Nous rentrons d’une session d’inter-noviciats sur la morale fondamentale animée par le P. Marc Lakassi, du diocèse de Kara. La session fut bien animée car le prédicateur ne manquait pas d’histoires croustillantes pour amuser l’assemblée des 80 participants. Mais, j’avoue que, sur le fond, je suis plutôt resté sur ma faim… Il faut dire que la session ne m’était pas destinée mais bien aux postulant(e)s et novices qui ont, semble-t-il, tiré profit de ce premier défrichage sur les questions de morale, d’éthique, de loi, de liberté, de conscience, de péché. Mais, j’ai pu, à cette occasion, mesurer encore plus l’immense abîme qui existe entre certaines approches africaines et certaines approches occidentales des « choses de la religion ». J’avais l’impression de me retrouver plongé 50 ans, voir un siècle en arrière (par exemple avec plusieurs citations du catéchisme de Pie X –publié en 1906– ; ou avec de nombreuses références au récit d’Adam et Eve, sans tenir compte du fait que le récit est de type mythologique et non historique, etc.) Et cela m’a laissé songeur, une fois de plus, en pensant au passage de prêtres d’un continent à un autre sans réelle préparation… Mais je suis certainement trop français et trop « période post-conciliaire » pour apprécier tout cela à sa juste valeur…
Au-delà des apports, l’Inter-noviciats c’est aussi, toujours : la joie des échanges entre les jeunes en formation ; la prière et le soutien mutuel ; les rencontres entre formateurs ; la superbe soirée détente, grâce aux dons de chacun ; le dynamisme de cette jeunesse heureuse de donner sa vie au Christ ! Voici donc quelques photos évocatrices :
La grande notion de réversibilité.
Vous dites, P. Benoît, « Mais, j’ai pu, à cette occasion, mesurer encore plus l’immense abîme qui existe entre certaines approches africaines et certaines approches occidentales des « choses de la religion ». J’ai une question alors sur ce sujet, une question très grave et qui porte à conséquence : votre phrase est-elle logiquement « réversible » ? Ou encore comme en mathématiques, mathématiquement réversible ? … l’autre partie de l’équation étant « Mais je suis certainement trop français et trop « période post-conciliaire… ». En logique, on apprend, avec la notion de réversibilité, que A est égal à B comme B est égal à A ; en maths., que a + b = c, et que donc c – a = b. Pourrait-on dans un contexte vivant, un contexte réel – et non abstrait – remplacer les termes symboliques par des noms de cultures, celles de votre billet, et constater leur réversibilité ? Logique à tout le moins. Il semblerait que non ; mais si nous tenons à dire oui, alors… ! Alors, nous persisterions à dire que A est à l’égal de B comme B est à l’égal de A, – c’est ce que je disais « tirer à conséquence ». Du moins, tirer à grave conséquence pour moi. Je suis peut-être la seule, mais bon…
Vous avez vu la difficulté, bien sûr, parce que vous dites : « Et cela m’a laissé songeur, une fois de plus, en pensant au passage de prêtres d’un continent à un autre sans réelle préparation… » Moi, je reste songeuse, non en pensant aux prêtres, je vous laisse ce côté du problème, mais en pensant aux fidèles, à la « clientèle », c’est-à-dire aux simples mortels que nous sommes…
Ma réflexion est sévère ? Ce dont il est question est grave ! Faut-il fermer les yeux, les oreilles et la bouche comme les Trois Singes Sages ? Faut-il s’inquiéter ? – En réalité, je ne crois pas qu’il « faille » s’inquiéter, c’est déjà fait. Hélas !
Cette réflexion philosophique et théologique n’est pas étrangère à mes 88 ans de vie plus ou moins éclairée par mon Petit Catéchisme de 1944 …
En conséquence, de l’univers de Elsa Pépin, journaliste, auteure et critique, j’ai aimé retenir entre autres — réversibilité ou pas :
« Je compris que l’on pouvait appartenir à un autre monde
que celui d’où l’on vient. »
J’ai peur de ne pas être d’accord avec Madame Elsa Pépin. J’admire son amour pour la littérature et je comprends que grâce à elle, cette jeune dame ait pu développer une réelle « imagination de l’autre », comme dit un auteur dont j’ai oublié le nom. Mais je ne vois pas comment les expériences affectives intimes d’un enfant élevé en Afrique, ou en Corée, ou au Nunavit, puissent-être « senties » par un enfant occidental avec tout ce qu’implique cette occidentalité. Les sentiments, l’affectivité, ne sont pas des choses « comprises » mais vécues, éprouvées. Dès lors, uniques à chacun et à chacune. Peut-on dire que l’on peut « appartenir » au vécu d’un autre ? On peut le dire, on peut le croire, on peut le désirer, mais est-ce – « ontolo-giquement » (un beau gros mot, n’est-ce pas ?) – possible ? Freud dans sa longue recherche sur la vie intime, et inconsciente, a cru comprendre que non. – Nous-mêmes avons l’expérience d’être si loin de nos proches quand il s’agit de l’être intime… ! Non ? Certes il y a ce qu’on appelle l’empathie, et c’est admirable ; mais j’ai peur que ce soit tout ce que nous ayons. Vous avez 88 ans, dites-vous, Madame Vézina : même avec toute ma bonne volonté, moi, je ne sais pas que ce cela veut réellement dire, vous comprenez ? Je le saurai quand j’aurai 88 ans à mon tour, et encore, ce ne seront pas « vos » 88 ans.
Heureusement que nous avons le langage : on peut se rejoindre un peu. Mais un peu seulement… Combien de fois ne nous sommes-nous pas retrouvés prisonniers des quiproquos, des imbroglios, des malentendus, des équivoques… ? Et ce dans une même ville, une même rue, une même école, une même famille, un même lit…