Contrairement à mon habitude, je fus silencieux la semaine dernière en raison d’un emploi du temps un peu bousculé, les tâches de délégué s’ajoutant aux autres engagements…
Ce temps fut donc d’abord marqué par le dernier inter-noviciat de l’année portant sur les psaumes… Il y avait comme à l’accoutumée une cinquantaine de jeunes (pré-postulant(e)s ; postulant(e)s et novices) à cette semaine d’approfondissement de la prière des psaumes. La sœur bénédictine prévue initialement étant finalement indisponible, c’est le Fr Eugène Binidi, moine d’Agban, qui fut l’animateur de cette session. Une fois de plus, les jeunes se sont frottés à ces psaumes, parfois déroutants, notamment les psaumes imprécatoires, invoquant la colère et la vengeance de Dieu sur les ennemis, en termes souvent violents et cruels. Plusieurs pistes furent avancées pour rendre compte de ces « prières », j’en retiens quelques-unes :
– Nous pouvons toujours spiritualiser ces psaumes : les ennemis devenant les ennemis intérieurs à combattre, et nous connaissons trop bien leur ténacité : égoïsme, violence, jalousie, hédonisme, indifférence… « Ô Dieu, brise leurs dents dans leur bouche; Seigneur, arrache les mâchoires de ces lionceaux ! » (Ps 57,7)
– Mais je dirais également que ces relents de violence et de vengeance nous habitent. En les lisant dans les psaumes, ceux-ci nous renvoient, comme en miroir, nos propres réflexes encore à évangéliser. « Comme le feu dévore la forêt, comme la flamme embrase les montagnes, ainsi poursuis-les dans ta tempête, épouvante-les dans ton ouragan. » (Ps 82,15-16) « Ô Seigneur, je vois bien que je ne suis pas loin de penser la même chose, apprends-moi ta douceur, ton pardon, ton amour… »
– Certains psaumes peuvent être lus avec un formidable contresens, c’est le cas du psaume 108, le plus violent, sauf que ces propos violents ne sont pas ceux du psalmiste mais de ses ennemis : « Que ses enfants deviennent orphelins, que son épouse soit veuve ! Que ses enfants soient vagabonds et mendiants, cherchant leur pain loin de leurs maisons en ruines ! Que le créancier s’empare de tout ce qui est à lui, et que les étrangers pillent ce qu’il a gagné par son travail ! Qu’il n’ait personne qui lui garde son affection, que nul n’ait pitié de ses orphelins ! Que ses descendants soient voués à la ruine, et que leur nom soit effacé à la seconde génération ! etc… » (Ps 108,6…19) Le psalmiste répond : « Eux, ils maudissent ; mais toi, tu béniras; ils se lèvent, mais ils seront confondus, et ton serviteur sera dans la joie. » (Ps 108,20)
– Enfin, et je crois que c’est peut-être l’argument le plus fort… À travers ces prières nous portons les cris des hommes qui souffrent et s’expriment comme ils peuvent envers leurs ennemis, envers les difficultés de la vie, envers Dieu… Or, le Seigneur n’a pas forcément besoin d’une prière très policée surtout de la part de ceux qui sont dans la détresse. Les disciples ne voulaient-ils pas faire taire l’aveugle de Jéricho, comme nous voudrions faire taire ces prières pas très « proprettes »… De plus, la mise en cause du Seigneur, le fait de le prendre à partie est également une vraie prière car elle s’appuie sur le fait que Dieu est bon et qu’il ne devrait pas tolérer la détresse de ses enfants… L’athée ou l’indifférent ne va pas mettre Dieu en cause… Mais c’est bien le croyant qui crie son incompréhension devant ce qui lui semble être des injustices de la part de ce Dieu Bon dont il attend autre chose ! « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Ps 21)
Ah! ces psaumes que nous prions chaque jour dans la vie religieuse nous résistent !… Mais n’est-ce pas pour ça que l’on peut prier avec eux tout au long de notre vie ?…
La vie par ici…
Comme je vous le disais, plusieurs évènements ont ponctué ces dernières semaines. Après l’inter-noviciat sur les psaumes, nous avons eu trois jours de rencontre de notre commission formation d’Afrique de l’Ouest. C’est le lieu où nous réfléchissons à l’accompagnement de ces jeunes qui nous rejoignent dans la vie religieuse assomptionniste. Ils seront 33 à passer une nouvelle étape avec cette fin d’année scolaire (sans parler des aspirants qui cheminent…) ; 10 devraient entrer au pré-postulat, c’est-à-dire à la première étape de vie communautaire (2 burkinabés, 1 tchadien, 1 béninois, 1 camerounais et 5 togolais) ; 7 devraient entrer au noviciat ; 6 devraient prononcer leurs premiers vœux ; et 10 demandent à renouveler leur vœux… Autant d’occasions de rendre grâce au Seigneur, et de relever de nouveaux défis !
Dans quelques jours, le 15 juin, un de nos frères, le frère Serge-Patrik Mabou Simo, sera ordonné diacre. La préparation de cet événement, où nos grandes sœurs, les religieuses de l’Assomption, nous épaulent bien, nous réjouit et nous occupe pas mal également. Nous sommes enfin dans le temps des bilans de fin d’année et des expériences communautaires à relire et à améliorer… C’est ainsi le temps des rapports de fin d’année pour chacun de ces jeunes en formation, un travail exigeant, conduit, nous
l’espérons, sous la mouvance de l’Esprit… Et à travers tout cela, l’activité habituelle du noviciat et les engagements apostolique se poursuivent. En fait le groupe biblique a fini son parcours pour cette année, et notre dernière conférence se tiendra la semaine prochaine et portera sur la découverte et l’approfondissement du sens des fêtes musulmanes.
J’allais oublier de mentionner que le P. Iosif, notre économe, est déjà parti en congé en Roumanie pour quelques mois, et que son voyage se passe bien, selon les quelques nouvelles que nous avons eues…
Normalement juillet et début août devraient être plus calmes…
Ouf ! on est essoufflés rien qu’à vous lire, P. Benoît ! Mais ce qui me frappe, c’est combien les travaux de la vie pratique ne semblent pas, au contraire, faire ombrage à votre vie de l’esprit. Vous déployez des trésors d’imagination et de pensée profonde pour implanter l’esprit assomptionniste dans ce coin de l’Afrique. On vous voit travailler les jeunes un par un, activité après activité, retraite après retraite, les leçons, les relectures, les travaux au champ, jusqu’aux privations d’électricité et d’eau (!), rien n’est laissé au hasard, et, pour dire comme Jean de La Fontaine (encore lui bien sûr !), sans que votre main ne passe et repasse ! Il reste toutefois quelques questions, certaines choses dont vous ne parlez jamais et qui sans doute font aussi partie de votre « plan » (!) : qui fait la cuisine pour tout votre monde ? qui lave le linge ? qui le repasse ? qui fait les planchers ?
D’autre part, et dans une tout autre ligne : je suis particulièrement contente de votre compte-rendu de votre session sur les psaumes et plus encore sur le regard universel porté sur les mots des psaumes. – Attention, je vous entends tiquer : je ne parle pas d’universel théorique mais d’universel concret. Je suis à tenter de faire un texte sur le langage et/ou le contenu des mythes où je trouve déjà que si les mots ne contenaient pas une porte sur l’universel, ils ne seraient pas une porte sur l’âme. Les psaumes sont un assemblage de mots et de métaphores, comme vous le faites voir, c’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’ils contiennent tant de belles choses actuelles… pour autant qu’on n’en fasse pas une lecture au pied de la lettre ; votre session l’a bien montré et votre commentaire aussi. Quant à moi, à ma courte honte, j’ai toujours buté sur l’écorce de leurs mots (belle formule « visuelle » empruntée à Ortega y Gasset)… Je suis donc doublement heureuse de votre compte-rendu, P. Benoît.