Refuserons-nous ce repas ?

20ème dimanche, année B, Jn 6,51-58 /

« Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ! » (Jn 6,54) Comment entrer dans ce mystère ? Il va de soi que le Christ ne nous propose pas une séance de magie, où la consommation de son corps et de sang nous procurerait la vie éternelle… Il suffit de se rappeler le chapitre vingt-cinquième de Matthieu : ceux qui se seront occupés de leurs frères affamés, étrangers, nus, malades, en prison  obtiendront la vie éternelle, et ceux qui ne l’auront pas fait subiront le « châtiment éternel »… Manger la chair du Christ signifie donc une vie vécue sur le mode de ce qui a donné chair à sa vie : une vie de service, d’amour, de pardon, etc… Boire son Sang, c’est emprunter le chemin d’une vie donnée jusqu’au bout, comme la sienne, lui qui a versé son sang pour l’humanité… Mais alors peut-on vivre à ce niveau là ? Refuserons-nous ce repas ? Comment communier à la vie du Christ ? Pas en une fois… Pas d’abord par nos efforts… Et par un mystérieux échange…

Pas en une fois…

Il suffit de contempler la vie des saints, pour se rendre compte que leur configuration à la vie du Christ, que leur communion à sa chair et à son sang, ne s’est pas faite en une fois. Un saint François d’Assise, par exemple, n’a pas reçu les stigmates au début de sa vie. Il a d’abord décidé de suivre le Christ dans une simplicité des plus évangéliques, il a loué le Seigneur pour la beauté de sa Création, des frères se sont adjoints à son aventure et tout cela l’a emporté vers une vie configurée au Christ jusque dans sa chair… Un Maximilien Kolbe n’a été capable de donner sa vie, en échange de la vie d’un autre prisonnier, à Auschwitz, qu’après un long chemin spirituel où il s’était remis entièrement entre les mains dela Vierge Marie… On ne naît pas saint, on le devient, pas à pas, car la sainteté n’a rien à voir avec la perfection mais avec une vie qui se laisse modeler par l’Esprit pour pouvoir justement communier toujours plus à la vie du Christ, dans toutes les dimensions de sa vie !

Pas d’abord  par nos efforts …

«  Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. » (Jn 6,55) Puisqu’il s’agit de repas, vous vous êtes certainement déjà fait la réflexion, surtout si vous êtes cuisinière ou cuisinier, que le temps pour préparer un repas n’est pas comparable au temps nécessaire à la tablée familiale pour l’engloutir. Souvent la préparation prend des heures, parfois des mois (pour certains mets) et même des années si l’on songe à l’obtention des aliments nécessaires à la préparation ou au temps indispensable à la maturation d’un bon vin ! Eh bien avez-vous songé à cette même disproportion entre la préparation du repas eucharistique et le temps de la communion ? Pour en arriver là, il a fallu d’abord tout l’Ancien Testament et le lent travail de l’Esprit pour préparer un peuple capable d’accueillir l’incarnation du Verbe. Puis le temps de la gestation de Jésus dans le sein de sa Mère, puis le temps de sa vie cachée et enfin celui de sa vie publique, durant laquelle, petit à petit, il s’est donné toujours plus dans le service, dans l’amour des humains, dans le pardon, jusqu’au don final de sa vie surla croix. Si nous pouvons manger sa chair et son sang, ce n’est pas d’abord par nos efforts, mais parce que ce repas à été préparé pour nous depuis la fondation du monde !

Pour un mystérieux échange…

Nous disions, au début du texte, que la vie éternelle ne nous vient pas d’un repas eucharistique magique, qu’il en va de notre façon de vivre selon le chemin de vie révélé par le Christ, mais, dans les choses de la foi, il faut toujours se garder d’exclure ou d’absolutiser une des dimensions. Pour pouvoir vivre de la vie du Christ, encore faut-il nous nourrir de sa vie. Donc oui, manger la chair du Christ et boire à son sang, par une vie toujours plus christiforme, est possible si nous acceptons d’entrer dans le mystérieux échange d’une vie eucharistique : non pas de dissoudre le Christ en nous, en communiant à son corps et à son sang, mais de devenir son corps et son sang pour nos frères, grâce à cette nourriture eucharistique !

Pas à pas, comme pour les saints,  nous pouvons communier toujours plus à la vie du Christ !

Le repas a été préparé pour nous depuis la fondation du monde…

…pour un mystérieux échange,

le refuserons-nous ?

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2 réponses à Refuserons-nous ce repas ?

  1. Picard Marceau dit :

    Quelle belle réflexion savante,profonde et juste.J’aime l’idée de proximitée: le lien humain le plus intime qui soit Le manger!!

  2. Monique dit :

    Grands dieux, il faut être fort pour s’attaquer à commenter l’évangile de Jean de ce dimanche, P. Benoît ! Il me semble que certains évangiles sont plus modestes et s’adressent plus directement à nous, mais celui-là, soit il demande une grande foi, soit il nous aveugle de mots poétiques et nous acceptons de nous laisser bercer, romantiquement. Comme la seconde hypothèse ne me semble pas conforme à l’enseignement rigoureux de la foi, je dois me rabattre sur la première. Mais suis-je plus avancée ? Vos paroles, P. Benoît, nous (me) donnent pourtant des pistes – si on les lit au moins une bonne douzaine de fois -, et j’ai osé le défi d’en méditer quelques unes. Ou plutôt, j’ai accepté que quelques unes s’imposent à moi. N’est-ce pas votre objectif ?

    En fait, j’aurais pu refuser. Dans ces domaines, tout est grave : accepter d’y réfléchir, ou de les méditer, c’est déjà s’engager, corps et âme. Déjà on est pris au piège. Quel piège ? Ben, de l’amour, voyons ! S’engager, c’est vouloir, et vouloir, c’est aimer (l’espagnol, souvenez-vous, a un seul mot pour vouloir et aimer : « querer »). Pris donc au piège de l’amour. Or, l’amour fait peur, tout le monde sait ça. Parce que c’est définitif, l’amour. Bon, on peut aimer temporairement une fiction ou un mensonge, un fantasme, création de nos névroses, mais c’est en tant que nous n’aimons pas la personne elle-même, c’est-à-dire cet être de chair et de sang-ci. Le Christ n’était pas un pur esprit, c’est peut-être là qu’est le nœud ; il a été, comme nous, un être de chair et de sang : il a été l’« Incarnation du Verbe », est-il dit. Cela expliquerait les paroles de l’évangile ?

    Pour « communier toujours plus à la vie du Christ », comme vous le suggérez, Benoît, il faudra aimer le Christ, ce qui veut dire : il faudra « vouloir » « nous nourrir de sa vie ». Quelle excellente définition de l’amour ! Dans la vie ordinaire, nous aspirons tous à vivre notre vie en communion avec celle d’un autre – autrement c’est la terrible solitude, le désert, la mort. Mais communier avec la vie d’un autre, l’aimer, bref, cela implique, dites-vous, qu’il faille consentir à nous laisser modeler par lui, ou elle. Consentement quotidiennement renouvelé, je suppose ? C’est là que ça engage, c’est là que ça fait peur à nos petites volontés de puissance. Vous dites, P. Benoît, que ça ne se réussit pas d’un seul coup, « pas en une fois ». Peaufiner cet amour, c’est le travail de toute une vie, on le conçoit assez bien, Mais ce qui est affolant, quant à moi, c’est le moment où, tout seul, toute seule, on choisit de dire
    « OK. ». Vous parlez de cheminement plutôt que d’efforts, la nuance est intéressante ; mais « anyway », ça prend un « premier » pas. C’est lui, ce premier pas, qui retient mon attention : Qui mange ma chair… « aura la vie éternelle ». Il y a donc un « premier moment » qui s’inscrit dans le temps. Vous aviez cité, lors d’un récent commentaire : « Mange, le voyage sera long ! » ; cette fois-ci vous ajoutez :
    « il en va de notre façon de vivre ». En somme, rien ne saurait être plus concret.

    Alors, si je mets tout ça ensemble, j’arrive à la question suivante : Au final, consentir à nous nourrir de la vie du Christ, c’est vouloir quoi, concrètement, s’agissant de nos vies ? – Ce serait vouloir aimer, aimer vraiment. Rien que ça ! ! Tout un programme ! On ne sait pas trop ce qu’aimer veut dire mais ce qu’on sait, c’est que ça n’est jamais cérébral, que ça laisse toujours des traces, que ça touche, ça oblige, ça blesse, ça bouleverse, ça engage dans la chair. Et que c’est définitif, irréversible ! J’avais pas raison de dire, au début de ma méditation, que « dans le domaine de la foi » tout est grave ? C’est bien parce que c’est grave, et que ça oblige, qu’on est tenté de refuser ! Et que, évangile ou pas, la plupart du temps, on refuse, de fait.

    J’aurais envie d’ajouter ce que j’ai trouvé dans saint Augustin en préparant mon cours Montmartre. Augustin dit (je résume) : en général, on n’aime pas l’amour parce qu’il nous montre nos faiblesses, nos lâchetés, nos avarices ; l’amour nous fait honte. Rien de romantique, tout compte fait, dans l’évangile de cette semaine…

    Ma méditation est trop longue, n’est-ce pas ? C’est que je reprends le temps perdu… Je promets de me maîtriser la prochaine fois !

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