Laissons-nous réconcilier !

fils prodiguep6 mars 2016, 4e Dimanche carême année C, Lc 15,1-3.11-32 /

Comment parler encore de miséricorde sans risquer l’overdose, le désintérêt, la saturation ? Peut-être grâce à cette fabuleuse parabole de l’enfant prodigue, ou plutôt, du père prodigue en amour, en pardon, en tendresse. Mme Hilary Clinton, en pleine campagne électorale aux Etats-Unis, disait ces jours derniers, face à la surenchère de protectionnisme, de haine de l’étranger, de discours populistes de son rival M. Trump : « Ce dont le pays a le plus besoin aujourd’hui c’est d’amour et de tendresse ! » Une parole étonnante dans la bouche d’une politicienne, mais au combien vraie ! Face à un monde devenu dur, violent, compétitif, n’avons-nous pas tous besoin d’amour, de tendresse, de compassion, de sollicitude, de pardon, bref de miséricorde ? L’évangile de ce jour vient donc nous rappeler cela avec acuité, mettant magnifiquement en scène que Dieu est tout amour, pardon, miséricorde, qu’il ne cesse de « courir à notre rencontre », de nous « supplier » d’accepter sa miséricorde et d’être nous-même miséricordieux envers nos frères. Le drame c’est que la balle est dans notre camp ! L’amour sans limite du Père ne peut forcer la réponse de ses enfants, c’est pourquoi saint Paul insiste dans sa lettre aux Corinthiens : « Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Co 5,20) Arrêtons-nous donc sur chacun des personnages de cette parabole, nous donnant à réfléchir cette citation de Paul…

Le cadet…

L’attitude du jeune fils évoque une première façon de se comporter envers Dieu : Nous ne voulons pas être redevables envers lui, nous voulons jouir de tous les biens qu’il a mis à notre disposition sans avoir à lui rendre de comptes ou sans même reconnaître que toute notre vie,  notre santé, nos biens, nos talents viennent de lui. Mais voilà, lorsqu’on s’éloigne de la source de la vie, lorsqu’on prend ses distances avec celui qui peut nous offrir le véritable bonheur, notre vie ne tarde pas à perdre son souffle, son élan, son intérêt. La faim d’une vie pleine de sens, la soif d’absolu qui habite notre cœur ne manqueront pas de se rappeler à nous… À ce moment-là prenons exemple sur ce fils cadet, il puise au fond de son cœur la mémoire des jours heureux auprès de son père et, ravalant sa honte, il revient à la maison paternelle. Beaucoup d’entre nous, de nos proches, de nos amis ont reçu des bribes de christianisme, ont été catéchisés, ont même été enfants de chœur et puis ont pris leurs distances avec les choses de la foi pour bien des raisons, souvent indépendantes de leur volonté. Mais qu’est-ce qui les empêche de revenir à Dieu, de revisiter leur compréhension de la foi, de reconnaître qu’ils se sont égarés ? Ne laissons pas passer les rares instants lumineux où le Seigneur nous fait signe de nouveau à travers les événements de nos vies, ne restons pas entêtés comme de jeunes écervelés, mais laissons-nous inspirer par le fils cadet de la parabole… Éric-Emmanuel Schmitt, qui s’est converti, suite à une nuit de feu, il y a bien des années, invite chacun à être libre dans sa quête spirituelle : « Une illusion partagée prétend que croire ne serait pas moderne. Aujourd’hui nombre d’intellectuels affirment que croire relève de l’archaïsme et que l’avènement de la modernité serait l’athéisme. C’est d’une bêtise insondable ! La question de Dieu est contemporaine à l’homme et non à une époque. L’homme se posera toujours la question de Dieu, et à chaque époque certains répondront oui, d’autres non, d’autres ‘Je m’en moque’. Il n’y a rien à attendre du progrès de ce côté-là. »[1]

L’aîné…

Le fils aîné, quant à lui, illustre parfaitement la difficulté à vivre ce que l’Évangile nous demande : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. », devenu le slogan de cette année de la miséricorde : « Miséricordieux comme le Père ». Voilà un autre type d’itinéraire qui peut nous correspondre.  Nous qui sommes restés tant d’années fidèles, sans éclats, timidement, humblement… ou avec orgueil… Avons-nous vraiment fait, personnellement, l’expérience de la miséricorde du Père ? Vivons-nous notre foi en cultivant une certaine intimité avec le Christ ? Cherchons-nous à discerner aussi souvent que possible le souffle de l’Esprit dans nos vies ? Si oui, je ne crois pas que nous risquions la réaction du fils aîné… Mais si notre foi chrétienne n’est qu’un étendard identitaire, un revêtement extérieur, une habitude de vie, nous aurons nous aussi besoin de nous laisser toucher par la miséricorde du Père qui seule peut nous rendre capable, à notre tour, de miséricorde envers nos frères… Remarquons bien que l’évangile ne donne pas la réaction finale du fils aîné, après la supplication du Père l’invitant à reconnaître son cadet comme son frère revenu à la vie. Laissant ainsi la place à chaque lecteur de l’évangile de se positionner : « suis-je capable de miséricorde ? »

Le Père…

«  Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. »… Quant au fils aîné : « Son Père sortit le supplier. » Vous connaissez comme moi, tous les détails de ce texte qui montrent que le Père pardonne déjà avant que le fils cadet est dit quoi que ce soit ; ce Père qui court vers le pécheur, qui le supplie, qui quête notre réponse à son amour. Comme je le disais au début de ce texte, la balle est dans notre camp… Sommes-nous convaincus de l’amour inconditionnel du Père envers-nous, sommes-nous convaincus qu’il n’attend qu’un geste de notre part ? Et sommes-nous désireux d’être des relais de la miséricorde du Père, de courir, comme lui vers le pécheur, de lui tendre la main, de le supplier de revenir à la maison du Père ? Le pape François a donné plein de bons conseils aux confesseurs, dont un très beau commentaire de la parabole de ce jour : « Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l’avoir retrouvé. Ils ne se lasseront pas non plus d’aller vers l’autre fils resté dehors et incapable de se réjouir, pour lui faire comprendre que son jugement est sévère et injuste, et n’a pas de sens face à la miséricorde du Père qui n’a pas de limite. Ils ne poseront pas de questions impertinentes, mais comme le père de la parabole, ils interrompront le discours préparé par le fils prodigue, parce qu’ils sauront accueillir dans le cœur du pénitent l’appel à l’aide et la demande de pardon. En résumé, les confesseurs sont appelés, toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde. » (Misericordiae Vultus n°17)

Est-ce l’attitude du cadet, de l’aîné ou celle du Père

qui nous donne plus particulièrement à réfléchir ?

Dans tous les cas : laissons-nous réconcilier avec Dieu !

[1] Extrait d’un entretien dans la revue Panorama de mars 2016, p. 15
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