11 septembre 2011, 24ème dimanche A, Mt 18,21-35 /
Quelle tristesse de voir cet homme, mis en scène dans la page d’évangile de ce dimanche, incapable de pardonner, alors que lui-même vient d’être acquitté d’une dette énorme auprès de son maître ! Pourquoi ce pardon impossible ? Qu’est-ce qui se joue donc tellement profondément en nous, qui nous rend toute démarche de pardon si pénible voir impossible ? Il n’en va pas que de notre bonne volonté, ce serait trop simple… Il nous est demandé de pardonner de « tout notre cœur », mais peut-on commander à son cœur ?
Qu’est-ce qui joue en moi ?
Avant de parler du pardon, attardons-nous sur ce qui le motive. Tel évènement, telle attitude, telle remarque, tel geste m’a blessé, m’a fait mal… Je me sens lésé d’une partie de ma dignité, spolié d’un bien qui m’appartient, d’une justice qui m’est due : d’où ces images de dettes employées dans les évangiles. Mais qu’est-ce qui est touché en moi ? Souvent ce n’est qu’un aspect superficiel de mon être qui est affecté. Par exemple, si l’on m’a agressé sur ma tenue, sur mon apparence, sur un bien que je possède, en fait ce n’est pas moi que l’on a attaqué mais une image de moi à laquelle je suis très attaché. Car je ne suis pas mes vêtements, ni mon tour de taille, ni ma voiture, ni ma capacité à chanter juste ou à organiser un repas familial… Mon être est bien plus profond que cela, il est tout à fait ailleurs. Prendre conscience de cette distance entre l’image que je me suis construite de moi-même et ce que je suis réellement peut me permettre déjà de grands pas vers le pardon. « Oui je me suis senti blessé par tes propos sur tel ou tel aspect de l’image que j’ai de moi-même, mais je puis te pardonner car je ne suis pas ce que tu as critiqué chez moi… » Cette blessure peut même être une chance à saisir pour progresser vers la profondeur de mon être et quitter un peu plus une certaine superficialité de ma vie. –Peut-être est-ce aussi parce que Dieu n’est pas pris dans ce jeu de l’image qu’il peut infiniment pardonner. Il sait bien que son être n’est pas atteint par tout ce qu’on veut lui faire subir et même par une mort en croix–. Mais creusons encore les ressorts de cette blessure.
Un pardon impossible ?
Au fond, ce qui peut-être touché de plus existentiel, je crois, c’est la foi en ma capacité à être aimé : « on ne m’aime pas… je ne suis pas aimable… » ; ou en ma faculté à aimer : « tout l’amour que j’avais mis dans cet enfant, ce meurtrier me l’a pris, je ne puis plus aimer… » Et ce sentiment mortifère peut être extrêmement destructeur. Comment puis-je, à partir de là, entrer dans une démarche de pardon ? À vue humaine c’est impossible, cela ne dépend pas d’une démarche volontariste ! La seule voie possible est celle de la guérison intérieure. Pour pouvoir pardonner de tout son cœur, il faut que mon cœur soit restitué, que l’amour soit de nouveau envisageable pour moi.
Une guérison intérieure !
C’est ici que le drame se joue. La parabole nous parle bien d’un pardon de Dieu qui est premier, d’un amour infini capable de remettre une dette infinie. Mais sa puissance de pardon est limitée par notre liberté à vouloir l’accueillir. Puisque Dieu me pardonne au-delà de tout, c’est que je suis aimable et réellement aimé. Mais me laisserai-je aimer de nouveau ? Emprunterai-je de nouveau le chemin de mon cœur au risque de blessures ultérieures ? Le « débiteur impitoyable » semble plutôt avoir emprunté le chemin inverse : « Puisque j’en ai réchappé cette fois-ci, je ne me laisserai plus prendre. Je ne veux plus être ni débiteur, ni prêteur pour personne, je ne veux plus emprunter le chemin de mon cœur… » Oui, ici l’amour de Dieu reste impuissant. Il ne s’agit pas de comptabilité, ou de vengeance de la part de Dieu –ce serait le comble ! – : « Puisqu’il ne pardonne pas je ne lui pardonnerai pas non plus, et lui ferai expier sa faute… » Non ! La balle est bien dans notre camp, ou plutôt dans notre cœur : si le pardon offert sans compter par Dieu ne touche pas mon cœur, je serai incapable et de l’accueillir pleinement et de pardonner à mon tour !
Alors le pardon est-il impossible ?
Qu’est-ce qui se joue vraiment en moi ?
Donner et recevoir sont la même chose. Comment donner et recevoir le pardon? Le psaume 130,4 nous dit: le pardon se trouve auprès de toi. Le courage de pardonner vient du Seigneur, c’est une grâce à demander et redemander sans cesse.