22 mars 2015, 5e dimanche de carême, année B, Jn 12,20-33 /
« Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? ‘Père, sauve-moi de cette heure’ ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12, 27) Tout l’évangile de ce jour, et même la vie de Jésus, sont condensés dans ce bref passage ! On y retrouve l’humanité de Jésus avec ses craintes face à la souffrance et la mort qui se profilent à l’horizon… On y retrouve aussi le Fils de Dieu, dans cette intimité avec son Père et son humble confiance en sa volonté… On y cerne, un peu mieux, le mystère de sa Pâque : la mort comme un passage vers une vie de gloire et cette mort en croix qui est la révélation suprême de l’identité de Dieu car, dans ce don total, ‘son nom est glorifié’ : Dieu d’amour ! Dans le contexte d’une recrudescence des persécutions en raison de la religion, la Passion du Christ, librement acceptée, prend une nouvelle actualité ! Pas facile d’être chrétien !
« Mon âme est bouleversée ! »
Eh oui, même si Jésus faisait confiance à son Père, il fut bouleversé à l’approche de son heure… Nous avons ici chez saint Jean, l’écho de Gethsémani chez saint Luc : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ! » (Lc 22,42) Si Jésus fut bouleversé, à plus forte raison combien, nous autres, pauvres petits disciples, avons le droit d’être bouleversés, d’angoisser, de craindre notre dernière heure. Et comment ne pas penser à ces millions de chrétiens persécutés aujourd’hui au XXIe siècle ? Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde[1] parle de 150 à 200 millions de chrétiens actuellement discriminés ou persécutés dans environ 140 pays. Ce qui fait de la religion chrétienne la religion la plus persécutée au monde. Sur le nombre de morts, les chiffres semblent plus controversés, mais en mai 2013, Mgr Silvano Maria Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies, parlait d’environ 100.000 chrétiens tués chaque année pour des raisons en rapport avec leur foi.[2] Sans l’avoir désiré, leurs vies ont été configurées à celle du Christ. Mais comment tous ces martyrs et persécutés vivent-ils leur fidélité au Christ ? Comment réagirions-nous à leur place ? Combien sont restés fidèles, combien ont renié leur foi ? De loin, il est facile de parler mais, confrontés concrètement à la violence, à la souffrance, à la menace, quelle serait notre réaction ? Les médias relatent quelques-unes de ces horreurs, mais nous sommes loin de pouvoir compatir, comprendre, ressentir, l’héroïcité de ceux qui ont préféré la torture ou la mort plutôt que de renier leur foi ! Et comment ne pas compatir, aussi, avec ceux qui ont préféré l’apostasie pour épargner un proche ou sauver leur peau ! Pas facile d’être chrétien !
« Que vais-je dire ? »
Dans un même élan, Jésus dit sa peur mais aussi sa détermination à faire ce qu’il a à faire : « Que vais-je dire ? ‘Père, sauve-moi de cette heure’ ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! » On perçoit bien ici le long cheminement de Jésus, en particulier depuis les tentations au désert, qui lui a permis de faire le choix de vivre sa messianité selon l’annonce du serviteur souffrant d’Isaïe et non selon l’attente d’un messie guerrier, libérateur par les armes. La perspective de sa passion, de sa souffrance, de sa mort, il la portait en lui depuis des années déjà, et c’est ce qui lui permettra de dire son oui ultime. Nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir, pas forcément le martyre, mais nous devrons de toute façon passer par la souffrance et par la mort pour quitter cette terre. Sans se laisser obnubiler par cette pensée, comment nous y préparons-nous ? En disant au Seigneur « sauve-moi de cette heure. » ? Ou en cultivant une grande intimité avec le Père, une grande confiance en lui, un grand amour qui nous donneront la force de faire ce passage vers Lui et vers ceux qui nous ont précédés à ses côtés ?
« Père, glorifie ton nom ! »
L’acquiescement ultime de Jésus s’exprime dans son désir que le nom du Père soit glorifié… En entendant « gloire » ne pensons pas trop vite à la Résurrection… La glorification du nom de Dieu se fera d’une double manière dans la Passion de Jésus : d’une part, en se donnant jusqu’à la mort, en ne répliquant pas à la violence par la violence, en pardonnant à ses bourreaux, Jésus manifeste sur la croix que Dieu n’est qu’Amour et que sa puissance n’a rien à voir avec celle qu’on prête habituellement aux divinités. Mais d’autre part, il ne faut pas oublier le troisième jour et la résurrection qui manifestent, haut et fort, que l’Amour est plus puissant que la haine et que la mort, et que c’est la Vie en Dieu qui a le dernier mot. Face à la violence et à la haine, glorifierons-nous le nom de Dieu, c’est-à-dire aurons-nous une attitude semblable à celle du Christ en croix ou trahirons-nous son nom ?
Pas facile d’être disciple du Christ…
Mais ne croyez-vous pas, aussi, qu’au moment ultime,
l’Esprit de Dieu nous donnera la force de trouver l’attitude juste ?
[1] « Le livre noir de la condition de chrétiens dans le monde », de Mgr Di Falco, Timothy Radcliffe et Andrea Riccardi, XO Editions, 2015
[2] Le Centre pour les Etudes du Christianisme global des Etats-Unis ainsi que l’organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avancent le même chiffre…
Le chrétien trouve son courage (et son bonheur) dans les vertus théologales.
Pas facile d’être chrétien, mais il est encore moins facile de ne pas l’être.