5 octobre 2014, 27ème Dimanche année A, Mt 21,33-43 /
La première lecture, le psaume et l’évangile reprennent la même image biblique, celle de la vigne bien-aimée du Seigneur. Mais cette image ne fonctionne pas de la même manière dans l’un ou l’autre texte et cet écart nous parle de l’écart entre nos idées, nos caricatures de Dieu et la véritable identité de Dieu… Aujourd’hui encore, certains auteurs s’évertuent à lutter contre la religion qui serait le summum de l’obscurantisme, ou contre l’idée de Dieu qui ne serait que pure invention humaine, mais nous sommes en droit de nous demander contre quelle religion ou contre quel Dieu ces auteurs s’élèvent-ils ? Le Dieu révélé en Jésus Christ ou le Dieu caricaturé par les hommes ? La faute vient-elle du fait que nous véhiculons encore trop souvent de fausses représentations de Dieu ? Alors mettons-nous à l’écoute des textes de ce jour, qui nous aident à convertir, encore et toujours, nos représentations de Dieu !
Non pas un Dieu qui s’impose, mais un Dieu qui se retire…
« Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des vignerons, et partit en voyage. » (Mt 21,33) Ce passage nous dit d’abord que nous ne sommes pas propriétaires de la Création, même les athées en conviennent lorsqu’ils parlent de transmettre aux générations à venir une Terre habitable… Ce passage nous dit aussi que notre monde n’est pas le fruit du hasard, mais qu’il a un sens, un but et cela aussi plusieurs scientifiques le découvrent… La foi nous fait faire un saut supplémentaire : le véritable propriétaire, celui qui a tout mis en place pour notre croissance harmonieuse c’est le Dieu créateur, un Dieu d’amour et de bonté. Et pour que l’être humain puisse exister, Dieu se retire et confie la Création « en fermage à des vignerons ». Le véritable Dieu est donc loin d’être un Dieu despote qui empêcherait les hommes d’évoluer librement !
Non pas un Dieu qui veut le malheur de son Peuple,
mais un Peuple qui apprend à découvrir Dieu…
Dans la première lecture, on présente un Dieu vengeur qui apporte la désolation à son peuple, parce que celui-ci au lieu de produire de bons fruits a produit de mauvais fruits : « Eh bien, je vais vous apprendre ce que je vais faire de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie. » ! (Is 5,5-6) Il faudrait avoir à l’esprit plusieurs éléments pour bien comprendre ce texte. Premièrement, ne pas le prendre pour parole d’Évangile, mais savoir qu’il reflète une étape de la compréhension de Dieu par le peuple d’Israël à cette époque (il y a 2700 ans !). Dans tout l’Ancien Testament, Dieu cherche à se révéler et le peuple d’Israël purifie petit à petit sa compréhension du divin… Deuxièmement, pour affirmer l’unicité de Dieu et nier l’existence d’autres dieux qui seraient source de leur malheur, les auteurs bibliques mettent entre les mains de Dieu tout ce qui advient sur Terre, le malheur comme le bonheur. En conséquence, les prophètes, comme Isaïe, interprètent donc les événements tragiques comme des malheurs envoyés par Dieu pour punir son peuple… Troisièmement, ce texte n’est pas à lire de façon isolée. Un peu plus loin, lorsqu’il faudra remonter le moral du peuple, Isaïe reprendra son allégorie : « Une vigne au vin généreux, chantez-la! C’est moi, Yahweh, qui la garde; je l’arrose en tout temps; de peur qu’on y pénètre, nuit et jour je la garde; je n’ai plus de colère. » (Is 27,3) C’est donc plutôt l’image d’un père qui est développée par Isaïe, un père qui gronde l’enfant qui prend le chemin du mal et un père qui se repent de sa colère…
Non pas un Dieu qui punit mais un Dieu qui ouvre toujours un chemin de vie…
Dans l’Évangile, on passe à une autre étape de la Révélation. L’image est semblable : un propriétaire et des vignerons criminels qui veulent s’approprier le fruit de la vigne. Alors spontanément on réagit selon nos vieux schémas, comme le font les auditeurs de Jésus : « ‘Que fera-t-il à ces vignerons ?’ On lui répond : ‘Ces misérables, il les fera périr misérablement.’ » (Mt 21,40-41) Or il n’en est rien ! Effectivement les hommes ont tué les prophètes, les uns après les autres, jusqu’à tuer le fils de Dieu lui-même ! Mais Dieu n’a pas supprimé pour autant les homicides ! La réponse de Jésus sera bien différente : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »(Lc 23,33)… Et à propos de la vigne, Jésus dit simplement : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour un être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit. » (Mt 21,43)… C’est-à-dire que le Seigneur respecte le refus de son peuple et ouvre un nouveau chemin, pour que son projet de Vie pour l’humanité puisse se poursuivre.
Notre Dieu est-il un Dieu despotique ? Non !
Notre Dieu est-il un Dieu vengeur ? Non !
Notre Dieu est-il un Dieu punisseur ? Non !
Alors, sommes-nous toujours prêts à lutter contre les caricatures de Dieu ?
Je peux voir le masque du clown, je peux aussi me le représenter par la mémoire longtemps après. Mais je ne peux voir le visage de l’homme qui est derrière ce masque. Et comme ce masque bouge dans l’espace, et comme l’artiste qui l’a créé a prévu deux petits trous pour une fin éminemment pratique, et comme le masque laisse voir à travers ces trous des yeux qui brillent, « je comprends » alors qu’il y a quelque chose « sous » ce masque… même si je ne vois pas ce quelque chose. Ou plutôt, je comprends à ces yeux qu’il y a « quelqu’un ». – Les marionnettes n’ont pas de masques, sinon par analogie. À Venise, on peut voir quantité de masques dans les boutiques des marchands de souvenirs. Mais alors le visiteur ne voit que des œuvres d’art créées pour « servir de masque ». Il y a quelque chose de majeur ici : « je comprends ». Il y a là plus que de l’imagination : l’intelligence est sollicitée.
Maintenant, si je ne vois pas ce quelqu’un caché par un masque, c’est que je ne vois pas son visage. Et voilà que je désire voir son visage. Car je sais que c’est une personne qui est derrière ce masque. Toutefois, voyant son visage, je ne vois toujours pas la « personne » ! Je dis « c’est une personne », mais la « personne », elle, je ne la vois pas de mes yeux. Alors je m’en fais une idée, comme on dit. Je m’en fais une représentation. Combien de fois n’avons-nous pas été déçus de rencontrer « en personne » tel « quelqu’un » qu’on idéalisait ! Or puisque « idéaliser », c’est « se faire une idée », et qu’une idée est une chose que je crée, que je conçois (au sens fort du terme concevoir), alors qui me garantit l’adéquation entre mon idée et la chose, ou la personne, que je désire connaître ? ou pire, que je crois connaître quand je m’en fais une idée ? On aime tellement les représentations, les images, les choses sensibles, dit Augustin, qu’on se dépêche d’y recourir chaque fois qu’on veut atteindre l’objet de notre désir.
Maintenant, Dieu étant hors de toute représentation, de tout ce que l’imagination ou même l’intelligence humaine peut atteindre, comme le dit saint Anselme, n’est-ce pas, comment allons-nous éviter le piège ? Vous dites, P. Benoît, « …mettons-nous à l’écoute des textes de ce jour, qui nous aident à convertir, encore et toujours, nos représentations de Dieu ! ». Ma difficulté : convertir encore et toujours nos représentations de Dieu, n’est-ce pas encore rester dans les représentations… avec toutes les dérives que cela permet ? Avec tout le pouvoir, surtout, que ça me donne de me faire un Dieu à mon goût… ?
Personnellement, je trouve ce dilemme inextricable…
p.s. Ici, à Québec, c’est le (très court) moment de l’automne où les arbres sont lumineux ; dans quelques jours, sinon même demain, ils seront ternes. L’éclat de la lumière qui surgit aujourd’hui de chaque feuille jaune, rose ou vert tendre des arbres du jardin du Montmartre, est-ce que ça ne serait pas un des visages de Dieu ? Augustin parle des nombreux visages de l’amour ; Dieu n’aurait-il pas aussi plusieurs visages ? Visages plutôt que représentations…
François Mauriac semble y être parvenu à 80 ans :
«L’acte de foi en la vie éternelle se réfère à ce que je ne puis concevoir,
et je me tiens en garde contre toutes les images que je m’en formais autrefois.
Je m’interdis d’y arrêter seulement ma pensée. »
cf. « Nouveaux mémoires intérieurs », Flammarion, Éditeur, Paris, 1965, p. 248.