Nous avançons dans la vie de commencements en commencements, d’ailleurs, un des novices aime rappeler, dans la prière matinale, que la journée qui s’ouvre devant nous n’a jamais été et ne sera jamais plus…
En accompagnant l’étape du noviciat, depuis bientôt six années, j’ai la chance d’être le témoin de ces commencements dans la vie consacrée… Parmi les temps de grâce de ces commencements se trouvent notamment les belles maturations humaines permises par des sessions comme celle que nous venons de vivre sur la connaissance de soi. Nous revenons en effet d’un Internoviciat animé à deux voix, celle du P. Toussaint, franciscain, et moi-même. Le père Tousaint partant de son expérience dans le Renouveau Charismatique et de sa charge d’exorciste, exercée plusieurs années, nous a surtout parlé des ruses du malin saisissant les brèches que nous lui offrons pour malmener nos vies. Dans notre contexte africain, il ne faut pas être naïf, il ne s’agit pas de voir le diable partout mais il ne s’agit pas non plus de l’ignorer ni d’ignorer les manipulations de sorcellerie, largement répandues, en connivence avec des esprit impurs, pour faire du mal à son prochain. Deux éléments essentiels sont à retenir : D’une part, puisque nous sommes enfants de Dieu par notre baptême, le malin n’a foncièrement aucun pouvoir sur nous, si ce n’est celui que nous lui offrons par notre péché… D’autre part, le discernement est indispensable pour savoir à quoi nous avons à faire quand des situations étranges nous sont rapportées. Les cas de possession sont assez rares, mais on peut être victime, plus fréquemment, d’attaques spirituelles et d’envoutements, et bien-sûr il y a tous le volet des maladies émotionnelles, psychologiques, physiques. Il faut alors savoir que plusieurs approches complémentaires sont nécessaires. On peut résumer les choses dans ce tableau :
Maladie | Cause | Traitement par la prière | Traitement par le sacrement | Autre traitement |
Spirituelle | Péché personnel | Prière de conversion | Sacrement de réconciliation | |
Émotionnelle Psychologique | Péché d’autrui Conditionnements de la vie |
Prière pour la guérison intérieure | Sacrement de réconciliation | Psychothérapie |
Physique | Agents pathogènes | Prière de foi | Sacrement des malades | Médecine ordinaire |
Autres | Maléfices ou Démons |
Prière de délivrance
Exorcisme |
La seconde partie de la session, portait sur la relecture de son histoire affective, à travers la réalisation de son arbre généalogique et d’un poster figurant les lieux, les personnes, les événements marquants de notre vie, en positif ou en négatif… La plupart des 60 jeunes participants (novices, postulant(e)s, pré-postulant(e)s) ont bien profité de cette session, leur permettant de prendre conscience des chances et des blessures qui ont marqués leur vie. Il s’agit surtout de consentir à sa vie, d’accorder des pardons trop retardés et d’avancer sur le chemin de la guérison intérieure. De beaux commencements…
L’autre commencement, dont je voulais vous parler, c’est celui d’une amie québécoise qui, se battant depuis plusieurs mois avec un cancer, vient de faire son passage vers Dieu, vient de commencer sa nouvelle vie. En fait, vous la connaissiez tous, indirectement, car c’est elle qui a relu, durant tant d’années, les textes des méditations dominicales avant publication… Catherine-Ann, était une femme pleine d’énergie et de passion (notamment pour la politique), mais je retiens surtout d’elle sa belle quête spirituelle, loin des sentiers battus et en toute liberté. Elle n’avait pas manqué de prendre ses distances à certaines époques de sa vie avec l’Église, surtout lorsqu’elle avait été blessée par tel ou tel propos de la part de certains prêtres ou évêques. Mais cela n’entamait pas sa foi profonde très libre par rapport aux dogmes, aux obligations, aux usages ecclésiaux. Sa foi se nourrissait plutôt chez les grands spirituels, écrivains et mystiques de notre temps. Nous avons eu la chance de faire un bout de chemin avec Catherine-Ann, lors de nos années québécoises, et c’est vrai qu’elle se sentait en phase avec notre approche (notamment celle du P. Christian Blanc et de moi-même), c’est-à-dire une approche non-cléricale, ouverte au dialogue avec les autres chrétiens, les membres d’autres religions, les agnostiques et dans un questionnement des Écritures pour en tirer la meilleure part. « Trouver Dieu, c’est le chercher sans cesse… » (st Augustin) Je retiens encore ces superbes témoignages au soir de sa vie, sur la vieillesse, la maladie, le passage vers Dieu et la sérénité et l’espérance qui l’habitait, tout en sachant que ses derniers mois seraient certainement les plus difficiles et qu’ils mettraient peut-être à mal sa sérénité… Catherine-Ann : repose en paix et que le Seigneur t’apporte la joie ultime qui rayonnait chez toi déjà tout au long de ta vie ! Merci pour le bout de chemin parcouru ensemble, pour tes encouragements, tes questionnements, ton espérance et ta joie !
Eh oui, nous avançons de commencements en commencements, que l’on soit au début de sa vie ou sur des rives déjà plus lointaines… Belle route à chacune et chacun…
Le secret du bonheur !
Voici une page d’évangile bien connue mais longue et complexe, il en va : du rapport entre Juifs et Samaritains ; d’eau morte et d’eau vive ; de maris multiples et du véritable époux ; de divers lieux de cultes concurrentiels et d’une adoration en esprit et en vérité ; de nourritures terrestres et de la véritable nourriture ; d’histoires qu’on se raconte sur sa vie et de Celui qui nous connait en vérité ; de tous ceux qui prétendent nous apporter le bonheur et du seul Sauveur ; etc. ! Nous pouvons donc aborder ce texte par bien des angles, mais l’idée centrale est la même. En effet, ne sommes-nous pas tous, comme la Samaritaine ou les disciples de Jésus, à la recherche de ce qui va véritablement combler notre désir profond, à la recherche du bonheur ? Cette quête peut s’exprimer sous différentes images, mais c’est toujours la même quête : recherche de l’Amour de notre vie ; désir d’une eau vive pour étancher notre soif ; aspiration à la véritable nourriture qui pourra nous rassasier une fois pour toute ?
Recherche de l’Amour de notre vie ?
Nous avons tous besoin d’amour, mais trouver le véritable amour est-il possible ici-bas ? La Samaritaine, en tout cas, ère d’hommes en hommes qui ne sont pas ses époux… Dans notre société actuelle, beaucoup de couples avancent de façon immature, à la recherche d’un amour illusoire fondé uniquement sur l’affecte, sur le sentiment, l’utilisation de l’autre pour combler ses besoins… Dans cette version de « l’amour », l’un ou l’autre des partis en présence risque fort de se dire rapidement : « je ne l’aime plus, il vaut mieux que je la(le) quitte », et c’est souvent ce genre de conseils que vont leur donner leurs « faux amis »… Le véritable amour n’a rien à voir avec cela… Il s’agit de vouloir ensemble faire un projet de vie et de se soutenir pour traverser les épreuves de la vie. Le véritable amour est oblatif, il passe du « Je t’aime parce que tu es belle, tu es intéressante, tu combles mes désirs… » à « Je t’aime même si tu n’es plus aussi belle, même si tu n’es pas toujours intéressante, même si tu ne combles pas tous mes désirs… Car je veux que nous nous soutenions, sur le chemin de la vie, jusqu’à la mort… » Nos amours d’ici-bas ne seront donc toujours que partiels, confrontés aux limites de nos existences. Ils ont cependant toute leur valeur car ils nous apprennent à aimer et à pouvoir accueillir un jour l’amour dont Dieu veut nous combler… N’est-ce pas en Lui seul, que l’amour peut être totalement désintéressé, totalement oblatif et éternel ? N’est-ce pas en Lui que nos amours terrestres seront transfigurées ?
Désir d’eau vive pour étancher notre soif de bonheur ?
De quoi avons-nous soif ? Qu’est-ce qui pourra étancher notre soif de bonheur ? L’amour bien sûr, nous l’avons dit… Mais plusieurs auteurs ajoutent le désir et le sens de la vie ! Le désir n’est-il pas le moteur de notre vie ? Un être sans désir, sans projet, sans quête, risque fort de déprimer et de ne voir aucun sens à sa vie. C’est peut-être ce qui oppose l’eau morte à l’eau vive… L’eau morte n’étanche la soif qu’un instant, peut-être est-ce que je désir acquérir le dernier gadget qui vient de sortir, le dernier vêtement à la mode ou même obtenir un diplôme… Mais une fois cela en poche, il va falloir se créer d’autres désirs. L’eau vive, c’est plutôt une eau que l’on ne peut saisir, nous en buvons de petites gorgées mais nous ne boirons jamais une rivière ! Le désir d’eau vive, c’est vouloir que mes proches soient heureux, que tous ceux qui croisent ma route soient heureux, que tous les êtres sur cette terre vivent heureux, et que ce bonheur soit durable et éternel ! Ce désir ne sera jamais assouvi et notre moteur pourra tourner à plein régime… S’agit-il donc d’étancher notre soif ? Peut-être pas, en tout cas pas ici-bas, et peut-être même pas avant que la Création tout entière ne soit conduite à son plein achèvement.
Aspirer à la véritable nourriture qui pourra apaiser nous rassasier une fois pour toute ?
« Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. […] Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jn 4,32.34) L’image liée à la nourriture est proche de celle liée à la soif, il ne s’agit donc certainement pas de se goinfrer, au point de ne plus rien désirer. Mais l’image connote peut-être autre chose : si la soif évoque le désir, la nourriture évoque quant à elle, ce qui nous donnera la force pour poursuivre le chemin. Jésus est alors clair : sa force c’est de faire la volonté de son Père et d’accomplir son œuvre. Vous voyez que nous sommes encore dans un processus dynamique, dans une « utopie mobilisatrice » : le Père comme le Fils, ainsi que l’Esprit, ne s’arrêteront pas de travailler tant que le projet de Dieu ne sera pas mené à son accomplissement. La tâche pourrait paraître décourageante, si l’on voulait tout porter sur nos propres épaules, mais Jésus lui-même ne veut faire que sa part : faire ce que le Père lui demande et travailler à son œuvre. Voilà donc la nourriture de notre vie, ne chercher à faire que la volonté du Père pour nous, c’est-à-dire la part de mission qui nous est confiée et apporter modestement notre pierre à la construction du Royaume…
Ne serait-ce pas là le secret du bonheur ?
Apprendre à aimer en investissant pleinement nos amours humains…
Cultiver le désir de bonheur pour tous, et pas seulement pour soi…
Faire humblement notre part au service du Royaume de Dieu, lui qui en est le véritable artisan !