3 août 2014, 18ème Dimanche année A, Mt 14,13-21/
« Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55,1) Voilà une devise biblique qui correspondrait bien aux différents groupes d’échange de services ou de troc qui fleurissent à grande vitesse via Internet. Vous connaissez le principe : vous avez une compétence, un savoir-faire dans un domaine, alors, plutôt que de payer très cher un plombier, un site vous met en lien avec une personne ayant des compétences en plomberie et en échange vous pouvez lui donner un cours de musique, une heure de jardinage… Vous avez de belles pommes ou de belles fraises pourquoi ne pas les échanger contre une bouteille de vin ou de lait… Il me semble que les textes de ce jour nous invitent à quelque chose de cet ordre-là dans nos relations avec le Seigneur, même si la mesure donnée nous sera rendue débordante ! Nous sommes invités à un échange non-proportionnel, à un échange qui fait vivre, à un échange existentiel…
Un échange non-proportionnel !
« Jésus prit les cinq pains et les deux poissons… les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins. » (Mt 14,19…20) D’abord le Seigneur a besoin de notre générosité, de nos mains, de notre cœur, de nos quelques pains et poissons et, de ce peu que nous offrons, le Seigneur peut faire des merveilles ! Qu’avons-nous à offrir au Seigneur, c’est-à-dire à nos frères et sœurs, et particulièrement celles et ceux qui traversent des épreuves : une oreille attentive… un peu de temps… un peu de nourriture à partager… un endroit où passer la nuit… ? C’est un peu convenu direz-vous… mais nous pouvons également offrir un cours de français, des courses à rapporter, quelques plantes à repiquer, que sais-je encore ? Nous avons tous quelque chose à offrir, à échanger avec nos frères et sœurs, peut-être que ce qu’ils nous rendront en échange n’aura pas de prix : un sourire, un merci, une histoire, un coup de main, un kilo de tomates… Si nous pouvions quitter l’unique mode d’échange monétaire et proportionnel, et entrer avec nos frères et sœurs et avec le Seigneur dans un échange gratuit et non-calculé !…
Un échange qui fait vivre !
« Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? » (Is 55,2) Le deuxième aspect de cet échange gratuit, c’est que, contrairement aux habituels échanges commerciaux, cela est source de vie ! On peut d’abord le vérifier au plan humain : un échange de services dans la gratuité et la générosité nous donne un surcroit d’être, nous nous sentons alors pleinement vivre, nous retrouvons un sens à notre existence… Le pape François nous le rappelle dans ses dix conseils pour être heureux. Les deux premiers sont « vivre et laisser vivre » et « se donner aux autres »… J’évoquais plus haut les échanges de services et de compétences, au départ ce n’est peut-être que dans un but matériel, afin de faire des économies, mais, par ces simples gestes, nous expérimentons une autre qualité relationnelle, une autre qualité de vie.
Un échange existentiel !
« Prenez et mangez, ceci est mon Corps, livré pour vous ! » Nous le savons bien, la multiplication des pains est un récit eucharistique. En fait, ce que le Christ donne à manger c’est son Corps, c’est sa vie ! Et, ainsi, il nous incorpore à sa propre vie et nous permet d’accéder à la vie Trinitaire, à la vie de Dieu, au Royaume. Or nous le savons aussi, chez Jean, le récit de l’institution de l’Eucharistie est remplacé par le récit du lavement des pieds : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,14) Ainsi donc, cet échange de services, dont j’ai parlé plus haut, nous permet, ni plus ni moins, de participer à la vie du Christ et d’entrer, par-là, dans la vie même de Dieu. Ce n’est donc pas qu’un simple échange de services, c’est un échange existentiel, une communion avec la vie qui est en l’autre et donc avec le Tout-Autre !
Le Seigneur, le premier, a pris les devants pour cet échange de vie…
Retrouverons-nous, à travers de simples échanges de services,
Cet échange non-proportionnel,
Cet échange qui fait vivre,
Cet échange existentiel ?
Consciente de la violence qui sévit à travers le monde, je n’ai aucune objection à entendre à la messe quotidienne télévisée en provenance de Sainte-Anne-de-Beaupré (Québec), le chant : « Paix sur terre — À toi mon frère — À toi ma sœur » me semblant loin d’un certain orgueil qui persiste quelquefois dans la hiérarchie de l’Église catholique.
Au Québec, le Bienheureux Frédéric Janssoone (l838-1916) dont le souvenir a été rappelé aujourd’hui, a laissé son empreinte dans la manière chrétienne d’échange de services.