4 octobre 2015, 27ème dimanche, année B, Mc 10,2-16 /
En ce jour même où s’ouvre la deuxième assemblée synodale sur la famille, l’Évangile nous replonge dans la question du divorce. « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » (Mc 10,2) Il me semble que ce n’est pas tellement le lieu, ici, de s’attarder sur l’actuelle position de l’Église puisque nous en saurons plus d’ici quelque temps, avec les conclusions du synode et surtout l’exhortation apostolique du pape François qui devrait s’ensuivre dans les mois prochains. J’aimerais prendre un peu de hauteur et poser la question : « Mais pourquoi vouloir renvoyer sa femme, ou son mari ? » Je partirai de ce fondement : « Le sens ultime de la vie consiste pour l’être humain à apprendre à aimer, à développer sa capacité d’offrir et d’accueillir un amour, en vue de vivre l’union à Dieu la plus intense et la plus belle possible »[1]. Le couple, la famille est donc un lieu privilégié pour faire cet apprentissage, comme la vie religieuse, l’amitié, l’engagement social, etc. peuvent être d’autres lieux pour faire cet apprentissage. Mais que cet apprentissage de l’amour est difficile !
Passer d’un amour fusionnel à un amour agapè !
Au début de l’histoire d’un couple, il y a une certaine dose d’affinité et de séduction, pour la beauté, l’intelligence, le plaisir et la joie que l’autre peut me donner… L’amour, au départ, sera donc plus ou moins fusionnel : les deux jeunes amoureux collés l’un sur l’autre et l’illusion que l’autre est parfait (« l’amour rend aveugle » comme on dit…). Le risque n’est-il pas d’aimer en l’autre ce que je retrouve de moi-même, et « d’utiliser » consciemment ou inconsciemment l’autre pour combler mes propres besoins ? Rien d’honteux à cela : il n’y a jamais d’amour parfait. On retrouve d’ailleurs le même type d’ambiguïtés dans les motivations pour la vie religieuse. La difficulté survient quand on veut en rester là et quand cet amour, plus ou moins immature, ne franchit pas ce premier stade. Car, avec le temps, l’autre devient moins séduisant, me fait moins rire et même me fatigue… Le véritable amour va devenir, alors, de plus en plus oblatif, je n’aime plus seulement l’autre parce qu’elle est belle, parce qu’elle m’apporte ceci ou cela, mais j’aime l’autre malgré ses limites, malgré le temps qui flétrit sa beauté, malgré ses défauts. J’accepte aussi que l’autre ne soit pas comme moi, qu’il ait ses jardins secrets, ses propres activités, d’autres réseaux de relations que les miens, etc… J’aime l’autre pour l’aider à grandir, à traverser ses épreuves, et pour, ensemble, affronter la vie… Bref il s’agit de passer d’un amour fusionnel à un amour agapè. La première cause de rupture ne se loge-t-elle pas là ? Dans l’impossibilité de faire ce passage ?
Passer d’un amour restreint à un amour universel…
Dans la perspective chrétienne, le but de la vie est de se préparer à vivre, en Dieu, une communion avec lui et avec tous les sauvés. Dans la vie religieuse, la communauté des frères ou des sœurs, que je n’ai pas choisis, qui sont de différents âges, de différentes cultures, de différentes sensibilités, sera le lieu d’apprentissage de cet amour universel auquel je suis appelé. Dans la vie de couple, c’est d’abord à travers l’amour de son conjoint, de sa conjointe que je vais pouvoir faire cet apprentissage. « Ce lien entre l’amour humain et un amour divino-humain à vivre par chacun avec son cœur tel qu’il sera devenu, ce lien entre le bonheur à procurer aujourd’hui aux êtres chers et leur bonheur à venir en Dieu dans l’éternité, constitue l’un des dons les plus précieux que la mystique chrétienne puisse offrir à tout amour authentique et en particulier à une vie de couple : non seulement ce lien permet une unification entre vie quotidienne et quête spirituelle, notamment un réconciliation entre élan érotique et aspiration mystique, mais aussi et surtout il offre un sens à la vie et un sens à l’amour suffisamment élevés pour que chacun y puise une motivation forte, susceptible de soutenir un élan naturel qui, à lui seul, ne saurait inscrire un amour dans la durée et encore moins l’intensifier. »[2] Avons-nous suffisamment conscience que le temps qui nous est donné, ici-bas, est l’espace qui nous est offert pour élargir notre cœur et celui de nos proches, afin que nous soyons et qu’ils soient capables d’accueillir l’amour de Dieu et d’entrer dans la communion de tous les sauvés ? Cela donne un autre élan à la vie de couple non ?
Passer d’un amour idéalisé à un amour au quotidien…
La double question quotidienne à se poser qui pourrait permettre à un couple d’avancer toujours vers un amour plus incarné, pourrait-être la suivante : « Quelle est la parole ou le geste qui contribuera le plus à faire grandir la confiance de mon conjoint d’être sincèrement aimé ? Quelle est la Parole ou le geste qui contribuera le plus à faire grandir sa capacité d’aimer et la mienne ? »[3]
Si l’on se situe dans cette triple perspective d’un amour toujours plus oblatif, d’un amour toujours plus universel et d’un amour toujours plus incarné au quotidien, je ne crois pas que l’on se posera la question de savoir s’il est permis ou pas de renvoyer son conjoint(e)… Mais cela demande bien sûr une véritable réciprocité dans cet engagement, « sans quoi le manque d’amour alors ressenti par l’un des partenaires, associé à un sentiment d’injustice à cause des efforts qu’il aurait déployés à sens unique, nourrit une souffrance parfois non avouée mais pourtant suffisamment présente pour rendre une vie de couple fort triste ou la vouer à une rupture probable. »[4]
Face à ce difficile apprentissage de l’amour,
Le permis ou l’interdit n’est pas l’essentiel,
Interrogeons surtout notre capacité d’Église
à accompagner les couples à chaque étape de leur vie…
[1] Fr Emmanuel, de Taizé, Un amour méconnu, Bayard, 2008, p. 194.
[2] Ibid., p. 195 ;
[3] Ibid.
[4] Ibid., p.246
Benoit,
Depuis plus de dix ans nous accompagnons des couples que le diocèse nous envoie,
à l’aide de quatre petites brochure.
Ta méditation s’inscrit tout à fait dans l’esprit qu’on retrouve dans ces cahiers.
Nous comptons l’imprimer et la rajouter aux documents que l’on donne à nos couples. J’espère que tu nous demanderas pas des droits d’auteur.
Imagine-toi dimanche dernier, nous avons pris l’avion de ….Nice.
Oh, Christian, je suis attentive à tes propos et je m’attendais à ce que tu parles de ton couple formé avec Daniela depuis tant d’années dans la joie, la simplicité et l’amour. Y a-t-il oblation, universalité et incarnation quotidienne ? Comme à Nice y-a-t-il eu orage et inondation. Accompagner d’autres couples solidifie-t-il le vôtre ? Lire l’article [2] est un tour de force.