11ème dimanche, année C, Lc 7,36-8,3 /
Un beau texte que celui de cette femme qui lave les pieds de Jésus de ses larmes, les essuie de ses cheveux et les baigne de parfum ! Mais la leçon centrale du texte n’est pas si évidente que cela à éclaircir : « Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui a qui on pardonne peu montre peu d’amour. » (Traduction de la TOB) On a souvent traduit : « ses péchés… ont été pardonnés parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. » Mais cela pose question : le pardon de Dieu est-il conditionné par notre amour ? Le pardon ne viendrait-t-il que couronner nos mérites ? Regardons-y de près : Quelle est notre dette ? Qu’en est-il du pardon de Dieu ? Quelle conversion possible ?
Quelle dette ?
Le problème est-il dans la taille de notre dette auprès de Dieu ou dans notre capacité à reconnaître cette dette ? La femme pécheresse qui vient pleurer aux pieds de Jésus connaît le nombre de ses péchés, ce poids est même devenu comme son nom propre, ne titre-t-on pas dans nos bibles ce passage : « Jésus et la pécheresse » ? Par contre, le pharisien qui se croit juste « n’a pas versé d’eau sur les pieds de Jésus… n’a pas donné de baiser… n’a pas répandu d’huile odorante sur sa tête… » Il n’a pas pris conscience de la dette qui lui était remise par le simple fait que Jésus vienne partager sa table. Car à y regarder de près, qui a la plus grande dette ? Cette femme qui, en raison de ses difficultés, peut-être de la misère de sa famille, ou de l’abandon de celle-ci est devenue prostituée, ou cet homme qui a bénéficié d’une famille aimante, d’une condition financière respectable, d’un enseignement de qualité ? « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » (Lc 12,48) Reconnaissons-nous tous les bienfaits que le Seigneur nous a donnés ? Une famille aimante ? La santé ? Nos talents ? L’éducation ?… Or, si nous ne faisons pas porter de bons fruits à tout cela, ne sommes-nous pas en train de contracter une immense dette envers le Seigneur ?
Quel pardon ?
Revenons à la question du pardon de Dieu. La petite parabole des deux débiteurs qui lui doivent l’équivalent de 500 journées de travail pour l’un ou de 50 pour l’autre, nous montre bien que Dieu pardonne aussi bien à ceux qui ont de petites dettes, qu’à ceux qui en ont de très grandes et que son pardon est premier et inconditionnel… Il faut donc bien comprendre le sens des gestes de cette femme : « En entrant, elle craignait bien d’être repoussée ; mais c’est précisément pour cela qu’elle pleure : parce que l’homme de Dieu ne lui manifeste aucun mépris, elle devine aussitôt qu’elle est pardonnée; ses larmes sont des larmes de joie et de reconnaissance. Toutes les marques d’amour qu’elle donne à Jésus sont la preuve qu’elle se sait pardonnée. »[1] Elle montre beaucoup d’amour parce qu’elle sait qu’elle a été beaucoup pardonnée… Il ne faut surtout pas faire le contresens qu’elle serait pardonnée parce qu’elle montrerait beaucoup d’amour ! C’est en totale contradiction avec la logique de la parabole, avec la suite du texte « celui a qui on pardonne peu montre peu d’amour », ou avec le récit de « L’enfant prodigue » où l’on nous montre que le pardon de Dieu est premier et inconditionnel. C’est toute la logique de l’Évangile qui est ici en jeu : Dieu ne couronne pas nos mérites, mais il aime, pardonne, se donne totalement jusqu’à la croix afin de nous rendre capable d’amour !
Quelle conversion ?
La conversion ne vient donc pas avant, mais après le pardon de Dieu ! C’est parce que l’on a reçu le pardon de Dieu, parce que l’on s’est senti aimé au-delà de nos fautes que l’on est alors capable de changer de vie : pensons à Zachée, à la femme adultère, à Saul devenu Paul, à ces femmes évoquées à la fin de notre passage qui ont été libérées de leurs démons et qui sont maintenant devenues des grandes disciples de Jésus, des piliers de l’Église naissante. La femme pécheresse est-elle devenue disciple de Jésus ? Certainement… Mais qu’en est-il du pharisien témoin de cette rencontre ? Cela est peu probable…
Finalement, ne pourrait-ton pas traduire ainsi le message central de notre passage d’Évangile : Celui qui prend conscience de son immense dette envers Dieu (comme en témoignent tous les saints) et qui se sait pardonné et aimé alors qu’il ne le mérite pas est alors rendu capable, lui aussi, d’aimer sans condition tous celles et ceux qui croisent son chemin ! Mais celui qui ne prend pas conscience de cette immense dette qui lui est remise, celui qui cherche à se justifier par ses actes, celui qui reste dans un petit rapport comptable avec Dieu, agira de même avec ses frères et sœurs… Il ne sera pas capable d’aimer vraiment !
Alors, au regard de cette belle page d’Évangile,
où vous situez-vous ?
[1] Marie-Noëlle THABUT, L’intelligence des Écritures, Soceval, 2001, tome 6, page 172.
« Dieu ne couronne pas nos mérites, mais il aime, pardonne, se donne totalement jusqu’à la croix afin de nous rendre capable d’amour ! », écrivez-vous, P. Benoît.
« … afin de nous rendre capable d’amour » ! Qui a déjà pensé que si nous étions capables d’amour, c’est que Dieu nous a aimés le premier ? que si nous étions capables de générosité, c’est que Dieu le premier a tout mis à notre disposition, jusqu’à sa vie même ? que si nous pouvons dire des mots qui touchent, c’est qu’« au commencement était le verbe » ? Que ces notions sont difficiles ! Les écureuils du jardin de la Maison rose ont leur petite expérience d’écureuil, et rien de plus. Mais nous, je m’étonne que nous, humains, ne nous rendions pas compte, dans la vie ordinaire, que nous tenons ces capacités d’amour, de don, de parole d’un Être qui vient en premier ! Nous imaginons, ou nous prenons pour acquis, que ces capacités sont « normales » et nous appartiennent par nature. Bref, qui s’est déjà « étonné » de ces capacités qu’il découvre en lui ou en elle ? Qui en réalité s’est déjà étonné d’avoir plus qu’une expérience d’écureuil ? Il s’en est peut-être fallu de peu : à cet égard, AUCUN des autres animaux n’est supérieur à l’écureuil. Avec notre cécité, avec notre insensibilité à ces choses, on n’est peut-être pas loin de l’écureuil au fond ! Parfois on est témoin des actes de ces personnes « exceptionnelles » qui comme un Serge-Patrick ou un Benoît (pardonnez-moi, P. Benoît) montrent une grande capacité d’amour, de don, d’enseignement ; on les admire le temps d’une lecture, d’un soupir, et on passe à autre chose, à nos préoccupations d’écureuil… Pas vraiment impressionnant, n’est-ce pas ?
Combien vos deux commentaires de cette semaine sont des corollaires, P. Benoît ! Et combien ils donnent à réfléchir. Concrètement.
Pardonnez-moi cette envolée qui m’est venue au réveil ce matin. C’est que, P. Benoît, vos commentaires– aussi hebdomadaires qu’incessants – sont tout sauf lénifiants !