Hôte ou hôte ?

 

16ème dimanche, année C, Lc 10, 38-42 /

La liturgie de ce dimanche nous permet de rapprocher deux scènes, celle que l’on nomme l’hospitalité d’Abraham, aux chênes de Mambré, envers trois – ou un !? – visiteurs, et celle de l’hospitalité de Marthe envers Jésus de Nazareth… Le rapprochement des deux scènes est fort instructif puisque, des deux côtés, on s’agite pour bien accueillir. Mais alors qu’Abraham est encouragé dans son service : « C’est bien. Fais ce que tu as dit ! », Marthe, elle, est gentiment gourmandée : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses… » L’hospitalité est en fait tout un art : il s’agit à la fois d’en faire suffisamment, mais de ne pas en faire trop ; d’être effectivement disponible à celui que l’on accueille ; de ne pas confondre la fin et les moyens… Mais, au-delà de ce savoir-faire, développé de manières différentes dans chaque culture, il s’agit de percevoir l’essentiel qui se joue au-delà de l’hospitalité : Ne s’agit-il pas de se laisser accueillir par Dieu lui-même au sein de la vie trinitaire ? D’accueillir en bon hôte, ne nous permet-il pas de nous laisser accueillir, à notre tour, en bon hôte ?

Une agitation mesurée…

Abraham ne manque pas d’agitation : il court à la rencontre de ses hôtes mais, fait notable, il leur propose de les accueillir en leur précisant les modalités de l’accueil. Ce détail n’est pas anodin, car on y devine que l’accueil proposé est vraiment au service de ses hôtes et non pas en vue de remplir une obligation ! Il y a parfois des façons d’accueillir qui semblent plutôt vouloir satisfaire celui qui accueille, que celui qui est accueilli : on veut montrer qu’on est un bon hôte ou une bonne hôtesse ! C’est peut-être déjà ce qui est reproché à Marthe : elle se donne des obligations alors que son visiteur n’en demande pas tant ! Après s’être assuré du désir de ses visiteurs, Abraham se hâte pour aller trouver Sarah et lui dire de préparer des galettes ; il court au troupeau et choisit un veau gras et tendre qu’il donne à préparer à un serviteur ; il se charge encore de fromage et de lait pour apporter le tout à ses hôtes ! Mais on nous dit qu’ensuite il se tenait debout près d’eux pendant qu’ils mangeaient. C’est-à-dire qu’il est disponible à leur présence, à la manière de Marie. Ce qui lui permettra d’entrer en dialogue avec eux et de recevoir cette promesse : « Ta femme aura un fils ! » La première leçon de ce texte consiste donc à savoir s’agiter modérément, pour accueillir nos hôtes selon leur désir (et non pas le nôtre) et pour se ménager du temps afin d’être disponible pour la rencontre et le dialogue.

Un accueil de Dieu lui-même…

Le texte de l’hospitalité d’Abraham est admirable de finesse, pour laisser entendre qu’à travers ces trois hommes, c’est Dieu lui-même qu’accueille Abraham ! Si l’on y regarde de près, le texte nous parle alternativement du Seigneur qui apparut à Abraham, de trois hommes, d’un visiteur, de deux anges… tout en alternant les singuliers et les pluriels : « Mon Seigneur… Je vais vous apporter… Ils répondirent… Ils mangèrent et lui dirent… Le Seigneur reprit… » Bref, c’est la belle icône d’Andrei Roublev, dite « De la Trinité », mais qui, en réalité, se nomme l’icône de « l’Hospitalité d’Abraham », qui nous relate le mieux ce qui se joue dans cette scène, soit l’accueil de Dieu lui-même, un et trine, à travers ces visiteurs ! Car, finalement, lorsqu’on accueille, un parent, un ami, un étranger et plus encore un délaissé, n’est-ce pas toujours Dieu lui-même que l’on accueille ? –« Ce que vous avez fait à l’un de ces petits… »- Or si nous sommes conscient de cela, les modalités d’accueil ne sont-elles pas à relativiser ? Ce n’est pas quelqu’un d’important (qui nécessiterait que l’on mette les petits plats dans les grands) ou quelqu’un d’insignifiant (que l’on accueillerait moins bien) ou un simple ami (sans formalité)… Dans tous les cas, c’est un frère, une sœur, un fils de Dieu, Dieu lui-même qui a surtout besoin de notre amour ! Marthe avait-elle compris cela, en voulant mettre sa sœur, apparemment oisive, au service ?

Un accueil par Dieu lui-même…

Finalement, le Christ nous parle de la meilleure part choisie par Marie. Évoque-t-il l’oisiveté, l’écoute, la contemplation ? Ou tout simplement le fait de se laisser accueillir par le Christ lui-même ? En accueillant un hôte, particulièrement celui qui ne pourra pas nous rendre l’invitation, nous entrons un peu plus dans la communion, voulue par Dieu, de tous les êtres, en Lui… Nous mettons un pied de plus  dans la vie Trinitaire… Ici encore, l’icône de Roublev le dit admirablement : la table où sont assis les trois anges ouvre son quatrième côté à celui qui contemple l’icône (ceci étant renforcé par la perspective inversée, commune aux icônes, où le point de fuite se trouve être du côté du spectateur), et ainsi chacun se trouve invité à la table du Seigneur, incorporé à la vie Trinitaire… Ce n’est peut-être pas pour rien que l’on trouve cette ambigüité de la langue française où l’hôte désigne aussi bien celui qui accueille que celui qui est accueilli !

Pour nous aussi, goûter cette meilleure part, cet essentiel,

Soyons de bons hôtes :

Sachons nous agiter modérément,

Reconnaître Dieu dans chacun de nos visiteurs,

Et nous laisser accueillir par Dieu lui-même :

Le meilleur des hôtes, aux deux sens du terme !

 

 

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Une réponse à Hôte ou hôte ?

  1. Monique dit :

    Difficile pour moi, cette semaine, de me concentrer sur votre commentaire de la liturgie du dimanche, 20 juillet, P. Benoît. D’abord – et ça rejoint le thème de Marthe et Marie -, j’ai la tête emportée par le multiple : travail en métaphysique à finir, conférence de septembre sur le corps à concocter, divers cours à préparer (l’automne s’en vient vite !), etc., etc. – Mais ça, P. Benoît, ça ne doit pas vous impressionner, vous qui soulevez des montagnes à l’autre bout du monde… ! Ensuite, j’ai encore en tête le sermon CIV de saint Augustin sur Marthe et Marie, justement, qui met l’accent sur la différence dans nos vies entre l’unité (de la vie bienheureuse vers laquelle nous tendons) et le multiple (une nécessité de notre vie terrestre). Votre commentaire, toutefois, me renvoie aussi, il me semble, à comprendre plus concrètement la notion que nous connaissons d’être dans le monde et de ne pas être de ce monde. Ainsi quand vous dites « L’hospitalité est en fait tout un art : il s’agit à la fois d’en faire suffisamment, mais de ne pas en faire trop ; d’être effectivement disponible à celui que l’on accueille ; de ne pas confondre la fin et les moyens (…), il s’agit de percevoir l’essentiel qui se joue au-delà de l’hospitalité », c’est de ça dont il est question, non ? Quand on en appelle à l’essentiel, n’est-ce pas pour se rappeler que notre vraie vie, en tant qu’humain, ne se « résume » pas aux besognes de service ? Et l’accent que vous mettez sur l’hospitalité (les deux cas), n’est-ce pas en même temps le biais que vous avez choisi pour – rejoignant ainsi Augustin – nous faire comprendre une distinction très importante : il est beau d’accueillir (le prochain, Dieu) mais plus beau encore de se laisser accueillir par Dieu – ou par le prochain, divers par sa culture, en qui l’essentiel est qu’il figure chaque fois l’œuvre de Dieu ? Marthe travaille, Marie contemple. Deux vies mais en réalité deux faces d’un même être humain. Le travail est notre lot ici-bas, mais nous sommes invités (chaque semaine par vos soins, par exemple) à participer à la vie de Marie « qui a choisi la meilleure part » parce que c’est celle qui est éternelle. « En Marthe, l’image des choses présentes ; en Marie, l’image des choses futures », dit saint Augustin.

    C’est comme ça d’ailleurs que je vois, P. Benoît, votre fidélité et votre insistance à nous convier par la magie de l’électronique à la méditation hebdomadaire. Vous êtes à cet égard comme le taon de Platon qui excite le cheval à avancer malgré les mauvaises routes, malgré les pentes raides, malgré nos paresses, malgré les distractions… C’est comme ça que je décode le travail de terrain dont vous témoignez dans les compte-rendus bien vivants que vous nous faites de la vie du missionnaire que vous êtes. À travers tout le multiple auquel nous sommes condamnés, vous travaillez à ce que l’on n’oublie pas de tendre vers la Totalité, vers l’Unité. Vers l’Essentiel.

    Autre acquis : dans cette fable de Platon, on imagine bien le cheval qui trime à cause de cet idiot de taon, mais qui s’est déjà arrêté au travail de ce pauvre taon ? Il trime dur, lui aussi… ! Mais lui, il connaît la fin, le cheval non…

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