Réclamerons-nous justice ?

17 octobre 2010, 29° dimanche C, Lc 18,1-8 /

Sept fois ! Oui, dans ces quelques lignes de l’évangile de Luc, on retrouve par sept fois, les mots juge ou justice ! Alors que l’introduction précise qu’il s’agit d’un enseignement sur la prière ! Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais ma première impression est de l’ordre  de l’interrogation : que vient faire ce champ sémantique de la justice à propos de la prière ?… Puisqu’il y a problème, essayons de creuser cette question. De quoi parle-t-on : Quel juge ? Quelle injustice ? Quel désir ?

Quel juge ?

D’abord, il y a cette contre-image du juge sans justice… utilisée par Jésus pour dire que Dieu n’est pas ainsi et, qu’au contraire, il rendra justice promptement. C’est déjà un premier point… Mais pour creuser la figure biblique du juge, je ne peux m’empêcher de penser au Livre des Juges. Vous vous souvenez, ce livre évoque la période juste après la conquête de la terre promise (le livre de Josué) et juste avant l’institution de la royauté. Période présentée, par la Bible, comme une période où Dieu menait lui-même son peuple par l’intermédiaire de Juges. Dans ce livre on voit, d’une part, des Juges qui, non seulement rendent la justice, mais également commandent l’armée et gouvernent. La fonction du Juge est donc celle d’un quasi roi, qui gouverne à la place du Seigneur Dieu, le vrai roi d’Israël. D’autre part, le titre de Juge est également donné à des héros-sauveurs, la figure la plus connue étant celle de Samson, personnage héroïque qui libère Israël du joug ennemi, quitte à y laisser la vie (cela ne vous rappelle personne ?)… Les interlocuteurs de Jésus sont donc habités par cette culture biblique. Lorsqu’on leur parle d’un Dieu Juge, ils entendent ce Dieu Sauveur, qui libère des ennemis et qui mène son peuple vers le bonheur promis… Ils n’ont pas l’image d’un Dieu comptable avec une balance entre les mains. Et Jésus sait ce qu’il peut en coûter de se présenter comme Juge… Première étape donc pour entendre ce texte, ouvrir notre compréhension du mot « juge ».

Quelle injustice ?

Revenons à notre question de départ. Si je comprends bien, on nous parle donc de la prière, en termes de réclamations pour des injustices subies ? « Rends-moi justice contre mon adversaire. » (Lc 18,3)… De quelles injustices s’agit-il ? D’injustices ponctuelles ? D’épreuves injustes ? De la pauvreté, de la maladie, d’une relation rompue ? Oui, ces éléments habitent certainement nos prières… Mais, plus fondamentalement encore, percevons-nous la vie comme une injustice ? C’est-à-dire, en termes positifs : avons-nous l’intuition profonde que nous avons droit au bonheur, que nous existons pour être heureux, pour aimer et être aimés ? Pourquoi alors notre vie ne correspond-elle pas à cette attente ?… De même, en ce qui concerne Dieu : nous estimons, au fond de nous-mêmes, que Dieu devrait être bon, pourquoi nous envoie-t-il donc toutes ses épreuves ? Ou, plus radicalement, puisque le mal et le malheur sont partout c’est que Dieu n’existe pas ! D’une certaine manière, ce sentiment d’injustice envers la Vie, envers Dieu, est excellent : c’est le versant négatif d’une attente, d’un désir, d’une intuition profonde que la Vie est faite pour le bonheur et que Dieu doit agir pour ce bonheur… Réclamer justice, comme Job, face à son malheur, est excellent. Ne donnons pas trop vite de réponses explicatives pour justifier l’injustifiable (c’est ce que font les faux-amis de Job, qui seront désavoués par Dieu lui-même), ne nous résignons pas à des demi-vies, mais réclamons justice !

Quel désir ?

« Je vous le déclare, Dieu leur fera justice bien vite » (Lc 18,8). Luc veut-il évoquer, comme dans d’autres passages, que la Parousie (la fin des temps) ne saurait tarder ? Ce qui corrobore ce que nous évoquions : la prière n’a pas tant à voir avec « des prières », ponctuelles et à des fins immédiates, qu’avec « La Prière », le Désir de plénitude et de bonheur qui nous habite ! Désir que Dieu viendra combler à la fin des temps lorsqu’il jugera, c’est-à-dire : sauvera, gouvernera, conduira le monde à sa plénitude… « Mais le Fils de l’homme quand il viendra trouvera-t-il la foi sur terre ? »(Lc 18,8) Dans la logique de ce que nous venons de dire, la question n’est pas : « Trouvera-t-il des gens pieux sur terre ? » (qui justifient tous les malheurs), mais,  plutôt,  trouvera-t-il des êtres de désir ? Qui réclament justice… comme cette veuve ? Or, les plus révoltés, les plus acharnés contre Dieu, sont peut-être, justement, ceux qui ont le plus grand désir d’un Dieu bon, juste, vrai ! Quel est notre Désir ? Quelle est notre Prière ?

Réclamerons-nous justice ?

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2 réponses à Réclamerons-nous justice ?

  1. Monique dit :

    Ouf ! Il va être difficile, cette semaine, cet enseignement du P. Benoît ! ! Déjà son introduction nous l’indique avec… justesse !
    Benoît dit : « Que vient faire ce champ sémantique de la justice à propos de la prière ? De quoi parle-t-on ? Quel juge ? Quelle injustice ? Quel désir ? »
    Spontanément et sans chercher plus loin ni profond, il me vient une phrase annoncée par Aristote au tout premier paragraphe de son `Éthique à Nicomaque´ : « Le bien est ce que toute chose désire ». La suite, toute la suite, porte sur comment être un homme juste ! Et ça se termine par la contemplation comme la vie la plus digne d’être vécue. C’est-à-dire comme celle que l’on pourrait appeler heureuse. – C’est là que tout philosophe honnête voit qu’il faut qu’il cherche encore…, et plus haut.

    Mais tout ça n’est pas dire grand’chose encore, n’est pas comprendre grand’chose non plus. D’où : « Il va être difficile, cette semaine, cet enseignement du P. Benoît », dis-je !

  2. Merci pour « L’Ecoute et dialogue …» de cette semaine.

    Par l’entremise du blogue du frère Benoît, j’ai aussi la possibilité de prendre
    les nouvelles du journal La Croix sur le Cynode en cours, en l’occurrence celles du 20-10-2010. Quelle chance !
    Thérèse L.-V.

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