31ème dimanche, année B, Mc 12,28b-34 /
Aimer le Seigneur de tout son cœur et aimer son prochain comme soi-même, voilà le résumé de la Torah, de la Loi ! Nous sommes tous, si tant est que nous croyons en Dieu, déjà convaincus de cela, non ? N’est-ce pas ce que nous disent bon nombre de nos contemporains non-pratiquants : « l’essentiel c’est l’amour et cela vaut mieux que toutes les obligations et tous les cultes. » Aussi le Seigneur peut-il nous dire : « Vous n’êtes pas loin du Royaume de Dieu ! » Pas loin… mais qu’est-ce qui nous manque alors ? La mise en œuvre, jour après jour, de ce double commandement ? Certainement ! La capacité d’aimer à ce niveau-là ? Oui bien sûr ! Et Jésus Christ, alors, qu’elle nouveauté apporte-t-il ? N’est-il pas venu apporter un commandement nouveau ?
Aimer jour après jour…
Pourquoi ce que notre cœur désire est-il si difficile à mettre en œuvre ? Les paroles de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus peuvent certainement nous éclairer : « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même ! » Ainsi un double mouvement nous habite : un certain instinct de survie qui nous incite à nous préserver, à nous garder, à ne vouloir nous appuyer que sur nous-mêmes et, en même temps, le désir d’aimer et d’être aimés qui implique de sortir de nous-mêmes, de nous donner, de remettre notre confiance dans un autre… On ne sort pas indemne de l’amour, l’engagement est irréversible, comment peut-on croire que partager sa vie avec quelqu’un quelques années puis se retirer de peur d’être « mangé » par l’autre soit un modèle pour l’amour ? Il suffit de prendre l’exemple de l’amour maternel, ou paternel, pour se rendre compte que cet amour est irréversible et nous donnera des joies et des souffrances jusqu’à la fin de nos jours… Oui, aimer c’est tout donner et se donner soi-même !
Mais alors sommes-nous capables d’aimer ?
D’un point de vue trop humain, on pourrait répondre oui et non ! Oui, bien sûr, car nous ne sommes pas que ce que nous prétendons être, nous ne sommes pas que ce que nous maîtrisons de nous-mêmes ! N’y a-t-il pas, en chacun de nous, ce petit enfant dépendant du sein maternel ? C’est-à-dire cet être fragile capable de recevoir de l’amour et d’en donner ?… D’autre part, je dirais volontiers, bien sûr que non, nous ne sommes pas capables d’aimer Dieu et notre prochain comme nous-mêmes. En ce qui concerne Dieu, la raison en est bien simple : il est avant tout un être invisible, intangible, dont le mode de présence est une présence-absente. Nous pouvons déclarer l’aimer, mais l’aimons-nous vraiment ? Un seul lieu de vérification s’offre à nous : l’amour du prochain : « Celui qui aime Dieu qu’il aime aussi son frère ». (1 Jn 4,21) Et, en ce qui concerne l’amour du prochain, nous connaissons nos limites… Alors, l’amour peut-il se commander, sommes-nous capables d’aimer ?
Le commandement nouveau !
C’est peut-être là que nous devons bien faire la distinction entre le résumé des commandements de l’Ancien Testament, mais aussi de la sagesse humaine, et le commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! » Cette fois-ci l’amour devient possible. D’abord, un homme, Jésus de Nazareth, a emprunté ce chemin et nous le donne en exemple. Et puis, son amour est premier, et nous précède. C’est en nous appuyant sur la force de son amour que nous devenons alors vraiment capables d’aimer au-delà de toute mesure. N’est-ce pas ce dont témoignent les saints : non pas des êtres parfaits, mais d’humbles pécheurs qui se sont laissé transformer par l’amour de Dieu ?… « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu », disait Jésus au scribe, mais il te manque : de me reconnaître comme Fils de Dieu, de te laisser aimer par moi, de devenir mon disciple, de me permettre de te donner l’amour dont tu as besoin pour dépasser ta propre capacité d’amour !
Avoir à l’esprit le résumé de la Loi est une bonne chose…
Mais accueillir le commandement nouveau en est une autre…
N’est-ce pas lui seul qui nous permettra d’atteindre ce que la Loi indiquait
et ce que les hommes recherchent depuis la fondation du monde :
Aimer ?
Merci frère Benoît pour ces paroles si vivifiantes et inspirées ! Que le Seigneur poursuive son travail en vous, là où il a besoin de vous et où il vous fait le témoin de son amour. Sylvain
1.Aimer son prochain ! C’est bien la chose la plus incompréhensible qui soit ! Aimer l’autre, je veux bien, mais le prochain ? Il me semble que le prochain, ça veut dire celui ou celle qui est près de toi, que tu ne peux pas souffrir même en peinture, qui s’impose à toi et qui n’a pour toi aucune considération, aucun égard. Tandis que dans la notion de l’autre, j’y vois comme une sorte de choix, ou de coup de foudre qui se transforme en choix. En tout cas, il y a, ou aurait, comme une affinité qui sous-tend le lien d’amour. Faut pas rêver dans ces matières : en parler, c’est une chose, le vivre véritablement en est une autre !
2.C’est comme aimer l’humanité : c’est sûr qu’une âme bien née aime l’humanité. Elle ne me dérange pas l’humanité, et comme telle, elle attire mon respect. On aime l’humanité comme on aime un idéal, une valeur, un universel. Il y a plus : si j’aime l’humanité en Paul, c’est pas Paul que j’aime ; le Paul concret n’est pas l’humanité. Bon, l’humanité est en lui concrètement, bien sûr, mais Paul est plus encore que ça. Pas plus que je n’aime Paul parce qu’il est musicien ; je l’aime parce que c’est lui et parce que je suis moi… La peur, le risque n’y changeront rien ! Le déni, l’instinct de survie non plus, j’en ai bien peur.
3.« Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». « Pas loin… mais qu’est-ce qui nous manque alors ? La mise en œuvre, jour après jour, [du] double commandement ? Certainement ! La capacité d’aimer à ce niveau-là ? Oui bien sûr ! » Je cite en entier parce que c’est la partie de votre commentaire, P. Benoît, qui me challenge le plus ! Je me demande s’il faut aimer « en vue de » se rapprocher du Royaume de Dieu ? J’y verrais une note d’utilitarisme. À moins que cette formule ne veuille dire qu’il faut aimer pour accomplir notre nature humaine, celle qui est créée à l’image de Dieu, pur Don, pur Amour. Une connotation d’une fin, alors, inscrite en nous tous ?
4.Vous dites : « On ne sort pas indemne de l’amour, l’engagement est irréversible. » C’est encore une fois vite dit, mais c’est on ne peut plus la vérité, il me semble. Par quel miracle cela arrive-t-il ainsi ? Je ne sais pas si quelqu’un ait jamais élucidé ces mystères de la vie humaine : l’amour et ce qu’il est, et l’irréversibilité de l’amour (le mot est fort). Pas plus n’a-t-on expliqué pourquoi il se vit en même temps comme joie et comme douleur, comme espoir et comme crainte, comme légèreté et comme responsabilité (à vie) ! Ni non plus pourquoi il semble nous transformer autant puisqu’on « n’en ressort [effectivement] pas indemne ».
5.Quel visage alors prendrait notre amour pour Dieu après tout ça ? … ?
Je voulais, hier soir, terminer mon commentaire-méditation avant d’aller dormir sachant bien que cette méditation, ainsi, se poursuivrait pendant que je dormirais. Et c’est ce qui s’est passé ! Ce matin, je suis habitée par cette phrase que nous connaissons tous : « Je suis responsable de ma rose ! » Voilà que tout est dit ! Le poète (ou le poite, comme on voudra) a je ne sais quel génie divin pour dire les choses les plus urgentes. Souvenons-nous : « Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un seul exemplaire à travers les millions et les millions d’étoiles, c’est bien assez pour que lorsqu’il regarde les étoiles, la nuit, il soit heureux, et se dise : « Ma fleur est là quelque part ! ». Souvenons-nous aussi, combien la fleur du Petit Prince était coquette et égoïste à sa façon, combien elle se sentait menaçante avec ses quatre épines, combien elle exigeait d’égards… et combien le moindre petit mouton passant par là allait être capable de la manger et la faire disparaître à jamais… et combien, si ça devait arriver, ce serait tout à fait comme si toutes les étoiles de l’univers s’éteignaient… « Ceci, n’est-ce pas assez important ? » Où placer la peur, l’instinct de survie, la protection de soi dans tout ça ? Tout d’un coup, ça n’a plus de sens. Pourquoi ? Parce que dès que quelqu’un aime une rose, toujours unique, adorable, fragile, il est engagé par cette phrase terrible : « Je suis responsable de ma rose ». Et que ça rend heureux.
Voilà comment la nuit m’a fait comprendre le sens touchant de l’énigmatique commandement dont la concision, pareille à une graine de semence, nous trouble chaque fois : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Forcément éloignée quelque peu de mes communications habituelles, j’ai réalisé davantage « ce que les hommes recherchent depuis la fondation du monde » :
Aimer et se sentir aimé de Dieu et des autres. Voilà bien l’essentiel de toute vie !
Merci de nous le rappeler. TLV