Frontières !

 

26ème dimanche, année B, Mc 9, 38-48 /

À l’heure des replis identitaires et des intégrismes de tout bord, le passage d’évangile de ce dimanche nous invite à revisiter nos frontières identitaires ! Oui, en dehors de notre groupe, en dehors de notre parti politique, en dehors de notre Église, en dehors de notre religion, beaucoup de bien peut s’opérer : « Maître nous avons vu quelqu’un (qui n’est pas de notre groupe) chasser des esprits mauvais… Ne l’empêchez-pas… Celui qui n’est pas contre nous est pour nous.» (Mc 9,38…40) Et non, au sein de notre groupe, au sein du corps que nous formons, tous les membres ne portent pas de bons fruits, et certains sont même nuisibles à la vie du corps : « Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne. » (Mc 9,43) Sommes-nous suffisamment forts dans notre foi au Christ pour dépasser nos appartenances et nous attacher uniquement à reconnaître le vrai, le bien, le bon, quels que soient le lieu ou les personnes à travers lesquels ils se manifestent ? Ou bien sommes-nous tellement fragiles et timorés dans notre foi et dans nos convictions, que nous nous replions, sans discernement, sur la défense de notre identité et sur la stigmatisation de l’autre ? N’est-il pas temps, à la fois, de traverser nos frontières et de marquer les frontières de l’intolérable…

Traverser nos frontières…

« Nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » (Mc 9,38) Quelle détestable habitude que de croire que, pour que j’existe, l’autre ne doit plus exister ! Ou de croire que, si je suis dans la vérité, l’autre est forcément dans l’erreur ! Benoît XVI vient de rappeler cela magnifiquement, lors de sa dernière exhortation apostolique suite au synode sur les Églises d’Orient : « Nous savons bien que la vérité hors de Dieu n’existe pas comme un en soi. Elle serait alors une idole […] Ainsi, il ne convient pas d’affirmer de manière excluante : ‘je possède la vérité’. La vérité n’est possédée par personne, mais elle est toujours un don qui nous appelle à un cheminement d’assimilation toujours plus profonde à la vérité. La vérité ne peut être connue et vécue que dans la liberté, c’est pourquoi, nous ne pouvons pas imposer la vérité à l’autre ; la vérité se dévoile seulement dans la rencontre d’amour. »[1] Ces mots sont forts, ils ne nous invitent pas seulement à tolérer celui qui est différent, ou celui qui pense différemment de soi, mais à reconnaître que la rencontre profonde de l’autre est le seul chemin vers la vérité, sans quoi je ne fais qu’adorer mes idées, mes idéologies, mes idoles. C’est bien ce que nous constatons chez les intégristes de tout bord, tellement insécures (en bon québécois) dans leur rapport à Dieu et aux autres qu’ils ont besoin d’écraser l’autre pour exister, et dans le même mouvement… d’écraser Dieu !

Marquer les frontières de l’intolérables…

La seconde partie de notre passage pose tout de même problème si on l’interprète à la lettre : « Si ta main t’entraine au péché, coupe-là… si ton pied t’entraine au péché coupe-le… si ton œil t’entraine au péché arrache-le. » (Mc 9,43…47) Comme toujours dans ces passages difficiles, il suffit de regarder la façon dont Jésus de Nazareth a agi pour constater qu’il n’a demandé à personne de se mutiler physiquement… et encore moins de mutiler les autres comme certains s’y croient autorisés par Dieu ! Dans notre contexte, il semble évident qu’il emploie ici la comparaison du corps pour parler de la communauté. Si nous savons reconnaître qu’il y a du vrai, du bon et du bien autour de nous, sachons aussi reconnaître qu’il y a des courants de pensée, des attitudes et des membres néfastes au sein de nos communautés qui risquent d’entrainer tout le corps à sa perte… Saint Paul l’évoque clairement dans son épitre aux Corinthiens : « Enlevez le mauvais du milieu de vous ! » (1Co 5,13) Que nous soyons chrétiens, musulmans, hindous ou agnostiques, ne prenons pas position pour défendre à tout prix les membres de notre clan, mais sachons nous séparer radicalement de nos intégristes, de nos fanatiques, de nos « laïcards », qui ne savent qu’attiser la haine pour exister. N’est-il pas temps de marquer clairement les frontières de l’intolérable !

Revisiter nos frontières…

En ces temps de mondialisation, d’instrumentalisation des religions, de confrontation des différences, faisons nôtres les attitudes du Christ : il ne s’est laissé enfermé dans aucune appartenance, n’hésitant pas à prendre pour exemple les étrangers, les prostituées, les mal-aimés, tout en étant sans concession pour les siens, non seulement envers les pharisiens, les scribes ou autres opposants juifs, mais également envers ses propres disciples lorsqu’ils étaient dans l’erreur.

Sachons donc reconnaître le vrai, le bon et le bien

 et dénoncer l’erreur, le mal, la haine d’où qu’ils viennent

même s’il nous faut pour cela traverser nos frontières naturelles

et marquer d’autres frontières, celles de l’intolérable !

 



[1] Benoît XVI, Ecclesia in medio oriente, septembre 2012

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3 réponses à Frontières !

  1. Monique dit :

    La difficulté dans l’accueil de l’autre, c’est que, dans le mouvement vers l’autre, on trouve autre chose que ce qu’on y cherchait. C’est là que la guerre « pogne », c’est là que se disent des phrases comme : « Tu me déçois ! ». Le jeu serait-il de savoir traverser des frontières ? Ou ne serait-il pas d’une autre nature, c’est-à-dire ne serait-il jamais autre chose qu’un désir ? Dans le mouvement « vers », on risque, en effet, de trouver des frontières, des obstacles. Quand je me mets en mouvement vers New York, j’arrive à une frontière. Quand je me mets en mouvement vers la nourriture pour apaiser ma faim, j’arrive au point où je n’ai plus faim ; et même, alors, toute nourriture m’est pénible, m’énerve, je la repousse. Mais le désir, lui, de la nourriture, ne doit pas me quitter, autrement ce serait ce qu’on appelle l’anorexie ; on en meurt.

    Ainsi, ne pourrait-on pas dire que davantage que l’accueil de l’autre, c’est le désir de l’autre qu’il faut cultiver ? Si c’est ça, alors, comme on dit ici, « c’est pas donné » ! ! Comme le disait, récemment, une personne dans un de mes cours : « J’ai toujours vécu sans la connaissance de ce que vous voulez nous enseigner et je ne m’en trouve pas plus mal. Même que je suis celle que je suis à cause de cette ignorance. Et je suis très bien avec moi. » Anorexie ? Risquons-nous d’en mourir ? Quand certaines philosophies et certaines psychanalyses professent que nous sommes des « êtres-pour-la-mort », c’est qu’elles n’ont peut-être pas compris le sens profond du désir…

    C’est là que votre travail de pasteur commence, P. Benoît ! Non ? Il y a un sens de mourir que vous êtes seul à pouvoir nous enseigner, c’est le mourir à soi. Mourir à notre propre image… pour aller jusqu’au bout. Et non, c’est pas donné… !

  2. On a dit que la mer a fait les continents et situer les frontières en se retirant.
    Pour un pédagogue, apprendre à son élève à penser … puis se retirer !
    Voilà bien, traduite en métaphores, la vie du maître. TLV

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