Le Tout-Autre ?

24ème dimanche, année B, Mc 8, 27-35 /

« ‘Qui suis-je ?’ Ils répondirent : ‘Jean Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes.’ … ‘le Messie’. » (Mc 8, 27…29) Ne trouvez-vous pas étonnant que, lorsque Jésus pose la question de son identité, aucune réponse n’est ouverte à la nouveauté, à la singularité, à l’unicité de cet homme, mais que toutes sont des projections sur Jésus de ce que ses interlocuteurs connaissent par ailleurs… Il doit forcément rentrer dans une case connue : Jean-Baptiste, Elie, un prophète du passé ou le Messie attendu…  Voilà bien une des raisons fondamentales de l’incarnation du Verbe : l’être humain est tellement limité dans sa vision du monde qu’il ne peut, par lui-même, découvrir la véritable identité de Dieu, la véritable profondeur de chaque être (y compris de soi-même) et  le véritable sens de la vie. À l’heure où l’expérience personnelle et les sentiments semblent être les seules balises pour mener notre vie, n’est-il pas urgent de sortir de notre « petite comprenette » des choses pour se laisser éclairer par le Tout-Autre ? En quoi l’identité de Jésus de Nazareth est-elle déterminante pour moi aujourd’hui ?

Le Tout-Autre ouvre un horizon de possibilités…

« Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » (Mc 8, 33) Beaucoup de nos contemporains, comme les interlocuteurs de Jésus, se sont fait une petite idée sur Jésus et sur Dieu, à partir de leurs expériences, de leurs réflexions et des réponses toutes faites glanées ça et là… Jésus Christ n’était qu’un homme bon et prophétique… un révolutionnaire que l’on a mis à mort… Dieu est une invention des hommes pour conjurer leurs angoisses existentielles, etc… Bien souvent, ces réponses à l’emporte-pièce évitent de se poser trop de questions. Or, l’Évangile nous dit que le Christ ne se laisse enfermer dans aucune de nos réponses toutes faites : non il n’est pas la réincarnation d’un prophète du passé, non sa naissance n’est pas semblable à celle des autres hommes, non ce ne fut pas un messie révolutionnaire, non ce n’était pas un doux rêveur car ses paroles furent confirmées par ses gestes… Non et non, il demeure insaisissable ! Serait-ce si périlleux, si dangereux d’accepter d’en demeurer à l’interrogation, sans vouloir y apporter une réponse trop rapide ? Jésus n’apporte nulle réponse, mais ouvre un horizon de possibilités… Puis-je me débarrasser si facilement de la question de Dieu, de la question de l’identité de Jésus ? Ce Tout-Autre, au-delà de mes réponses rassurantes, est-il possible ?

Le Tout-Autre dérange ma petite vie tranquille…

« Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. » (Mc 8, 34) L’être humain, avec sa « petite comprenette » plutôt lente, commence à entrevoir que sa vie au milieu de l’ensemble de la Création n’est qu’un petit élément contribuant à l’ensemble de la vie du monde. Il est fini le temps de la croissance exponentielle, le temps de l’exploitation démesurée de nos ressources, le temps d’un mode de vie insouciant des conséquences  engendrées sur la Nature ou sur les peuples à l’autre bout du monde… Bref, les mouvements de simplicité volontaire, de décroissance, de respect des écosystèmes, ne nous disent-ils pas, avec un vocabulaire nouveau, ce que Jésus disait à ses disciples : celui qui veut une vie réussie doit renoncer à lui-même, pour se situer par rapport au reste de la Création, doit prendre sa croix d’une vie maîtrisée, et même ascétique, et donner sa vie pour les autres… Ce Tout-Autre qui dérange ma petite vie tranquille, ne m’indique-t-il pas d’autres possibles pour une vie réussie ?

Le Tout-Autre m’ouvre un avenir…

« Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Évangile la sauvera. » (Mc 8, 35) On pourrait traduire aussi : l’humanité occidentale qui veut sauver son système fonce dans un mur, mais l’humanité qui accepte de perdre une façon de vivre et qui accepte de se décentrer d’elle-même se sauvera… Sauvera-t-elle le système ? Sauvera-t-elle la Planète ? Ou sauvera-t-elle son âme ?… Car, finalement, le monde n’a pas son propre but en lui-même ; n’est-il pas simplement le lieu de notre apprentissage d’une vie pleinement humaine, c’est-à dire d’une vie capable de Dieu ? Oui perdre sa vie pour le Christ et pour l’Évangile, n’a rien à voir avec un fanatisme kamikaze, mais avec un amour qui consume et purifie afin de nous conduire vers le Tout-Autre et son Royaume de Paix et de Plénitude ! Si j’accepte d’entrevoir, dans le Christ, une toute autre réalité que celle que je connais, cela  ne signifie-t-il pas qu’un avenir s’ouvre devant moi et devant la Création qui n’en est alors qu’à l’étape des douleurs de l’enfantement ?

« Pour vous qui suis-je ? »

Le Tout-Autre ?

Accepterons-nous de garder la question ouverte ?

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3 réponses à Le Tout-Autre ?

  1. Jean-Claude DIWEDIGA dit :

    Heureux de faire partie de vos abonnés, je vous jette des fleurs pour cette si belle initiative de votre part. Je pense que c’est une façon concrète de matérialiser ce que le Père D’Alzon appelait « voir large, loin ,profond et haut ». Je pense bien que la communication reste et restera un de moyens clés par lesquels des hommes et des femmes de notre village planétaire pourront effectivement faire avec l’aide du Créateur un monde tout nouveau. Ce blog est un grand joyau pour nous. En effet, il nous permettra d’être de temps en temps nourris de vos nouvelles du noviciat et aussi et surtout d’être nourris de la Parole avec le commentaire de l’évangile dominical et autres…
    Pour ma part, je ne peut que vous encourager car faire bon usage de nos moyens de communication au service de Dieu et de l’Homme, voilà ce à quoi nous sommes tous conviés.
    ART!!! Salut à tous!!!

  2. Roland dit :

     » Car, finalement, le monde n’a pas son propre but en lui-même ; n’est-il pas simplement le lieu de notre apprentissage d’une vie pleinement humaine, c’est-à dire d’une vie capable de Dieu ? »
    Tout en gardant toute la richesse contenue dans ce commentaire des textes du 24ème dimanche, je ne pu rester insensible cette phrase que je viens de citer. Car, elle mérite davantage de réflexion et de méditation dans ce monde où tout tourne autour de soi et du « soi ».
    Merci de nous aider à découvrir davantage l’immense richesse contenue dans les saintes écritures.

  3. Daniel dit :

    J’aime bien la première observation du frère Benoît: nous, les humains, préférons habituellement l’image que nous nous faisons des autres et les sentiments que cela nous donne, aux autres «eux-mêmes». Il a bien raison d’indiquer que c’est particulièrement fort dans notre culture, mais il est intéressant de voir que les apôtres ne sont pas différents dans ce récit, jusqu’à Pierre qui sera en colère de voir par la suite son maître proposer de lui-même une image non seulement différente mais, pire, qui contredit radicalement la sienne…
    Est-ce que je suis le seul à être ainsi? C’est vrai, on dit de bien belles choses à son sujet, mais au fond, l’autre est finalement dérangeant, bousculant, «différent», alors que l’image qu’on s’en fait est rassurante, confortable, «nôtre»… Si cela est vrai avec nos frères humains, à combien plus forte raison ça doit l’être du «Tout-Autre» qui vient à nous avec un visage humain!
    Le philosophe Lévinas, un juif dont toute la famille a disparu dans les camps nazis, disait que l’autre est radicalement «inimaginable». Ce qui est possible – et à faire – avec lui, c’est de le rencontrer et l’aimer, en se donnant pour lui jusqu’au sacrifice. C’est justement ce que Jésus disait qu’il se devait de faire, pour nous, avec de graves implications qui ont grandement déplu à Pierre…
    Aussi, dans cette ligne, j’apprécie également le rapprochement que le frère Benoît suggère entre le renoncement à soi-même et les sacrifices auxquels nous sommes appelés aujourd’hui en Occident, face à l’environnement qui s’épuise de nos exploitations abusives et à l’impact que cela a sur les populations à l’autre bout du monde, je devine en particulier les plus pauvres. Jésus s’identifiant justement au prochain, surtout le plus pauvre, le plus petit, est-ce que ce ne serait effectivement pas là un «Tout-Autre» privilégié à rencontrer aujourd’hui, en prenant en considération ceux au loin dans notre manière de vivre et en venant en aide à ceux tout près?… Peut-être y aurait-il là une manière inattendue, et très concrète, de retrouver la question de Dieu par-delà nos réponses confortables?…
    C’est du moins ce que je comprends de cette intéressante suggestion du frère Benoît, parmi d’autres. Une dernière question, peut-être: est-ce que «nous» voulons, est-ce que «je» veux vraiment de ce genre d’entreprise, de cet «avenir»-là?…

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