Me voici de retour ! Comme vous le savez mon silence des semaines passées était lié à un temps, trop bref, de vacances en France pour pouvoir souffler un peu et décrocher des soucis du quotidien. Passer ainsi rapidement de ma vie en brousse togolaise à la vie parisienne ou même à la campagne vosgienne ou haut-marnaise m’a laissé une drôle d’impression… Car, à la fois, je dirais que l’humain et ses réalités fondamentales sont bien les mêmes sous toutes les latitudes et, à la fois, j’ai ressenti fortement que nous vivions dans des mondes différents !
Ce qui a d’emblée frappé mon regard, c’est l’encombrement de nos maisons occidentales avec des tas de choses accessoires qui semblent devenues indispensables, et l’accumulation d’années en années d’objet que l’on garde, plus par nostalgie ou attachement sentimental que par réelle nécessité. Et du coup l’image qui me vint, même si elle n’est pas tout à fait juste, fut celle du container pour l’Afrique… Sans trop réfléchir j’eus l’impression qu’un grand coup de balai aurait fait le plus grand bien en vue d’une vie plus dépouillée, plus essentielle, plus solidaire et que ce coup de balai aurait pu apporter beaucoup à celles et ceux qui manquent de tout… Mais en même temps, je sais bien que ce type de réponse spontanée n’est pas forcément la plus adéquate, car bien des choses devenues inutiles et encombrantes pour une maison occidentale risqueraient d’être d’autant plus inutiles et encombrantes dans une maisonnée africaine… De plus on risquerait aussi, comme on a pu le constater par le passé, de créer des besoins qui n’en sont pas vraiment… Il demeure qu’un certain transfert intelligent de biens, notamment d’outils –scolaires, agricoles, artisanaux, etc… – me semble possible et souhaitable. Bref, on ne peut s’éviter de comparer mais, finalement, le constat est bien celui de deux mondes différents ! Entre parenthèses, malgré tout ce que l’on entend sur la richesse des congrégations religieuses, je constate que nos intérieurs sont biens moins encombrés que dans la plupart des familles, peut-être justement grâce, en partie, à ce transfert Nord-Sud bien réel dans nos congrégations internationales.
Autre image qui a retenu mon attention, celle des rues désertes de nos villes et de nos villages, toutes celles et ceux qui ont déjà voyagé dans les pays du Sud connaissent ces rues bouillonnantes pleines de jeunes et de vie qui donnent à contrario à nos villes et villages d’Occident l’impression de villages fantômes… Les seuls lieux où l’on trouve du monde en Occident –en dehors d’évènements occasionnels– ce sont les galeries marchandes et autres hypermarchés : « Je consomme donc j’existe ! » tel semble être l’adage de nos sociétés occidentales. Bien sûr, ici aussi la course à la consommation est omniprésente mais vu le peu de moyen dont on dispose son ampleur n’est pas comparable… Nous sommes bien dans deux mondes différents à cet égard.
Autre contraste, celui de la balade en forêt, dans des sentiers biens balisés où l’on ne peut faire que des rencontres amicales… Il ne viendrait à personne ici, sauf peut-être à quelque étranger en mal d’aventure, d’aller se balader en forêt. Sans parler des routes tellement belles et sécuritaires comparées à nos pauvres routes de latérite ou de « goudron gruyérisé »… Une vie bien policée, bien organisée, bien sécuritaire finalement qui a peu à voir avec l’improvisation, la débrouillardise, l’immense patience, les pattes à graisser et les risques à prendre pour réaliser quelque chose par ici… Deux mondes vous dis-je ! En même temps la vie africaine est pleine de possibles, avec trois fois rien on réussit à bricoler quelque chose… Faire faire des meubles sur mesure, des vêtements sur mesure, des chaussures sur mesure est monnaie courante, mais l’on veut faire croire à tout le monde que le prêt-à-porter, que le vêtement de marque (piraté), que l’importé en général est toujours mieux !
Bref, voici quelques impressions de ma vie entre deux mondes, dont aucun n’est à absolutiser ou à maudire, mais qui indiquent, chacun à sa manière, que nous sommes bien tous en désir d’un autre monde, d’une autre plénitude… C’est à partir de notre donnée de départ, en Occident ou ici en Afrique, que nous avons à cheminer et à inventer le Royaume de Dieu, mais surtout cessons de nous comparer, de nourrir nos complexes de supériorité ou d’infériorité… Il n’y a pas à nous jauger, car nous ne vivons pas, et nous ne vivrons jamais, ici-bas, dans les mêmes mondes… Dieu nous préserve de l’uniformité !
Quel bonheur de vous retrouver là, P. Benoît ! – même si cette seule exclamation me semble égoïste ! J’aurais aimé pour vous un séjour plus long pour vos vacances, mais en même temps, les absences, les silences, sont toujours lourds pour les amis, aussi quel plaisir (égoïste ?) de vous entendre de nouveau sur votre blog. Votre lettre montre bien le choc qui vous aura comme emporté : merci de nous en faire part généreusement. Ce constat que vous faites des « deux mondes » existant en même temps sur la planète – et en vous -, ayant chacun leurs déterminations propres et incompatibles, radicalement sourds l’un à l’autre, est, en effet, très troublant : il fait naître chez moi, on s’en doute, plusieurs, plusieurs questions. Ce que vous avez observé avec vos yeux et dans votre sensibilité ainsi que vos remarques profondes nous amènent « d’aplomb », comme on dit ici, aux fondements de l’existence humaine, selon moi. Mais alors, mes questions, en tant que questions ne seraient-elles pas « encombrantes » aussi ? Je me garderai bien alors de m’y aventurer.