27ème dimanche, année B, Mc 10,2-16 /
Le divorce : voici une question forte épineuse, et apparemment ancienne ! « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » (Mc 10,2) Les interlocuteurs de Jésus, comme nous-mêmes, réclamaient une réponse claire en « oui » ou « non », mais Jésus ne répond pas sur ce mode, il renvoie au projet initial de Dieu : « Au commencement de la création… Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1,27) « Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10,9) Jésus rappelle donc l’idéal, et ne veut pas édulcorer le projet d’amour de Dieu, en intégrant dans la loi même, des permissions ou des exceptions… Mais, dans le même temps, lorsqu’il est confronté à un cas concret, il prend en compte les possibilités de la personne et de la situation pour ouvrir un chemin de vie : que l’on pense au récit de la femme adultère ! S’en tenir à la Loi seule ne suffit pas : il s’agit de sortir du légalisme, de servir la vie et de défendre l’amour !
Sortir du légalisme !
Il y a deux manières d’être attaché à la loi, soit en l’interprétant de façon rigoriste, soit en utilisant toutes les nuances et les contradictions de celle-ci pour la contourner. Jésus ne veut pas se laisser enfermer dans ce légalisme qu’il dénonce : « C’est en raison de votre dureté de cœur qu’il a formulé cette loi [sur la répudiation]. Mais au commencement… » (Mc 10,5) Nous retrouvons exactement ici, un débat lié à plusieurs questions éthiques contemporaines… Pour prendre en compte certaines situations, faut-il absolument les intégrer dans la loi et légiférer sur tous les cas de figure ? Je pense ici notamment aux questions liées à l’euthanasie ou au mariage homosexuel : est-ce à la loi de déterminer à partir de quel moment on peut donner la mort ? Est-ce à la loi sur le mariage de changer pour faire place à une réalité qui a peu à voir avec le mariage ? Nos sociétés sont rongées par ce légalisme envahissant… Et dans l’Église catholique, à propos du mariage, nous héritons de ce même légalisme latin qui nous vient de l’empire romain, d’où les difficultés pour intégrer les soubresauts de la vie. Dans les Églises orthodoxes, il n’en est pas de même : l’Orthodoxie peut à la fois affirmer l’indissolubilité du mariage et permettre un remariage dans certaines conditions, car l’approche est plus spirituelle que légale…
Servir la vie !
Jésus ne peut donc que rappeler l’idéal du projet d’amour de Dieu mais, en même temps, il connaît bien les faiblesses humaines puisqu’il est justement venu pour cela : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. » (Jn 12,47) On ne peut donc lire le passage du jour et particulièrement la finale, c’est-à-dire : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d’adultère. » (Mc 11,11-12), sans faire référence à sa rencontre avec la femme adultère sur le point d’être mise à mort : « Personne ne t’a condamnée ? […] Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. » (Jn 8,10) Jésus reconnaît que l’adultère est source de mal et de mort, mais il relève cette femme, la délivre d’une mort certaine, et lui ouvre un nouveau chemin de vie. Comment dès lors, lorsque le lien conjugal est mis à mal, s’inspirer de l’attitude du Christ pour ouvrir de nouveaux chemins de vie ? Comment être présent auprès des couples en difficulté pour les aider à traverser leurs épreuves ? Mais aussi comment accompagner la séparation lorsque celle-ci s’avère inévitable ? L’Église catholique, contrairement aux idées reçues, n’est pas contre la séparation, mais s’oppose au remariage…
Défendre l’amour !
Il me semble, enfin, que la situation de l’époque de Jésus est bien différente de la nôtre, en ce sens où la femme répudiée n’avait plus d’avenir, elle se retrouvait sans ressources et incapable de refaire sa vie. Si les propos de Jésus sont durs avec les pharisiens qui l’interrogent, c’est bien parce qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’injustice qui est en jeu… Entendons bien les paroles de Jésus, il ne parle pas de deux êtres qui se seraient mis d’accord pour se séparer, mais d’un homme ou d’une femme qui renvoie son conjoint, comme on renvoie un employé qui ne nous sert plus à rien… Il mentionne explicitement cette dureté de cœur : « C’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il a formulé cette loi »… Ou encore dans la finale : « Si un homme renvoie sa femme pour en épouser une autre, il est coupable d’adultère envers elle. » Ce qui signifie que ce n’est pas par rapport à la loi qu’il se place, mais par rapport au mal et à l’injustice faits à la conjointe. N’utilisons donc pas les propos de Jésus pour justifier un légalisme stérile ou en déduire, trop rapidement, que Jésus serait contre une séparation à l’amiable, mais ne nous dérobons pas non plus pour défendre l’amour et la justice !
Oui, le projet de Dieu pour l’union d’un homme et d’une femme est beau et exigeant…
Mais si le lien conjugal est mis à mal,
Saurons-nous, comme Jésus, trouver les attitudes et les paroles justes,
pour sortir du légalisme, servir la vie et défendre l’amour ?
Que vous êtes moderne, P. Benoît ! ! Vous dites : « N’utilisons donc pas les propos de Jésus pour… en déduire, trop rapidement, que Jésus serait contre une séparation à l’amiable… » !
En fait, je suis surprise par cette phrase alors que tout le reste de votre texte enseigne le contraire ! Et l’enseigne d’une manière très « solide », argumentée et bien ancrée dans le projet de la création. Dans votre texte généreux vous rappelez encore une fois que quand Dieu créa l’homme, il « le » créa homme et femme – ce qui fait davantage sens que ce que nous entendons généralement : il « les » créa homme et femme. C’est d’ailleurs cette nuance que vous aviez proposée dans un désormais inoubliable Festival de la Bible, au Montmartre… Ce n’est pas le lieu ici d’approfondir cette « nuance » mais si on le faisait, on constaterait probablement qu’elle contient tout ce qu’il faudrait pour que nous comprenions le sens du mot « amour ». J’ai connu des couples qui se sont séparés « à l’amiable » ; là où cette formule pêche, c’est chez les enfants ! Un enfant « sait », d’un savoir « existentiel » (si je prenais un gros mot, je dirais ontologique), qu’en lui se résume l’union divine, incarnée et inséparable, d’un homme et d’une femme. J’ai connu des hommes, et même des femmes, qui, un beau matin, ont annoncé, le regard clair, qu’ils ou elles reprenaient leur liberté parce qu’ils, ou elles, « avaient autre chose à vivre… » ! Et qui soutenaient leur « décision » 30 ans après devant leurs enfants hagards… et leurs petits-enfants Teflon (ou Canard, comme on voudra, l’idée étant que sur eux, rien n’attache, rien ne laisse de traces, tout coule, l’eau comme les émotions et les enseignements.)
Nous pourrions dire, n’est-ce pas, P. Benoît, que c’est, d’entrée de jeu, le sens du « mot » amour, ou, pour le dire mieux, c’est le sens véritable, concret et non romantique, de l’amour lui-même, l’amour en tant qu’amour, que nous ne comprenons pas ? Je dis « non romantique » en référence avec le « roman » que l’on se crée la plupart du temps s’agissant de l’amour, roman que l’on modifie ou que l’on jette par-dessus bord dès qu’au fil des pages, au fil du temps, on est perdu. – Je pense ici à la collection pour enfants qui fit fureur il y a quelques années, « Le livre dont vous êtes le Héros », dans lequel rien n’était offert à la sensibilité du jeune lecteur que la griserie de tout gérer par soi-même, de tout faire advenir par soi-même. Les psychanalyses les plus solides (j’en ai trouvé !) hurleraient d’effroi ici !
L’amour, si l’on se rapporte à la formule originelle « il le créa homme et femme », ne serait pas quelque chose d’optionnel, encore moins d’exceptionnel, mais déjà inclus dans l’acte initial d’être homme et femme. La difficulté vient de ce que nous avons perdu le mode d’emploi dès le moment où nous avons cédé à la séduction (éminemment romantique au sens où j’emploie de mot) de devenir l’égal/l’égale de Dieu, de devenir notre propre créateur, notre propre héros… C’est ce que le sens de la formule « se séparer à l’amiable » amène à mon esprit. Mais peut-être est-il trop tôt en ce samedi matin, peut-être ai-je travaillé trop tard hier soir… !
Une chose cependant est claire : il est regrettable, très regrettable, que l’Église catholique ne se soit souvenue que du légalisme de la loi « originelle » et n’ait relégué aux nuages le sens amoureux de toute cette histoire. Si je ne me retenais pas, je dirais que la « Nouvelle évangélisation » aurait là une belle opportunité… Mais je me retiens.
p.s. Il est bon de remarquer qu’à notre époque encore, ni la femme, ni l’homme d’un couple séparé ne « refait sa vie » ; allez savoir pourquoi mais « cela n’arrive pas ». Bon, on se trouve une autre maison, un autre chum, un autre job, un autre cercle d’« amis », un autre pays à la rigueur, une distance, une raison, mais la fêlure demeure – vive et prégnante comme l’œil du poème de Victor Hugo. Sans doute pas comme sentiment de culpabilité – quoique – mais comme rupture au sens le plus fort du terme.
Autre p.s. : J’apprends Twitter ces temps-ci. Un jour donc je saurai dire tout ce que je viens de dire en 140 caractères (espaces compris). Courage donc !
Et si j’écrivais « pèche » au lieu de « pêche », ce serait pas mal mieux, non ? Mille excuses.