De vivants reposoirs !

Saint Sacrement, année B, Mc 14, 12-16.22-26 /

« La fête Dieu » de nos aïeux était marquée par les processions solennelles dans les rues de nos villes et de nos villages et par les reposoirs préparés avec minutie et générosité par les uns et les autres… Ce temps est passé, il n’y a pas à le regretter, mais peut être à en retenir quelques interrogations essentielles : Faut-il fixer son regard sur l’ostensoir d’antan ou oser dire comme le Christ : « Prenez, ceci est mon corps… Buvez, ceci est mon sang versé pour la multitude. » ? Où le Seigneur pourrait-il se reposer aujourd’hui sinon sur ses disciples ? Ne pourrions-nous être les vivants reposoirs dont le Seigneur à besoin ?

Oserons-nous dire « ceci est mon Corps » ?

Lorsque Jésus, à la veille de sa passion, institue l’Eucharistie, il ne le fait pas devant les foules mais dans l’intimité de la chambre haute avec ses disciples. Cela veut dire que son geste, à cet instant crucial, ne peut être compris qu’en cohérence avec l’ensemble de sa vie, de ses paroles et de ses gestes passés. Dans le « ceci est mon corps », il y a donc toute l’histoire de son compagnonnage avec ses disciples : « Ce que j’ai dit et fait et qui trouve son accomplissement dans ma vie donnée jusqu’à la croix, broyée comme le blé pour devenir votre nourriture en ce pain : ceci est mon Corps ! » Ce pain partagé, c’est celui de la multiplication des pains ; ce corps livré, c’est celui de Jésus se laissant « manger » par toutes les demandes de guérison et d’écoute tout au long de sa vie ; ce corps broyé, c’est celui du Fils de Dieu qui « ne retient pas comme un droit d’être traité à l’égal de Dieu » mais qui se laissa insulter, lapider, mépriser et mettre en croix : « Ceci est mon Corps… Prenez et mangez ! » C’est-à-dire : « vivez de la même manière !… Laissez-vous prendre par les sollicitations de vos frères, partagez en abondance ce que vous êtes et ce que vous avez, ne répondez pas à l’insulte par l’insulte, mais par le pardon et l’amour. » Oui, oserons-nous dire comme le Christ « Prenez, ceci est mon Corps ! »

Oserons-nous dire « ceci est mon Sang » ?

Le sang du Christ, celui qui coula dans ses veines, c’est celui de son peuple, de ses ancêtres, de sa culture. Au cours de sa vie terrestre, ce n’est qu’en Palestine qu’il put  prêcher, guérir, aimer. Mais aussitôt après sa mort/résurrection, dès la Pentecôte, c’est à travers ses disciples qu’il va de nouveau verser son sang pour la multitude -le sang des martyrs-, pour les peuples du bassin méditerranéen d’abord puis, au long des âges, le sang continuera d’être versé jusqu’aux confins de la Terre. Lorsque le Christ nous dit de boire son sang, il s’agit de puiser dans sa propre mort/résurrection pour pouvoir donner, à notre tour, notre sang. Faut-il aller jusqu’à donner sa vie ? Certainement ! Mais cela n’implique pas, habituellement, une mort dramatique. Le sang, c’est notre vie, ce sont nos racines, notre patrimoine génétique, nos faiblesses aussi. Sommes-nous capables d’offrir tout ce que nous sommes, avec notre histoire, nos atouts et nos fragilités pour faire advenir le Royaume de Dieu ? Oserons-nous dire comme le Christ : « Buvez, ceci est mon sang » ?

Serons-nous de vivants reposoirs pour le Seigneur ?

Alors oui, dans la fête Dieu, dans la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, nous célébrons le Christ qui se rend présent dans le pain et le vin eucharistiques, mais n’oublions jamais que l’Eucharistie est un repas, que le pain et le vin sont faits pour être consommés et pour que nous-mêmes devenions le Corps du Christ : « Que la force de ton Esprit fasse de nous,    dès maintenant et pour toujours, les membres de ton Fils ressuscité, par notre communion à son Corps et à son Sang. » (Prière eucharistique pour des circonstances particulières) Le Christ nous dit de manger son Corps, de boire son Sang, et non pas de les contempler de l’extérieur. L’adoration n’a de sens que si elle nous aide à vivre encore plus en profondeur notre assimilation du Corps et du Sang du Christ dans toutes les dimensions de notre vie. Faut-il garder le regard fixé sur l’ostensoir des processions d’antan où faire de nous-mêmes de vivants reposoirs, des disciples sur qui le Christ pourra « se reposer » afin que le don de son Corps et de son Sang, pour la multitude, puisse se poursuivre, d’âge en âge, jusqu’aux confins de la Terre ?

Oserons-nous dire : « Prenez, ceci est mon corps. » ?

« Buvez, ceci est mon sang. » ?

Le Christ trouvera-t-il en nous de vivants reposoirs ?

 

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3 réponses à De vivants reposoirs !

  1. Daniela et Christian dit :

    Un extrait d’une conférence sur la contemplation donnée par Christian de Chergé :

     »J’ai reçu l’invitation à vous parler un peu comme un piège! D ‘abord, j’aurai préféré laisser la parole à notre abbé général…Et puis, il me fallait traitter de l’identité contemplative cistercienne et, pour le dire tout net, je n’aime pas beaucoup cette expression…d’abord parce qu’elle peut laisser sous entendre que la contemplation se donnerait à posséder comme une identité, comme un état stable . Or, à mon sens, la contemplation est de l’ordre de la recherche, ou elle n’est pas. Elle implique içi bas une démarche,une tension, un exode permanent. C’est l’invitationfaite à Abraham:
    ‘Marche en ma présence’  »

    En lisant ta méditation ce soir, il m’est venu à l’esprit, cette autre méditation de Christian de Chergé. Tout aussi révolutionaire que la tienne.
    Et pourtant à la Messe d’hier dans une paroisse et d’aujourd’hui au Montmatre,( Messe familiale organisée par le Diocèse) l’accent était bien mis sur les processions.
    Merci de nous amener plus loin.

  2. De vivants reposoirs !
    La réponse de la profane est plus assurée avec la méditation de « Prions en Église »
    au lendemain de la « fête Dieu » :

    (Mathieu 10, 7-13) Jésus continue de nous envoyer en mission dans le monde. […]
    L’Esprit de Jésus nous accompagne.

    TLV

  3. Monique dit :

    Je n’ai pas de temps pour bâtir une réponse organisée à votre billet, P. Benoît, mais il faut au moins que je dise mon étonnement : combien votre enseignement ici est limpide et concret ! Bien sûr, j’ai entendu ces choses de l’histoire de Jésus et de la liturgie de la messe des centaines de fois depuis que je vais à la messe, depuis que j’ai 6 ans en réalité, mais ce que vous dites là me bouleverse. Il existerait donc des pasteurs capables de « démythifier » les paroles de la bible, des évangiles et des liturgies ! ! Le mythe tenant davantage à la littérature adresse (quel anglicisme !) une sorte frisson intérieur où le plaisir de ne pas comprendre fait partie de l’affaire. En même temps, le mythe a été défini depuis des siècles comme « un discours faux exprimant le vrai ». L’enseignement religieux n’aurait-il pas pour mission d’aider les fidèles à déceler le vrai sous la lettre mythique ? En tout cas, cette fois-ci, s’agissant du corps et du sang du Christ, j’ai le sentiment que « vous » nous aidez à faire le saut (car il faut un « saut ») vers le vrai plutôt que se réfugier encore et toujours derrière les mots – ou dit autrement derrière une lecture au pied de la lettre. Magnifique !

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