Des renoncements en guise de Bonne Nouvelle ?

 

23ème dimanche, année C, Lc 14,25-33 /

« Celui qui vient à moi sans me préférer à sa famille… sans porter sa croix… sans renoncer à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ! » Voilà, en résumé, l’Évangile de ce jour ! ! ! Mais pourquoi de telles exigences ? Où est la Bonne Nouvelle là-dedans ? Apparemment, l’Évangile de ce jour est à l’opposé de ce que recherchent nos contemporains, particulièrement dans les sociétés occidentales : la famille comme dernier refuge face à une société trop dure ; le bien-être d’une vie sans soucis et les petites économies pour envisager l’avenir avec suffisamment de sérénité… D’ailleurs Jésus ne demande-t-il pas, dans ce même passage, d’être sage et de prévoir l’avenir : « Quel est celui d’entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » (Lc 14,28)… Et pourtant, si l’on y réfléchit bien, le cocooning en famille, la fuite des épreuves et la confiance en ce que l’on possède sont-ils vraiment source de vie ? Sans rejeter ce qu’il y a de légitime dans une bonne vie de famille, dans une vie paisible et dans une certaine prévoyance, l’Évangile en dénonce l’absolutisation : au-delà de la famille, nous sommes invités à un amour plus large ; au-delà de la quiétude, nous sommes invités à un combat ; au-delà de notre assurance financière, nous sommes invités à nous assurer de notre avenir en Dieu !

Au-delà de la famille : un amour plus large !

Bien sûr il faut aimer ses proches et sa famille, au-delà du commandement de l’Ancien Testament concernant l’honneur dû à ses parents, il en va de la logique même de l’Évangile de l’amour… Mais Jésus semble nous avertir qu’un amour familial peut aussi être malsain, s’il est de l’ordre de la possession mutuelle, de l’exclusivisme, du renfermement sur son clan. Préférer Dieu à ses proches, pourrait peut-être se traduire de manière plus compréhensible : préférer suivre sa conscience, préférer sa liberté, préférer l’amour de tous plutôt que de se laisser enfermer dans l’amour de ses proches. Je ne peux m’empêcher de repenser ici à un article lu récemment, sur les « suicides altruistes »[1], où les psychiatres nous parlent de personnes au bout du rouleau qui éliminent leur conjoint et leurs enfants avant de se suicider elles-mêmes ! Dans leur raisonnement, il s’agit de « préserver leurs enfants de souffrances à venir, c’est un acte d’amour… » Et le psy de poursuivre : « si la préoccupation originelle est ‘normale’ (l’inquiétude sur le devenir des enfants), elle devient ‘totalitaire’ chez des personnes profondément égocentriques, immatures, fusionnelles, qui considèrent l’autre comme une partie d’eux-mêmes. »… Ces cas extrêmes illustrent bien l’avertissement de l’Évangile et, finalement, la Bonne Nouvelle que l’amour préférentiel de Dieu nous préserve d’un amour totalitaire !

Au-delà de la quiétude : un combat !

« Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple. » Ici encore, c’est d’un amour plus large dont il s’agit. Car, qu’est-ce qui a amené Jésus sur la croix, sinon les conséquences de son amour des hommes et de la vérité ? Ainsi, si nous voulons suivre Jésus, ne pensons pas que nous pouvons faire notre bonheur tout seul, sans nous soucier de l’injustice, du pauvre, de l’exploité… Et ajoutons que la croix ne peut manquer de se dresser à l’horizon si nous prenons à bras-le-corps l’amour du prochain, le combat pour la justice et pour la paix. Mais la Bonne Nouvelle tient dans l’affirmation que la croix, la souffrance, les oppositions que nous ne manquerons pas de rencontrer, n’auront pas le dernier mot. Car la croix du Christ est aussi une croix glorieuse : la récompense de celui qui aura mené le bon combat de l’amour sera la plénitude d’une vie en Dieu !

Au-delà de notre assurance financière : s’assurer de notre avenir en Dieu !

Cette dimension nous est certainement plus accessible, car nous savons bien que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Mais creusons un peu : la phrase « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple »  voudrait-elle dire que seuls les vagabonds peuvent être chrétiens ? Ou que nous devons user des biens en étant conscients qu’ils ne nous appartiennent pas, comme les membres de notre famille ne nous appartiennent pas ?… Nous pouvons en user, dans la mesure où ils sont ordonnés à une vie toujours plus aimante et toujours plus solidaire. Et bien sûr, mais je n’y reviens pas, notre seul vraie richesse est celle des relations qui passeront les portes de la mort, contrairement à notre compte en banque : n’est-ce pas encore une Bonne Nouvelle ?

Alors les trois renoncements évoqués :

Celui d’un amour par trop enfermant,

Celui d’une quiétude par trop compromise,

Celui d’une assurance par trop fragile,

Ne sont-ils pas Bonne Nouvelle ?



[1] Flore Thomasset, La Croix, mercredi 21 août, page 5.

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2 réponses à Des renoncements en guise de Bonne Nouvelle ?

  1. Monique dit :

    Cher Benoît, comme le simple mortel que nous sommes, ou que je suis, vit mal ces phrases qu’on nous dit depuis des lustres dans notre éducation religieuse ! J’ai envie de dire : comme notre éducation religieuse sur fond de « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » a été lourde à porter ! Cette phrase ne dit-elle pas, en effet, « Ou bien… ou bien… » ? Plutôt draconnien, non ? Vous, vous posez la question de savoir si cette phrase voudrait dire que nous devrions « user des biens en étant conscients qu’ils ne nous appartiennent pas, comme les membres de notre famille ne nous appartiennent pas… » Je répondrais : Mais enfin, ne faut-il pas que nos biens nous appartiennent et que nous puissions jouir des richesses de la Création ? Bon, celui qui tue ses enfants et celle qui vole le bien d’autrui transforment les catégories, c’est certain ; mais ils sont peut-être l’exception qui confirme la règle ! Et puis, il n’y aurait pas de vol si nos biens ne nous appartenaient pas… ! Que peut bien vouloir dire Jésus ?
    Cet évangile semble contredire la parabole de l’homme qui avait donné son argent à ses serviteurs avant de partir en voyage. Celui qui n’a pas utilisé cet argent a été réprimandé non pas parce qu’il a été paresseux mais parce qu’il n’a pas cru au don (où ai-je lu ça ?). Or ne pas croire au don, c’est ne pas croire à la gratuité, à la générosité, à l’amour, à l’espérance ; et ça, ça n’est pas chrétien. Quelqu’un qui ne croit pas au don, il ne croit pas au pardon, non plus ; et ça, ça n’est pas chrétien non plus. Faudrait-il ne fixer que la vie éternelle pour être disciple ? Humm… ! Que peut donc bien avoir voulu dire Jésus ? ?

    Une lettre de vous aux deux semaines, peut-on vous demander davantage avec tout le boulot qui pèse sur vos épaules ?

  2. Thérèse L.-Vézina dit :

    La méditation (Luc 6, 20-26) du 11 septembre 2013 du mensuel
    « Prions en Église » (p. 76), illustre le thème précité :

    « […] Le bonheur est possible. Sauf qu’il n’est peut-être pas
    toujours là où on le cherche… »

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