P. Benoît : « L’Évangile est assez peu loquace sur la Sainte Famille »… Eh bien, des assez peu loquaces, on en a vu d’autres depuis, non ? Des qui « ne nous parlent pas de l’intimité de sa vie familiale », élargie ou pas, ça se voit encore aussi… des 2 000 ans après ! Non ?
D’autre part, si vous m’autorisez encore (!), vous attirez notre attention sur ceci : « Ne s’agit-il pas de passer de la Sainte Famille à une famille de saints ? » Ma question : Comment savoir ce que font les saints ? J’imagine qu’ils font comme tout le monde, ils ne font sûrement pas l’ange, si l’on en croit Pascal ; non ? Mais j’exagère, comme toujours…
Puis-je penser, et cela en accord (?) avec les Évangiles, qu’un saint dans nos vies, on ne le reconnaîtrait pas ? Que seul Dieu sait sonder « les reins et les cœurs » ? Et que « l’essentiel est invisible pour les yeux » comme ajoute ensuite le poite ? – Sauf qu’il ne dit pas, le poite, pour quels yeux l’essentiel est invisible… Et nous, moi, nous pensons naïvement qu’il s’agit des yeux des autres. Peut-être que nos propres yeux non plus ne savent pas voir l’essentiel. Peut-être, vu cette cécité, tentons-nous de grossir les traits et essayons-nous de « passer d’une simple famille » à une « famille humaine universelle » ! Platon dit que pour étudier le cœur, l’âme, de l’homme, il lui faut passer par l’organisation d’une cité, car là, dit-il, « tout est écrit en plus gros caractères ». La difficulté se serait, encore là, déjà vue…
Votre « famille humaine universelle » est bien abstraite, il me semble, Benoît. Réelle mais abstraite. Le défi, comme je le comprends, c’est le concret avec toutes ses nuances, ses paradoxes, voire même ses caprices. Quand vous-même jetez un regard sur « notre nouvelle famille » constituée de « notre communauté chrétienne », n’en référez-vous pas à une ancienne, une première, pivot de votre analogie ? Pourtant oui, car vous dites « quelle fraternité y vivons nous, quels soutiens mutuels, quelle proximité dans les épreuves comme dans les joies ? » N’est-ce pas reconnaître que c’est elle, cette toute première famille qui est notre point d’ancrage, liés concrètement que nous sommes, qu’on le veuille ou pas, à nos origines, à nos liens de parenté, à nos ethnies ? Faudrait-il s’en abstraire ?
Bon, il est vrai que vous demandez : « N’y a-t-il pas un pas supplémentaire que nous pourrions poser pour avancer sur ce chemin de la fraternité ? » La question est bonne si on pense ce pas en avant comme ce que fait le puisatier qui doit rester sur place s’il désire creuser un puits, et améliorer l’existence et de sa famille et de sa communauté. Il avance… en restant sur place. Au risque de se tromper, au risque qu’on se moque de lui ; mais lui sait ce qu’il doit faire, sans faiblir, pour trouver de l’eau.
Vous le savez, je crains l’abstrait. Qui est trop simple alors que nos vies se passent dans le complexe, dans le multiple, dans l’inattendu et dans le changeant. Nos vies sont autrement plus difficiles que l’abstrait qui, lui, est pur et imperturbable. Vous avez donc raison sur une chose importante (enfin, dites-vous !) : l’Évangile ne parle pas « de l’intimité de la vie familiale » de Jésus, de Joseph et de Marie… pour la simple raison, en effet, que l’intimité concrète de la vie ne se laisse pas décrire avec des mots : elle se vit. Elle s’éprouve. C’est ce dont vous témoignez, d’ailleurs, quand vous dites : « Pour ma part c’est mon quotidien… » Votre vie, notre vie, religieuse ou pas, a chaque fois ce défi de s’ouvrir à l’autre, l’autre concret et singulier, unique, bigarré ou pas (l’autre par définition est toujours bigarré) ; et à respecter son idéal. Ça s’appelle l’amour, je crois…
C’est là qu’il faut creuser son puits, il me semble, sans fléchir, sans douter, si l’on ambitionne (!) d’être un saint. C’est peut-être une sainteté bien humble mais n’est-ce pas la seule et la plus goûteuse ?
En somme, P. Benoît, j’ai bien peur que vos frères et sœurs de votre communauté humaine universelle aient un caractère bien conceptuel ; je leur préférerais, je crois, le propos de Montaigne parlant de l’énigme du chaud lien de l’amitié – les chrétiens et les saints y échapperaient-ils ? – : « Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. » (Essais, De l’Amitié, I, 28) Singularité et réciprocité, commente La Croix (5.12.12) comme en un écho anticipé à ce que j’essaie de dire ici. Écho incontestable aussi au beau et saisissant vers de Lamartine que vous rappelez.
Cher P. Benoît, puissiez-vous considérer ce long billet comme l’expression de mes vœux très sincères pour une année 2014 féconde et heureuse…
M.
Mes vœux les meilleurs pour l’An nouveau !
En ce dernier jour de l’année, je ne puis que rendre grâce à l’effet que la technologie des communications me permette d’être branchée sur l’Afrique de l’Ouest, par le truchement du blogue.
Cette même technologie, cette fois, celle de l’Afrique du Sud, ramène Lucie Pagé (« Mon Afrique » – 2001) à notre écrivain canadien, Marshall McLuhan, le premier théoricien des années soixante, à prédire que chaque recoin de cette planète serait électroniquement branché, créant ainsi un immense « Village global ». Pour la journaliste Pagé, l’expression village global ne veut rien dire sans l’Afrique, et, pour une lectrice du blogue de frère Benoît : « une famille humaine universelle en marche vers la quête de bonheur ».