Vous connaissez, bien sûr, la différence entre le jardin à la française et le jardin anglais (ou à l’anglaise) ? Dans le jardin à la française, tout y est géométrique, taillé, organisé, symétrique, l’aspect naturel disparaît… Dans le jardin anglais, au contraire, on cherche à imiter la nature, à s’inspirer de son côté sauvage, on joue sur des formes irrégulières, on crée des points de vue, on intègre les arbres et les bosquets etc.
Pourquoi est-ce que je me lance dans le paysagisme ? Tout simplement parce que deux petits passages de l’encyclique du pape François m’interpelle : « [Saint François d’Assise] demandait qu’au couvent on laisse toujours une partie du jardin sans la cultiver, pour qu’y croissent les herbes sauvages, de sorte que ceux qui les admirent puissent élever leur pensée vers Dieu, auteur de tant de beauté. » (LS n°11) et d’autre part : « À l’extrême, d’un côté, certains soutiennent à tout prix le mythe du progrès et affirment que les problèmes écologiques seront résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques, sans considérations éthiques ni changements de fond. De l’autre côté, d’autres pensent que, à travers n’importe laquelle de ses interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et nuire à l’écosystème mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire sa présence sur la planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa part. Entre ces deux extrêmes, la réflexion devrait identifier de possibles scénarios futurs, parce qu’il n’y a pas une seule issue. » (LS n°60)
Il en va finalement des quatre célèbres verbes des récits de Création, dans la Genèse, qu’on isole trop souvent : « Dieu les bénit et Dieu leur dit: » Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! « » (Gn 1,28) […] « Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder.» (Gn 2,15) Le Seigneur nous demande donc de prendre soin de la Création, les fameux « dominez et soumettez », n’ont rien à voir avec le fait d’exploiter la terre en maître absolu et de façon irraisonnable (comme le rappelle le pape François au n° 67)… Ils s’inscrivent bien plutôt dans la logique du récit de la Création, où Dieu organise le chaos primordial, en séparant les eaux d’en bas des eaux d’en haut ; la mer et la terre, la lumière et la nuit etc. de façon à permettre à la vie d’exister. L’être humain habité du Verbe de Dieu, doué de raison et d’intelligence reçois donc la mission de poursuivre l’action du Verbe de Dieu, d’être co-créateur, d’organiser le chaos, de soumettre et dominer les forces qui vont contre le projet de vie de Dieu. Et c’est dans la même logique qu’il s’agit pour lui de cultiver et garder la Terre.
Nous en revenons donc au jardin laissé à l’état sauvage, au jardin à la française ou au jardin anglais… S’agit-il de laisser la nature indemne de la main humaine –le jardin sauvage–, s’agit-il de maitriser totalement la nature en faisant totalement confiance à des solutions techniques –le jardin à la française– ou encore d’accompagner le mouvement de la nature pour qu’il corresponde toujours plus au projet de Dieu – le jardin anglais– ? Ne trouvez-vous pas que le jardin à l’anglaise, pourrait servir de parabole à la mission co-créatrice de l’être humain ?
Par ailleurs, il me semble que ces images peuvent également éclairer la façon dont nous tentons de conduire nos vies… Il me semble qu’après des siècles de sagesse, de philosophie, de spiritualité, un certain nombre de nos contemporains ignorent ou rejettent tout ce patrimoine pour se laisser mener uniquement par le chaos, par l’instinct, par la recherche de plaisir, par la fuite des grands enjeux de notre monde… Ils ressemblent à ces jardins sauvages laissés à l’abandon. D’autres cherchent, au contraire à maîtriser totalement leur vie, sans maîtres ni dieux, s’en remettant totalement au progrès, à la technologie, à la science, à l’argent… Ils me font penser à ces jardins à la française, bien trop artificiels…. La voie médiane, ne consiste-t-elle pas à accueillir le projet de Dieu sur nos vies et donc à développer une discipline de vie qui nous permette de correspondre à ce projet d’amour sur nous. À partir de ce que nous sommes, sans renier notre histoire, notre humanité, nos fragilités, nous pouvons consentir à notre vie, nous reconnaître aimé de Dieu tel que nous sommes et avancer vers une vie toujours plus humaine, toujours plus semblable à celle de Jésus Christ, toujours plus divine. Il en va donc d’un consentement à ce que nous sommes, à notre nature et d’un travail pour correspondre à ce qui est inscrit au plus profond de nous… Ne serait-ce pas un travail de l’ordre de celui mit en œuvre dans un jardin à l’anglaise ?
Belle semaine, et bon travail dans votre jardin intérieur… à l’anglaise bien sûr !
Vous pardonnerez, cher P. Benoît, mes silences qui pourraient avoir l’air d’un manque d’intérêt envers les thèmes de réflexion que vous nous offrez. En réalité, je suis restée accrochée par l’encyclique Laudato si’ sur laquelle vous avez fort heureusement attiré notre attention. Eh bien, mon attention, elle est là et m’absorbe complètement – l’été favorisant la contemplation, sans doute. Je n’en suis qu’à la première lecture – quoique j’ai relu quelque fois l’introduction et deux fois les chapitres un et deux. Le troisième, lui, m’a demandé trop de courage à la seule première lecture ; mais j’avance…
Dans votre billet, « Jardin à la française ou jardin à l’anglaise », quatre mots me turlupinent encore : dominez, soumettez, cultivez, gardez. Je soupçonne que ces mots n’ont pas tout à fait le sens contemporain que nous leur donnons – c’est-à-dire le sens de notre expérience de modernes, de notre vécu personnel d’êtres autonomes que nous sommes -, si je m’en réfère au mot « dominez » déjà. Peut-être aurez-vous un de ces jours la générosité de les expliciter pour nous…
Par ailleurs, et dans une tout autre ligne : nous venons de passer, au Montmartre, deux belles journées qui ont vu l’émergence de deux nouveaux prêtres pour l’Église catholique : Ai et Gaston. Cérémonie touchante, signification encore plus touchante. Ce matin, je suis allée assister à la première messe de Ai : en plein Québec profond, Saint-Flavien de Lotbinière, dans une petite église qui se remplit de fidèles tous les dimanches. Encore ! Puis aussitôt après avoir fait à toute vitesse nos 50 kilomètres en sens inverse, c’était une autre première messe : celle dans la communauté vietnamienne de Québec. Suivie de ripaille tout aussi vietnamienne. Sympathique à souhait. Vous voyez qu’ici aussi, P. Benoît, nous ne manquons pas de joies !