14 novembre 2010, 33° dimanche C, Lc 21,5-19 /
Peut-être trouverez-vous ce commentaire trop loin de vos préoccupations et trop loin du sens littéral de l’évangile de ce dimanche, dans ce cas, n’hésitez pas à passer à autre chose. Mais peut-être cela fera-t-il sens pour vous, bien que ma méditation soit très marquée par une récente session de relecture de mon histoire affective… Nous approchons de la fin de l’année liturgique, et le thème de la Parousie (du retour du Christ à la fin des temps) est omniprésent. Dans ce contexte apocalyptique, Luc nous parle de destruction du Temple, de persécutions à vivre, de témoignage à rendre et de persévérance. Mais j’y entends – aujourd’hui en tout cas- dépassement de l’image de soi, consentement à ses blessures et accueil de la Vie.
Dépasser l’image de soi !
« Quelques-uns parlaient du Temple, de son ornementation de belles pierres et d’ex-voto. Jésus dit : ‟Ce que vous contemplez, des jours vont venir où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit.ˮ » (Lc 21,5) Cette destruction du Temple, nous le savons, ouvrira à un culte « en esprit et en vérité », à une présence de Dieu, non plus cantonnée au Temple, mais inscrite dans les cœurs… Or, des temples, nous en construisons à longueur de vie : non seulement pour cantonner Dieu à ce qu’il devrait être (selon nous), mais aussi pour cantonner notre vie à ce qu’elle devrait être (selon nous). Ce temple, cette « image taboue » de nous-mêmes, nous empêche bien souvent de vivre de façon juste et en vérité : « Je suis nul » ; « Je suis médiocre » ; « Je dois être fort » ; « Je ne dois pas pleurer » ; « Je suis mal-aimé » etc… Peut-être qu’à une certaine période de nos vies, cette image fut utile pour survivre… Mais vivre, c’est autre chose… « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2,19)… Accepter de dépasser l’image de soi – s’autoriser à pleurer, à se montrer faible, à apparaître non-maquillée…. – et se rendre compte que le monde ne s’écroule pas, mais que nous pouvons aussi exister sur ce mode-là, et même plus, découvrir que nous existons de façon plus juste, plus vraie : relevés « en esprit et en vérité » ! Quelle expérience libératrice…
Consentir à ses blessures !
« Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. » (Lc 21,16) Cette parole nous paraît dure, improbable, et pourtant nous avons tous vécu cela à divers degrés ! Blessures d’enfance, d’adolescence ou de notre vie adulte, jalousies, désir de se conformer aux attentes de nos parents, deuils vécus comme des trahisons, culpabilité traînée comme un boulet… Oui, tous et chacun, d’une manière ou d’une autre, nous sommes livrés à la vie avec toutes nos blessures, et qui font d’autant plus mal, lorsqu’elles nous sont infligées par ceux que nous aimons, et qui nous aiment : livrés [en pâture à la vie] par nos parents, nos frères, notre famille et nos amis… Et pour certains cela conduit à une non-vie : ils feront mettre à mort certains d’entre vous… Alors comment vivre ? « Mettez-vous dans l’esprit que vous n’avez pas à préparer votre défense. »(Lc 21,14) Il s’agit d’abord de reconnaître ces blessures, qui ont façonné ce que nous sommes, avec toutes nos fragilités et nos forces. De ne pas s’en défendre, au sens de ne pas s’en cacher… Croyez-vous que l’on puisse aimer sans souffrir, sans être blessé ? Croyez-vous qu’il existe des personnes qui n’ont pas de blessures (ce ne serait pas des êtres humains mais des robots) ? Croyez-vous que vous seriez vivants sans ces blessures, sans ces séparations et en étant demeurés dans le cocon du sein maternel ? Il s’agit aussi certainement de pardonner à nos parents, à ceux qui nous ont blessés car ils ont fait comme ils ont pu avec ce qu’ils étaient… bref, de pardonner à la vie, c’est-à-dire de consentir à la vie qui nous a été donnée de vivre en quittant nos rêves stériles –nos temples– d’une autre vie.
Accueillir la vie !
Et Dieu dans tout cela ? Et bien c’est Lui qui nous a donné la vie, et qui nous la donne en abondance ! « Ne vous effrayez pas ! […] Je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction […] Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. […] C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. » (Lc 21) Nous n’avons pas le choix de vivre ce que nous avons à vivre, mais nous avons le choix de lui donner un sens, de reconnaître que cette vie, qui nous anime, c’est la vie même de Dieu, qu’il n’est pas dans un temple, qu’il n’est pas dans nos chimères, mais qu’il est au cœur de notre vie avec toutes nos blessures. La persévérance n’est pas de l’ordre du combat à la force de nos poignets, contre nos blessures, contre les autres mais de l’ordre du consentement à la Vie de Dieu en nous ! De l’Alliance avec la Vie, qui nous vient de Dieu, qui habite en nous et qui anime chacun de nos frères et sœurs !
Pour ce consentement à la Vie,
pour ce retour de la Vie de Dieu en nous,
attendrons-nous la Parousie ?
Cher frère,
Tu ne saurais croire comme tes écrits me font du bien.
Continue, ne lâche pas.
Et merci
Que la Vie te garde longtemps !
Hélène Desautels Québec
Merci pour ce commentaire de l’évangile qui nourrit bien mon cheminement vocationnel. J’en profite pour souhaiter au père Benoît Bigard, un heureux anniversaire pour ses 10 ans au service du peuple de Dieu: Padri (prêtre)
En attendant la Parousie, je dois me ranger et reconnaître les vertus d’Internet me permettant d’être virtuellement reliée à un groupe qui, grâce à une technologie moderne bénéficie d’un langage d’outre-mer — d’une «prédication» vivifiante de frère Benoît. Action de grâce pour ses dix années de prêtrise !
Le propos des autres semaines se poursuit remarquablement bien encore, avec cette fois l’idée des «temples», ces constructions «parfaites» que nous nous fabriquons et dont nous ne voulons pas sortir, en lieu et place de notre «vie réelle» où Dieu nous attend, et qui est faite de force et de faiblesse, de victoires et d’échecs… J’aime beaucoup la manière dont le frère Benoît traite l’idée de «temple», qui n’est pas sans rappeler la caverne de l’autre fois. Encore une fois, il me surprend, je ne crois pas que j’y aurais pensé!
Il faut dire que cet évangile est particulièrement spectaculaire, et pas dans le sens rassurant, avec les désastres et les persécutions… Jésus n’était vraiment pas un grand «publicitaire» au sens où nous l’entendons, en nous invitant à le suivre avec ce genre de propos: vous serez persécutés et parfois tués, prenez votre croix, etc… et pourtant nos belles campagnes publicitaires affriolantes naissent et meurent, sans régler réellement aucun de nos «vrais» problèmes, alors que lui demeure, à travers les siècles, avec des fruits de «vie» étonnants déjà au plan seulement humain! Ce n’est sûrement pas pour rien…
Quoi qu’il en soit, je retiens encore cette semaine l’idée «d’accepter nos blessures» et de «pardonner». Je trouve ça intéressant, car on pourrait avoir envie, soit de nier nos blessures affectives et autres, puisqu’elles ne sont pas «physiques» et que ça dérange notre amour-propre, et prétendre vivre en faisant semblant de rien (mais avec quelles conséquences?), soit de reconnaître ces blessures, mais pour développer du ressentiment, en vouloir à ceux qui nous les ont infligées, en particulier nos proches. Reconnaître les faits, puis pardonner: plus facile à dire qu’à faire… Après tout, il s’agit vraiment de «maux», qui nous ont frappés et dont on porte les marques, et peut-être même qui nous frappent encore. Qui nous déstabilisent aussi face à nous-mêmes.
À propos de cela, le frère Benoît nous parle de «pardonner à la vie», c’est-à-dire d’y «consentir», d’accepter sa réalité imparfaite plutôt que de nous cantonner dans notre irréalité parfaite comme on s’enfuirait dans une drogue. Je crois comprendre aussi que dans son idée de nous rappeler que les autres, qui nous ont blessés, «ont fait ce qu’ils ont pu», avec leurs propres problèmes, on peut y deviner l’occasion de nous rappeler que nous aussi, nous faisons ce que nous pouvons comme nous sommes, et que nous blessons aussi – tôt ou tard – tel ou tel de notre entourage, peut-être même sans nous en rendre compte. Cela peut relativiser les choses, malgré tout, et le pardon peut aussi apparaître comme un «dialogue» potentiel avec nos proches, aux conséquences très libératrices, jusqu’à être source de guérison. Pourquoi pas?…
Comme d’habitude, les réflexions du frère Benoît «donnent à penser», comme dirait le philosophe allemand Heidegger, et je me réjouis beaucoup, autant de leur contenu que de cet espace virtuel où il choisit de nous les partager. Continuez, c’est précieux!
Cher Benoît,
A la Messe de dimanche dernier, nous avons rendu grâce à Dieu pour ces dix années de ton sacerdoce. Pendant une grande partie de cette période nous avons eu la chance de pouvoir suivre ce cheminement ‘ ascendant’ qui nous a aidé à grandir nous aussi.
Alors comment ne pas rendre grâce? Ce serait presque offenser Dieu de ne pas le faire.
Ne soit pas gêné, ce n’est pas à toi qu’on rend grâce, mais bien à Dieu…
Daniela et Christian
Templum – Cette idée du temple m’a poursuivie toute la semaine, semaine qui arrive à son terme sans que j’aie pu en percer le mystère, ou le sens, caché. En fait, j’ai surtout voulu m’approcher dans cet évangile, de ce « temple », non pas pour me mesurer à la valeur des très stimulants commentaires qui ont été faits ici mais pour tenter de voir ce que cette histoire de l’évangile me suggérait à moi personnellement. Ou me suggérait en plus des réflexions profondes de ceux qui ont osé partager leur méditation avec moi via ce blog. D’accord, les temples illusoires sont les faux dieux, les faux moi, le faux tout court. Les temples sont aussi les quiproquos, les mensonges, les traces laissées par la vie et que l’on prend pour soi-même au point où c’est à partir d’elles que nous agissons, nous choisissons, nous aimons, nous jugeons, nous prions aussi. Freud nomme « jouissance » les « traces laissées par la vie » (Benoît) auxquelles nous tenons comme à la prunelle de nos yeux – même si elles nous blessent, même si elles nous coupent du monde – à cause de l’enferment qu’elles opèrent. Benoît parle de quelque chose qui « nous empêche bien souvent de vivre de façon juste et en vérité » (c’est moi qui souligne). Daniel a raison de rappeler la Caverne où nous vivons enchaînés à nos habitudes. Temple, templum, comme un endroit sacré, comme un endroit de culte… Le problème, c’est : de quel culte ? Zone de confort, peut-être ? ou d’inconfort confortable ? Car il faut bien que nous y tenions pour en faire un endroit de culte. Mais pour y contempler quoi ? L’Évangile dit : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Temples de nos « sciences abstraites » ? de nos technologies avancées ? de nos « progrès » en matière d’éthique ? de nos individualismes ? de nos tout puissants médias ? Nous n’avons plus le culte de la justice et de la vérité (Benoît), ni celui de l’amitié ; comment les restaurer ? Serait-ce des cultes comme les autres ? Trois de plus qui tomberont en ruine lorsque « les jours viendront » ? Il semble pourtant bien qu’il y a de vrais temples à édifier, ou du moins à tendre vers… car c’est par eux « que vous obtiendrez la vie ». Il n’y aurait de vie humaine que dans la justice, la vérité, l’amitié, mais cette orientation « vers » demande courage et maîtrise de soi, confiance en la raison droite, et surtout peut-être désir du meilleur. Platon dirait que toute cette tension vers implique la parole, le logos. Freud en cela l’a pillé – même si personne aujourd’hui n’en sait rien. Benoît a raison, il faut vivre avec nos blessures, pardonner les erreurs de nos familles et de nos amis, se pardonner à soi-même les fausses images que l’on entretient en secret s’agissant de soi ; la question encore est : comment ? Si c’est Dieu qui nous aide, alors ce pardon passera par la parole – puisque la parole est verbe, est logos. Puisque dans cet évangile on parle de la fin de l’histoire, il apparaît clair alors – pour moi -, que la clé sera le commencement, et souvenons-nous : « Au commencement était le Verbe ». Enfin, tout cela, toute cette « histoire » doit faire sens autrement nous serions plongés, tous autant que nous sommes et depuis le début des siècles, dans l’absurde le plus bête. Or quelque chose en nous nous dit qu’il n’en est rien ; alors…
Pardon pour cette longue méditation écrite, mais quand on médite, on médite, n’est-ce pas ? Est-ce que je m’égare ? À vous de me le dire…
Cette réflexion pourrait-elle être loin de nos préoccupations comme semble le craindre le frère Benoit? J’en doute fort. Vivre plutôt que survivre, pardonner, envisager la possibilité que nous ayons une image taboue de nous mêmes, réaliser que certains de nos rêves peuvent être stériles, et accepter de les quitter. Quel être humain pourrait ne pas être concerné par ces questions? Nous voilà plutôt au cœur d’une préoccupations qui devrait être nôtre. J’ai lu vos textes en début de semaine et depuis ces réflexions me suivent partout.
Je me demande bien sûr si nous pouvons accepter nos blessures, y consentir, et comment pouvons-nous y arriver, mais une récente discussion avec Monique me pousse maintenant à me demander non seulement si nous pouvons, mais également si nous voulons toujours vraiment passer à autre chose. Comment ne pas nous «installer» confortablement dans cette image de nous-mêmes qui nous est maintenant si connue? Reconnaître nos blessures et accepter de laisser derrière ce qui nous a blessé demande beaucoup de courage il me semble. Le courage de ne pas se résigner à n’être que cette personne blessée, à ne pas nous conforter dans une image de nous mêmes qui finalement ne correspondrait pas à ce que nous sommes vraiment. Dostoïevski ne nous avertissait-il pas de ne pas surtout pas nous mentir à nous-mêmes? Je crois qu’il nous mettait en garde contre cela parce qu’en définitive cela nous «emprisonnerait», brimerait notre liberté. Nous ne pouvons nous servir de cette image créée comme d’une excuse. Sartre, dans ce cas, nous accuserait sans doute d’être de mauvaise foi, et Nietzsche nous traiterait peut-être de «dernier homme», celui qui rejette la vie parce qu’elle est difficile, douloureuse.
Je suis touchée par cette idée d’accueil de la vie dont parle Benoît, bien que je ne sois pas certaine d’en cerner toute la complexité. Et je poserais la question que pose Monique. Comment? Comment allons-nous non seulement pardonner à ceux qui nous ont blessés, mais nous pardonner à nous-mêmes d’avoir trainer avec nous ces blessures, et d’avoir finit par les «aimer»? Accueillir la vie, l’aimer en ce qu’elle a de beau, mais aussi de difficile, bref l’aimer pour ce qu’elle est, cela demande sans doute beaucoup de lucidité et de vertu. Quelle mission!
Et donc, comment s’y prendre? Que veux-tu dire, Monique, lorsque tu parles d’un pardon qui passerait par la parole? Cela veut-il dire de commencer par mettre des mots sur nos blessures?
J’ai moi aussi le sentiment de m’égarer, mais c’est un sujet si prenant. Comment méditer calmement et sans égarement sur un thème qui nous implique tout entier ?