Eh oui, je ne peux me dérober plus longtemps… Il me semble que quelques mots s’imposent, même si chacun y va de son couplet, à propos de la situation d’hystérie actuelle. Je ne reviendrai pas sur la condamnation de la violence des extrémistes, qui va de soi, et sur la peine des milliers de familles, de par le monde, endeuillées par leur sauvagerie et qui implorent notre compassion. Mais, ce qui me fait réagir, c’est surtout la contre réaction dans un certain nombre de pays musulmans à la nouvelle caricature publiée dans ce journal satirique dont je préfère taire le nom.
Qu’est-ce qui construira un monde meilleur ? La provocation ou le respect de l’autre ? Répondre à la violence par la violence, me semble une attitude très adolescente : « Je ne cèderai pas, c’est moi le plus fort, c’est moi qui ai raison ! » Car, quoi que l’on dise, une parole, un dessin peut être très violent et semer tellement de haine que les mots tuent… La preuve c’est qu’on nous parle, par exemple, de 4 morts, de 45 blessés, du centre culturel français ainsi que de trois églises, brûlés au Niger. On nous répète partout que plier serait faire gagner les djihadistes… Et si, au contraire, plier permettait une plus grande tolérance vis-à-vis de ces presque deux milliards de musulmans qui n’ont rien à voir avec le terrorisme et qui demandent le respect de leur foi. Et si plier était signe d’intelligence face à la situation actuelle… Oserai-je dire que « plier » fut l’attitude de Jésus lors de la passion, celle qui, justement, a permis la victoire sur toute haine, sur tout mal et sur toute mort ! –Alors qu’innocent, il aurait pu réclamer son bon droit et se défendre… « Et voilà qu’un des compagnons de Jésus, portant la main à son glaive, le dégaina, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille. Alors Jésus lui dit: « Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26,51-53)
Qu’est-ce qui construira un monde meilleur ? Le jugement ou la bienveillance ? À propos des contre-manifestations, chacun y va de son couplet : « ce sont des barbares »… « …des propos du moyen-âge »… « des incultes »… Mais ces jugements à l’emporte-pièce à quoi servent-ils ? Vouloir construire un monde meilleur demande une toute autre attitude, une bienveillance foncière. Sur toute la surface de la terre, il y a le ciel et la terre, et entre les deux des hommes et des femmes, comme vous et moi, qui cherchent à vivre au mieux, à gagner leur pain quotidien, à prendre soin de leur famille, à se conduire avec justesse. La plus grande partie d’entre eux croient en Dieu, en un projet de Dieu pour notre monde, en une destinée après la mort, en des commandements de Dieu pour apprendre à vivre. Et combien de croyants furent les plus grands témoins d’une humanité exemplaire ! Alors arrêtons de juger telle ou telle religion sur la base de quelques illuminés isolés et cultivons au contraire la bienveillance envers les milliards de croyants du monde qui, aujourd’hui comme par le passé, sont parmi les plus belles figures d’êtres humains.
Qu’est-ce qui construira un monde meilleur ? La haine ou l’amour ? La violence ou le dialogue ? L’amour de la vérité ou l’amour de l’autre ? Le fait de rire de l’autre et de sa foi ou de rire avec l’autre ? Un djihadiste, un caricaturiste provocateur ou un Christian de Chergé ? En guise de conclusion, je ne peux m’empêcher de vous redonner le testament spirituel de ce grand homme, tellement plein d’enseignements dans le climat actuel. Prenez la peine de le relire même si vous le connaissez déjà… Il prend encore un nouveau relief aujourd’hui ! :
Testament de Christian de Chergé
****Quand un A-Dieu s’envisage****
S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi: comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus.
En tous cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglement. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m’aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam, qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Eglise, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf ou d’idéaliste: « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! »
Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’Islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette Joie-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !
Et !toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je veux ce merci, et cet A-DIEU en-visagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
Amen ! Inch’Allah !
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Bien sûr ne manquez pas, non plus, les propos récents du pape François sur le sujet… « On ne peut pas insulter la foi des autres… »
La Vie par ici
Vous aviez compris que j’étais pas mal occupé la fin de semaine dernière, puisque nous avions une rencontre de notre « Commission de formation » d’Afrique d l’Ouest de samedi matin à dimanche soir (pas très catholique comme horaire)… Que vous partager du travail de cette commission, sinon les sujets qui nous préoccupent ces temps-ci : notre politique de recrutement et d’accompagnement des candidats (90 jeunes demandent à entrer chez nous, sans compter les contacts du côté du Burkina-Faso), il faut donc voir les critères, la façon de faire, le discernement… L’étape du pré-postulat et de postulat, sommes-nous satisfaits de notre façon de faire, comment aller plus loin… La question des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comment leur donner leur juste place dans notre vie religieuse et en particulier dans les années de formation… La mise en place des communautés internationales de formation (Nairobi, Kinshasa) et l’évaluation des différents lieux de formation où sont envoyés les jeunes de la région…
À part cela, les semaines écoulées furent plutôt classiques, les novices ont terminé le petit bulletin des « Couleurs du Noviciat », toujours en retard, qui donne quelques nouvelles sur leurs parcours et la vie du noviciat. Il est disponible au lien suivant…
Comme chaque année la semaine de prière pour l’unité des chrétiens à Sokodé se fera surtout avec l’Église presbytérienne du Togo, une des premières églises chrétienne d’ici. L’Eglise Evangélique Presbytérienne du Togo est née de l’œuvre d’évangélisation des missionnaires luthériens et calvinistes envoyés principalement d’Allemagne et de Suisse par la Mission de Brême (1847-1921) puis de France et de Suisse par la Société des Missions Evangéliques de Paris (1929-1959). Temps de prière ensemble dans leur paroisse et la nôtre, conférence, concert de différentes chorales de nos Églises, seront nos rendez-vous de la semaine.
Sur ces quelques nouvelles, je vous souhaite une belle semaine, de poursuivre votre marche à la suite du Christ dans la sérénité et la bienveillance envers tous… Bonne semaine de prière pour l’unité des chrétiens ! Ce n’est pas un élément facultatif de notre foi, mais il en va de la communion en Dieu à laquelle nous sommes tous appelés…
Qu’est-ce qui construira un monde meilleur ? demandez-vous avec insistance, P. Benoît. Et il est très intéressant de constater qu’à chaque fois, vous installez un mode dialectique de réflexion. Le procédé est intéressant pour amener à la pensée critique la lectrice ou le lecteur qui prendra votre question au sérieux. J’ai lu plusieurs fois votre billet et je ne peux m’empêcher d’y trouver une grande idée qui traverse vos paragraphes, un peu invisible peut-être, mais dont les indices « crèvent les yeux » ; cette idée, c’est l’éducation. Je soumets mon intuition à votre appréciation mais il me semble que je ne suis pas tout à fait hors-champ. À chaque fois, vous posez vos développements en termes de respect de l’Autre, en termes de discernement, en termes d’ouverture et de tolérance, ou comme nécessité de l’«imagination de l’autre ». Vous parlez de liberté intérieure. Toutes choses qui se développent dans l’âme par l’éducation. Ce monde commun que vous appelez, il se forme par l’éducation, non ? La violence, au contraire, croît quand les humains sont « enterrés » vivants, comme dit George Steiner, parce qu’ils n’ont pas eu d’éducateurs. – Je ne parle pas, bien entendu de « scolarisation », n’est-ce pas ? Ou du moins de cette école qui ne veut que l’instruction de futurs travailleurs. Comme à l’armée. Mais qui va éduquer les humains ? Qui va leur donner la culture nécessaire à l’humanisation ? C’est une énorme charge ! S’il est besoin de jardiniers pour cultiver les fleurs, si les jardiniers s’émeuvent quand naît une rose nouvelle, s’ils la cultivent avec soin, s’ils la protègent, y a-t-il de même des jardiniers pour les hommes ? demande Saint-Ex, souvenez-vous. Pourquoi laissons-nous pourrir les humains ? Pourquoi ? Et pourtant, tout l’Occident a en tête cette belle phrase que connaissent les chrétiens : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie »… Et un Thomas d’Aquin philosophe qui a parlé de « manuductio », c’est-à-dire de « conduire par la main » ; peut-on prétendre encore qu’on ignore comment s’y prendre ? C’est ça qui, moi, m’attriste.