13 septembre 2015, 24ème dimanche, année B, Mc 8,27-35 /
Il est toujours impressionnant de noter, dans ce passage de l’évangile selon saint Marc, la proximité entre la profession de foi de Pierre : « Tu es le Christ (Messie) » (Mc 8,29) et l’invective violente de Jésus à son égard : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mc 8,33) Et je me pose cette question : comment savoir si nos confessions de foi sont bien en adéquation avec ce que Dieu est réellement ? Ou plutôt, puisque Dieu est toujours autre que ce que l’on peut en dire : Comment savoir si ce que nous mettons derrière nos déclarations de foi, ne défigure pas trop le visage de Dieu ? Alors que nous nous disons chrétiens, que nous développons une vision du monde et de la société, à partir de notre foi chrétienne ; que nous cherchons à mettre en œuvre cette compréhension de la foi ; que peut bien penser le Seigneur de notre façon d’exprimer notre foi ? : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.. » (Lc 10,21) ou : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » ? Il me semble que dans nos sociétés hyper-médiatisées, où tout le monde, via Internet, peut s’exprimer sur tout ; nous autres, chrétiens, risquons d’oublier trop vite les médiations qui nous sont offertes, pour apporter une certaine garantie à notre foi ! Ne nous positionnons pas en petits dictateurs de la foi chrétienne ! Mais situons-nous dans une Tradition vivante, avec la Parole de Dieu –et non l’Écriture seule- pour guide et en dialogue avec d’autres !
Dans une Tradition vivante !
Dans la logique de Pierre, déclarer « Tu es le Messie », allait de pair avec la vision d’un Messie puissant, victorieux, libérateur du joug romain… Aussi, lorsqu’il entend Jésus reprendre plutôt la ligne du serviteur souffrant qui sera torturé et mis à mort, présente notamment dans le livre d’Isaïe, il ne comprend plus et veut ramener Jésus à la raison : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » (Mt 16,22)… Aujourd’hui nous sommes nombreux à nous réclamer du Christ : depuis le moine orthodoxe du Mont Athos, jusqu’aux pasteurs des Églises du Réveil adeptes de la théologie de la prospérité, en passant par les évêques homosexuels de certaines églises épiscopaliennes, par les intégristes lefebvristes ayant refusé le Concile Vatican II ou par le catholique moyen façonné par divers mouvements d’Église… ; sans parler des clivages politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite ; ou des qualificatifs à l’emporte-pièce : progressistes, conservateurs, réactionnaires, tradis… Toutes les positions sont-elles équivalentes ? Peut-on, en se réclamant de l’Évangile, dire tout et le contraire de tout sur : « la » famille chrétienne ; sur les personnes divorcées-remariées ; sur les personnes homosexuelles ; sur les immigrants ; sur les étrangers ; sur les autres croyants ; sur la liturgie ; sur la morale ; sur la peine de mort ; sur l’euthanasie ; sur l’eugénisme ; sur l’environnement ; etc… etc… Internet accentuant le phénomène, il en va comme si chacun pouvait se poser en libre interprète de l’héritage de Jésus Christ, oubliant que Celui-ci n’a strictement rien écrit et que tout ce que nous connaissons de lui nous vient de l’Église via les premières communautés chrétiennes, les premiers écrivains chrétiens, lus et interprétés dans une Tradition vivante !
Avec la Parole de Dieu et non l’Écriture seule pour guide !
Qu’est-ce qui nous garantit que nos pensées ne sont pas celles des hommes mais celles de Dieu ? Les citations bibliques utilisées de façon littéralistes ? Certainement pas ! Le fait de se ranger à l’avis du plus grand nombre ? Encore moins… L’argument de l’ancienneté : la morale de nos aïeux, la liturgie « de toujours », la référence aux Pères de l’Église, oubliant que l’Église a répondu à chaque époque aux nouveaux défis qui se présentaient à elle avec des réponses toujours enrichies… Je dirais finalement que nous n’avons aucune garantie, mais des médiations à respecter… « La sainte Tradition et la Sainte Ecriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église » (Dei Verbum n°10) La première de ces médiations c’est donc la Parole de Dieu exprimée dans les Saintes Écritures et dans la Tradition ! « L’Écriture, et la Tradition elle-même dans les documents où elle s’est déposée [Magistère de l’Eglise], demandent à être toujours de nouveau interprétées. L’histoire montre notamment ce qui peut être fait de l’Écriture lorsqu’elle est détachée de la communauté de foi qu’elle contribue à engendrer et à nourrir. À partir et au nom de cette Écriture n’ont cessé de se multiplier des mouvements fanatiques, « illuminés », anarchisants. Quant à la Tradition, qui pourrait prétendre en discerner tout seul les expressions fidèles et celles qui ne le seraient pas ? » (Catéchisme pour adultes, §63).
En dialogue entre nous et avec d’autres !
Oui, comme chrétiens, nous avons à nous prononcer face aux défis de notre temps. Nous avons à nous risquer à une parole évangélique pour aujourd’hui, mais, de grâce, ne nous positionnons pas en petits dictateurs de la foi chrétienne, en interprètes universels de la vérité, en catholiques plus catholiques que le pape ! La Parole de Dieu exprimée dans l’Écriture Sainte et dans la Tradition vivante de l’Église est notre seule guide. Et c’est ensemble que nous pouvons l’interpréter pour aujourd’hui : avec nos frères et sœurs chrétiens, insérés dans une communauté chrétienne locale qui vit sa foi (et non pas en électron libre sur Internet), à l’écoute du magistère de l’Église, du sensus fidei (du sens de la foi des baptisés), des théologiens, de nos pasteurs (le pape et les évêques), des ministres ordonnés, des saints qui nous ont précédés, des docteurs de l’Église… ; en assemblées paroissiales, en assemblées synodales, en conciles et finalement en dialogue avec tous les chercheurs de vérité… Oui, c’est ensemble que nous pourrons interpréter, au plus juste, la Parole de Dieu pour aujourd’hui !
Nos pensées sont-elles celles de Dieu ou celles des hommes ?
Qui nous le garantira ?
Ni le littéralisme de la Bible, ni l’expression de la foi d’une époque donnée…
Mais, avec tous les risques que cela implique, osons une parole évangélique pour aujourd’hui,
en nous situant dans une tradition vivante,
avec la Parole de Dieu –et non l’Écriture seule- pour guide
et en dialogue entre nous et avec d’autres !
« Comment savoir si nos confessions de foi sont bien en adéquation avec ce que Dieu est réellement ? », écrivez-vous le 11.09.15. Quelle question grave. P. Benoît ! Moi qui suis en train de réfléchir en ce moment sur la question de l’euthanasie, il me semble que votre question en est une de fin de vie ! C’est pas celle-là, votre question, qui nous donnera des angoisses au moment de la mort ? Ou bien encore celle-ci que vous citez de l’évangile de dimanche 13 septembre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes. »
Le reste de votre billet courageux ne nous laisse pas non plus indifférents, pour peu qu’on le lise plusieurs fois et qu’on le médite. Vous posez-là, ou vous osez-là, des questions et des problèmes énormes qui me font comme une sorte de véritable tremblement de terre ! Et le plus difficile, c’est qu’il faut s’y coller ! Vous tentez de nous orienter vers la « Tradition vivante » mais en prenant soin d’ajouter cette citation tirée du Catéchisme pour adultes, §63 : « Quant à la Tradition, qui pourrait prétendre en discerner tout seul les expressions fidèles et celles qui ne le seraient pas ? » C’est bien là le problème qui me reste, qui a souvent été là quand je m’arrête et qui sans doute sera là sur mon lit de mort, comme plusieurs personnes accompagnant les mourants en témoignent. Mais déjà, je ne sais pas ce que c’est, moi, la Tradition vivante ! Si tradition indique « transmission » alors toutes les difficultés que vous soulevez demeurent et pèsent lourd. Car ne sommes-nous pas tous, même les plus notables des chrétiens, toujours aux prises, à l’intime de nous, avec nos pensées d’humains ?… avec nos représentations humaines de Dieu ? – ici l’on pense à saint Anselme…
Mes propos ne sont pas rhétoriques, ils viennent de ce qu’effectivement, à l’heure de la Vérité, c’est-à-dire à l’heure de la mort, je m’imagine qu’un chrétien ne peut pas ne pas douter de ses multiples représentations de Dieu, de ses multiples « déclarations de foi ». Jésus n’a-t-il pas dit lui-même au moment de son agonie : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » En même temps, mille mercis, Benoît, de nous écrire ce texte courageux et riche qui nous réveille, nous aussi, de « notre sommeil dogmatique » !