La sagesse et la richesse ?

Salomon, sage et riche...

Salomon, sage et riche…

11 octobre 2015, 28ème dimanche, année B, Mc 10,17-30 /

Peut-on rechercher à la fois la sagesse et la richesse ? On peut bien répéter que « l’argent ne fait pas le bonheur », on aime aussi entendre « …mais il y contribue. » Que faire alors des textes de ce jour ? D’abord l’extrait du livre de la Sagesse est édifiant à cet égard, car assez ambigu. D’une part, l’auteur[1] nous dit qu’il a préféré la sagesse à toute richesse : « À côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas mise en comparaison avec les pierres précieuses… » (Sg 7,8-9) ; d’autre part, il semble bien heureux de nous dire que « Tous les biens me sont venus avec elle, et par ses mains une richesse incalculable. » (Sg 7,11). D’ailleurs, Dieu lui-même ne dit-il pas à Salomon : « Voici que je te donne un cœur sage et intelligent… Et même ce que tu n’as pas demandé, je te le donne, richesses et gloire, au point que parmi les rois il n’y aura personne comme toi, pendant tous tes jours. » (1R 3,11) ? A-t-on alors raison d’opposer la sagesse et la richesse ? Jésus, dans l’évangile de ce jour semble, lui, plus explicite : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » (Mc, 10,23). « Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. » (Mc 10,24) et nous aussi ! Sortons donc des discours simplistes tout en nous laissant interroger par la Parole de Dieu.

Posséder est d’abord nécessaire pour exister…

Ecoutons Sr Lucie Licheri, qui fut longtemps enseignante et maîtresse des novices chez les Petites Sœurs de l’Assomption : « Notre personnalité se construit par la possession des choses. La psychanalyse confirme ce constat qui est, en soi, bien empirique. »[2] Avant d’avancer sur un véritable chemin de pauvreté, « il convient de reconnaître ses propres besoins, sans censure prématurée. »[3] « J’aimerais tellement pouvoir me passer de livres, de disques, de vêtements et être déjà arrivée à ce dépouillement de fond qui laisse toute la place à l’essentiel, à cause du Christ. Oui. Mais, pour l’instant, cela me rend malade, ou agressive, ou dépressive… Je suis donc invitée à reconnaître [avec humilité] que, pour l’instant, je n’en suis pas là. Accepter ses besoins tels qu’ils sont en réalité est un chemin humain, donc un chemin hautement spirituel. »[4] Jésus  ne condamne pas l’homme riche qui n’est pas prêt à vendre tout ce qu’il possède, il constate simplement que le chemin sera, pour lui comme pour tous ceux qui possèdent des richesses, long et difficile… Demandons-nous, en vérité : « quels sont mes besoins aujourd’hui ? »

Se séparer de ce qui ne fait plus vivre…

Mais il s’agit aussi de savoir se séparer de ce qui ne fait plus vivre. « Mouvement d’appropriation et mouvement de désappropriation : les deux sont indispensables pour une croissance humaine et spirituelle. Nous ne devrions posséder que ce que notre esprit et notre activité sont capables de faire vivre ; et qui, réciproquement, nous aident à vivre. »[5] Un chemin s’ouvre alors, à un rythme propre à chacun : « Pouvoir se dire : ‘J’en suis là, à ce point-là, qui m’est spécifique.’ Un point seuil où je vais renoncer à tel bien qui m’a aidée pendant quelques années, mais dont je peux me passer aujourd’hui, pour donner priorité à tel autre bien, qui me devient précieux. Ce point seuil m’est propre. Je ne peux le comparer au point seuil de ma sœur en communauté. Tout dépend de son chemin, de son histoire, de l’appel du Christ qu’elle entend aujourd’hui. »[6] Et sœur Lucie Licheri de partager l’exemple très parlant d’une novice constatant l’écart entre la chambre totalement dépouillée et vide d’une sœur aînée et sa propre chambre encore bien pleine de tas de choses dont elle a encore besoin… Posons-nous la question : ce que nous possédons nous est-il encore utile pour vivre aujourd’hui ?

S’attacher à un Bien meilleur…

Quitter, mais pour quoi ? « Le mouvement humain n’est pas de quitter quelque chose pour le vide. Le choix humain est de quitter quelque chose pour trouver autre chose de meilleur pour soi aujourd’hui. »[7] Madeleine Delbrêl, qui vécut parmi les pauvres du monde ouvrier, nous dit la même chose : « Être pauvre ce n’est pas intéressant ; tous les pauvres sont bien de cet avis. Ce qui est intéressant c’est de posséder le Royaume des cieux, mais seuls les pauvres le possèdent. Aussi, ne pensez pas que notre joie soit de passer nos jours à vider nos mains, nos têtes, nos cœurs. Notre joie est de passer nos jours à creuser la place dans nos mains, nos têtes, nos cœurs, pour le Royaume des cieux qui passe. Car il est inouï de le savoir si proche, de savoir Dieu si près de nous […] Et de ne pas lui ouvrir cette porte, unique et simple, de la pauvreté d’esprit. »[8] Après quel Bien meilleur, courons-nous ? « Jésus se mettait en route quand un homme accourut vers lui… » (Mc 10,17)

Alors… la sagesse et/ou la richesse ?

Ne nous culpabilisons pas trop vite, mais sachons :

Reconnaître nos besoins aujourd’hui,

Nous séparer de ce qui ne fait plus vivre,

Et nous attacher à un Bien meilleur !

[1] L’auteur est censé être Salomon, mais le livre de la Sagesse date du 1er siècle av. J-C alors que Salomon fut roi au Xe siècle av. J-C.

[2] Lucie Licheri, Par un simple oui, Paris, Cerf, 2003, p.70.

[3] Ibid., p.73.

[4] Ibid., p.74.

[5] Ibid., p.80.

[6] Ibid., p.82.

[7] Ibid., p.82.

[8] Madeleine Delbrêl, La porte du Royaume, Études Carmélitaines, 1947, pp. 185s.

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